Des analyses génétiques récentes suggèrent que la coévolution de l’humain et du chien a commencé il y a déjà 32 000 ans. Pas étonnant que les chiens aient développé une telle aptitude à répondre aux signes non verbaux de leurs maîtres. Selon la théorie de la biophilie, les humains ont un intérêt pour les êtres vivants en général. Cette théorie expliquerait que des enfants de un à trois ans observés pendant des séances de jeux libres réagissent davantage aux animaux qu’à des jouets attrayants. Cet intérêt pour les (autres) animaux aurait possiblement conféré un avantage évolutif à l’humain en l’amenant à la domestication de plusieurs espèces utiles. Et même si les particularités des relations entre humains et animaux varient d’un pays à l’autre (les chiens servent de compagnons en Occident et de protéines dans certains pays asiatiques!), la coévolution des humains et des animaux est observée à travers toutes les cultures de la planète.
Toutes ces informations sur la relation humain-animal, et bien d’autres encore, se retrouvent dans «People and Companion Animals: It Takes Two to Tango», une revue de la littérature publiée en juillet 2016 dans la revue BioScience par la professeure du Département de psychologie Catherine Amiot, en collaboration avec des collègues des Pays-Bas et d’Australie. Cet article avait été précédé d’une autre revue de la littérature publiée dans le Psychological Bulletin de l’American Psychological Association en 2015 et intitulée «Toward a Psychology of Human-Animal Relations».
Ces articles parus dans des revues prestigieuses témoignent d’un véritable momentum pour la psychologie des relations humains/animaux, croit la chercheuse. «L’article du Psychologial Bulletin a eu beaucoup d’impact, dit-elle. Nous avons atteint notre but, qui était de montrer qu’il existe des études sérieuses, menées à l’aide de méthodes rigoureuses, sur les relations entre humains et animaux, et que ce champ de recherche ne doit pas être considéré comme un thème marginal en psychologie.»
La professeure et ses collègues ont d’ailleurs réussi, en 2015, à organiser un symposium sur ce thème dans le cadre du congrès de l’Association for Psychological Science, qui se tenait à New York. Un signe que le sujet gagne en légitimité. Elle a aussi reçu l’appui du CRSH, qui subventionne son programme de recherche, et de l’UQAM. «L’UQAM a une mission d’innovation, de créativité, dit-elle, et j’ai eu beaucoup de soutien de la part du Service de la recherche et de la création.»
Omniprésents
Que l’on parle des animaux de compagnie ou des bêtes de laboratoire, des animaux que l’on mange ou de ceux qui nous habillent, des chats, des chiens et des lapins qui peuplent les livres pour enfants ou de ceux qui tiennent la vedette au petit écran, les animaux sont omniprésents dans nos vies, remarque Catherine Amiot. Cette psychologue sociale, qui a d’abord étudié les relations entre groupes humains, a vu ses intérêts de recherche bifurquer il y a une dizaine d’années, grâce à une petite chienne Labrador «extrêmement tannante» du nom de Elsie. À travers les cours de dressage et tout le processus nécessaire pour rendre Elsie à peu près sage, les aspects similaires des relations humain/humain et humain/animal lui sont apparus, ce qui l’a amenée à s’intéresser de plus en plus aux rôles que les animaux occupent dans nos vies.
«La psychologie est bien placée pour comprendre les relations entre humains et animaux, affirme Catherine Amiot. Des recherches ont d’ailleurs été menées sur la plupart des thèmes classiques auxquels s’intéresse la psychologie, que ce soit l’évolution, le développement, la socialisation et les normes, la personnalité, le bien-être ou les relations inter-groupes.»
Des relations bénéfiques
De nombreuses études ont démontré que les relations avec les animaux peuvent être bénéfiques pour les humains. Ainsi, les personnes qui vivent avec un animal de compagnie iraient moins souvent chez le médecin que des personnes comparables qui n’ont pas d’animal, révèle la littérature. Selon une étude, le fait d’être exposé à des relations affectueuses avec un animal de compagnie durant l’enfance prédisposerait à une plus grande empathie et à des attitudes positives envers les humains à l’âge adulte. «Le simple fait d’être accompagné d’un animal fait en sorte qu’on aura plus de chance d’être abordé dans la rue ou aidé par des étrangers», note Catherine Amiot.
« Le simple fait d’être accompagné d’un animal fait en sorte qu’on aura plus de chance d’être abordé dans la rue ou aidé par des étrangers. »
Catherine amiot
Professeure au département de psychologie
Les relations avec les animaux n’ont pas toujours pour conséquence d’améliorer le bien-être des humains, nuance toutefois la chercheuse. «Quand les animaux servent à compenser des rapports humaines déficients, par exemple, cela peut nuire à la santé.»
