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Fin de parcours difficile

Comment expliquer que presque la moitié des élèves qui décrochent présentent un cheminement scolaire sans histoire? 

Par Pierre-Etienne Caza

1 mai 2017 à 16 h 05

Mis à jour le 8 septembre 2017 à 13 h 09

Photo: iStock

Dès son entrée à l’école, un élève éprouve des difficultés en lecture ou des problèmes de comportement en classe. Confronté à l’échec très tôt, il se décourage et finit par décrocher au secondaire. Cette vision stéréotypée du décrocheur est celle qui prévaut au Québec, mais elle n’explique pas tous les cas de figure. Selon les études, environ 60 % des décrocheurs éprouvent des difficultés scolaires au moment de quitter l’école. «Qu’en est-il des 40 % restants?, se questionne Éric Dion, professeur au Département d’éducation et formation spécialisées. On les appelle les décrocheurs discrets. Ce sont des élèves dont le parcours scolaire est sans histoire et qui, tout à coup, décident de décrocher avant la fin de leurs études secondaires.»

Si tout n’est pas joué au début de la scolarité, il se passe peut-être des choses importantes en fin de parcours, juste avant le décrochage. C’est ce qu’Éric Dion et ses collègues Véronique Dupéré, Isabelle Archambault et Michel Janosz (Université de Montréal), ainsi que Tama Leventhal (Tufts University) et Robert Crosnoe (University of Texas at Austin) ont cru bon d’investiguer. Quelques recherches ici et là semblaient confirmer leur intuition: la grossesse adolescente était associée dans une recherche à un risque de décrochage plus élevé; dans une autre, c’était le fait que l’un des parents de l’élève soit incarcéré. «Des événements traumatisants, perturbateurs ou stressants pourraient amener certains ados à décrocher», explique Éric Dion.

Le chercheur et ses collègues viennent de publier dans la revue Child Development les résultats d’une étude qui confirment leur hypothèse de départ, à savoir que pour une partie des élèves, le décrochage se produirait en contexte de crise.

Décrocheurs, jumeaux à risque et élèves normatifs

Leur projet de recherche s’est déroulé durant trois ans dans 12 écoles secondaires de la grande région de Montréal présentant un fort taux de décrochage. En septembre de chacune des années, un questionnaire a été distribué à tous les élèves de 14 ans et plus afin de recueillir leurs données sociodémographiques et évaluer leur risque de décrochage – par des questions sur leurs résultats scolaires, leur appréciation de l’école, leur intention de continuer à étudier, etc. «Dès qu’un élève décrochait en cours d’année, nous le contactions pour lui demander de nous accorder une entrevue, raconte Éric Dion. Au cours de cette entrevue semi-structurée, tirée d’un modèle existant, le jeune devait répondre à des questions qui nous offraient un tour d’horizon significatif de tout ce qui s’était passé dans sa vie au cours des 12 derniers mois.»

L’échantillon de l’étude comprend 183 décrocheurs. L’objectif de l’entrevue était de discerner les événements stressants ou les difficultés chroniques vécus par ces adolescents durant l’année précédant l’abandon de leurs études: intimidation, violence, conflits (avec leurs pairs, un membre du personnel de l’école, un membre de leur famille), difficultés dans les relations amoureuses, problèmes légaux, problème de santé physique ou mentale, accident de voiture, incarcération de l’un des parents, etc.

Les chercheurs sont ensuite retournés consulter les données sociodémographiques et l’indice de risque de décrochage initial de chaque décrocheur. «Nous leur avons trouvé un “jumeau à risque”, c’est-à-dire un adolescent du même sexe et de la même école dont le profil était sensiblement le même et qui poursuivait son parcours scolaire, explique Éric Dion. Nous avons effectué une entrevue avec ces 183 jumeaux ainsi qu’avec un échantillon contrôle de 179 élèves dits “normatifs”, au parcours scolaire dans la moyenne.»

Trois mois critiques

Les résultats sont sans équivoque. Durant les trois mois précédant le décrochage, les chercheurs ont observé une hausse significative d’événements et de difficultés d’intensité modérée et/ou sévère chez les décrocheurs, mais pas chez les jumeaux à risque ni chez les étudiants normatifs, alors que le reste de l’année, les proportions d’événements et de difficultés d’intensité légère, modérée et sévère étaient sensiblement les mêmes pour tous les groupes. «Cela signifie que pour une partie des décrocheurs, la décision se prend effectivement dans un contexte de crise», affirme Éric Dion.

L’allocation des ressources

Environ 75 % des problématiques ayant conduit au décrochage des élèves n’étaient pas reliées à l’école, mais à des problèmes familiaux, des conflits avec les pairs ou à d’autres causes. Dans ce contexte, est-ce que les directions d’école peuvent faire quelque chose pour éviter que les décrocheurs discrets ne passent à l’acte? «Nos résultats suggèrent qu’il faut qu’il y ait des gens à l’école qui soient attentifs aux crises qui surviennent dans la vie des élèves et que ces gens soient proactifs en référant rapidement les élèves à risque aux ressources qualifiées, estime Éric Dion. Dans un contexte de ressources financières limitées, une meilleure coordination avec les services de santé locaux, comme les CLSC, semble une voie à explorer.»

Au cours des dernières décennies, plusieurs efforts ont été consacrés à prévenir le décrochage scolaire en partant du principe selon lequel il faut outiller le mieux possible les élèves au début de leur parcours – en maternelle, première et deuxième années. Partir du bon pied, en lecture notamment, constitue un avantage formidable pour un enfant, reconnaît Éric Dion, qui a lui-même mené plusieurs projets de recherche avec des élèves en début de parcours scolaire. «Les élèves qui savent lire correctement à la fin de leur première année seront toujours avantagés sur le plan de la réussite scolaire à court et moyen terme», souligne-t-il.

Les résultats de sa dernière étude suggèrent toutefois qu’il ne faudrait pas concentrer tous les efforts de prévention au début du parcours scolaire. «Si l’objectif ultime est de viser la diplomation pour tous, il faut agir comme avec une rivière capricieuse, illustre-t-il. Il ne faut pas l’endiguer uniquement à sa source. C’est bien d’intervenir au préscolaire et au primaire, mais on doit aussi suivre les élèves tout au long de leur parcours en faisant des interventions scolaires et sociales au besoin.»

Éric Dion et ses collègues ont obtenu une nouvelle subvention du CRSH pour suivre les trois groupes d’élèves et de décrocheurs lors de leur transition à l’âge adulte, sur le marché du travail ou aux études postsecondaires. À suivre…