Solidarité avec les animaux
Un autre article, publié en janvier dernier dans la revue PLOS One par Catherine Amiot et son collègue Brock Bastian, de l’Université de Melbourne, est basé sur des recherches originales menées par les chercheurs et s’intéresse plus particulièrement aux relations intergroupes entre humains et animaux. «Quelle est la nature de la connexion psychologique que nous avons avec les animaux? C’est la question à laquelle nous avons voulu répondre en développant une mesure de la solidarité avec les animaux», explique la professeure.
Huit études empiriques, utilisant différents protocoles, ont permis d’analyser le sentiment de solidarité avec les animaux, ce qui le conditionne et les conséquences qu’il peut avoir sur la façon de percevoir et de traiter les animaux, sur les choix moraux que l’on peut être amené à faire concernant les animaux et sur l’activisme en faveur des droits des animaux.
Les chercheurs ont démontré que la solidarité envers les animaux prédisait des attitudes positives envers le monde animal (et moins de «spécisme», c’est-à-dire moins de discrimination envers les «animaux non humains»), au-delà d’autres variables qui auraient pu être pertinentes, comme l’identification à la nature en général ou la solidarité avec les humains. «La solidarité envers les animaux était reliée à une plus grande ouverture cognitive et à plus d’empathie, ainsi qu’à un niveau de préjugés moins élevé, y compris envers des groupes humains, donc à moins de racisme, moins d’âgisme et moins de sexisme (mais uniquement chez les femmes, dans ce dernier cas)», précise la chercheuse.
« La solidarité envers les animaux était reliée à une plus grande ouverture cognitive et à plus d’empathie, ainsi qu’à un niveau de préjugés moins élevé, y compris envers des groupes humains, donc à moins de racisme, moins d’âgisme et moins de sexisme (mais uniquement chez les femmes, dans ce dernier cas). »
Une étude a permis de comparer des personnes vivant avec un animal domestique à d’autres n’ayant pas d’animal. Comme on pouvait s’y attendre, le fait de vivre avec un compagnon animal augmente la solidarité envers les animaux en général. De même, un autre volet de l’étude a montré que les végétariens, comparativement aux non végétariens, sont plus solidaires envers les animaux. «Différentes raisons – une préoccupation pour l’environnement ou pour leur santé, par exemple – poussent les gens vers le végétarisme, mais les considérations morales envers les animaux de ferme comptent de plus en plus souvent parmi leurs motivations», note Catherine Amiot.
Une autre recherche a permis d’observer qu’il était possible d’activer une plus grande solidarité envers les animaux de façon expérimentale. Un groupe auquel on a présenté des images d’animaux dans des poses expressives leur donnant un aspect humain a exprimé plus de solidarité que les participants à qui on a montré des images d’animaux dans des poses prototypiques, c’est-à-dire où leur animalité était mise en évidence – des vaches broutant dans le pré, par exemple – ou que ceux du groupe contrôle, à qui on a montré des photos d’architecture.
Cette question du degré d’identification entre humains et animaux a fait l’objet d’une autre étude. Les participants, d’abord interrogés sur le degré de similarité qu’ils perçoivent entre humains et animaux, devaient ensuite se prononcer sur des considérations morales à propos des animaux. Par exemple, ils devaient dire à quel point ils étaient d’accord avec l’idée que l’utilisation des animaux est nécessaire au bien-être humain. Plus l’identification avec les animaux était importante, moins les participants semblaient enclins à justifier l’utilisation des animaux.
Dilemmes moraux
Une autre étude encore présentait des dilemmes moraux aux participants. On leur demandait, par exemple, comment ils distribueraient une somme d’argent entre des organismes de charité destinés aux humains et d’autres consacrés au bien-être animal. On leur a aussi demandé ce qu’ils feraient dans une situation hypothétique où ils auraient le choix entre sauver la vie d’un humain et celle de 10 chiens…
«En général, les participants donnaient plus d’argent aux organismes dédiés aux humains et préféraient sauver un humain plutôt que les chiens, mais la solidarité envers les animaux diminuait le biais en faveur des humains et prédisait une plus faible tendance à favoriser les organismes de charité aidant les humains et même à sauver la vie humaine par rapport à celle des chiens, note la chercheuse. Cela soulève des questions, évidemment, selon le point de vue de chacun.»
Catherine Amiot poursuit ses recherches dans le domaine des relations intergroupes entre humains et animaux, entre autres pour raffiner la notion d’identification aux animaux. Elle a deux nouveaux articles en préparation, dont un traitant de la question du statut perçu de l’animal. «On se demande à quel point les humains se perçoivent comme supérieurs aux animaux et comment cette supériorité diminue la solidarité envers les animaux.»