
Le Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (CÉIM) lance un processus pancanadien de consultations publiques sur la politique commerciale canadienne. Intitulée «Canada: Vers une politique commerciale socialement responsable», cette démarche comporte deux objectifs: informer le grand public sur la dimension sociale des politiques commerciales et engager une discussion nationale sur ce que pourrait être une politique commerciale socialement responsable.
Il y a deux façons de prendre part aux consultations: en répondant à un sondage en ligne – jusqu’au 15 octobre – et en participant à des journées de consultation qui se tiendront dans cinq villes canadiennes. La première aura lieu à Montréal, le 14 septembre, et les autres à Ottawa (15 septembre), Edmonton (20 septembre), Vancouver (22 septembre) et Halifax (13 octobre). «Ce type de démarche, qui combine information, formation et dialogue social, constitue une première», souligne Michèle Rioux, professeure au Département de science politique et directrice du CÉIM. Les consultations réuniront différents acteurs de la société civile: syndicats, groupes communautaires, représentants du milieu académique et de ministères à vocation économique, etc. «Ces journées permettront de discuter en profondeur des questions soulevées dans le sondage et donneront la possibilité aux acteurs de la société civile de présenter leurs positions, note la professeure. Quant au sondage, il contient des questions sur des enjeux spécifiques ainsi que des fiches d’information vulgarisées. Nul besoin d’être un expert pour y répondre.»
«Il faut s’interroger sur la capacité des États de se doter de politiques commerciales qui servent le bien commun plutôt que des intérêts particuliers. Nous croyons qu’il est possible de rendre les accords commerciaux plus sensibles aux préoccupations sociales. »
Michèle rioux,
Professeure au Département de science politique
Dans le contexte actuel de prolifération des accords commerciaux régionaux et bilatéraux – signature récente de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne, renégociation de l’ALENA, négociations du Canada avec la Chine et le Mercosur –, on constate que les intérêts commerciaux et économiques sont toujours mieux défendus que les droits des travailleurs et les enjeux environnementaux, observe Michèle Rioux. «Il faut s’interroger sur la capacité des États de se doter de politiques commerciales qui servent le bien commun plutôt que des intérêts particuliers, dit-elle. Nous croyons qu’il est possible de rendre les accords commerciaux plus sensibles aux préoccupations sociales. Les récentes déclarations de la ministre fédérale des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, vont dans ce sens, tranchant ainsi avec le discours tenu par l’ancien gouvernement Harper. Bref, une fenêtre stratégique s’ouvre pour transformer la politique commerciale du Canada.»
Clauses sociales
Pour rendre la politique commerciale canadienne plus socialement responsable, le CÉIM a identifié trois pistes d’action sur lesquelles le public et les organisations de la société civile seront consultés. La première porte sur la pertinence des clauses sociales dans les accords commerciaux ainsi que sur les moyens à prendre pour faciliter leur appropriation et leur application. Ces clauses renvoient à des dispositions légales énoncées dans un accord commercial et visant à conditionner l’ouverture d’un marché au respect de certaines normes du travail. Fondées sur une liste de droits, elles s’inspirent souvent des Conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail(OIT): liberté d’association et reconnaissance du droit de négociation collective, élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession, reconnaissance du principe d’égalité des sexes et de droits liés à la maternité et à la conciliation travail-famille, mise en œuvre de conditions de travail acceptables en ce qui touche le salaire, les heures de travail et les conditions de santé et de sécurité.
«Les syndicats, par exemple, savent qu’ils doivent mobiliser leurs membres pour que les accords tiennent compte des intérêts des travailleurs. S’ils ne participent pas aux discussions entourant les accords, le train de la mondialisation continuera de rouler sans eux. »
«De plus en plus de pays négocient des clauses sociales en vue de les intégrer directement dans leurs accords commerciaux, plutôt que de les inclure dans des accords parallèles», relève la directrice du CÉIM. C’est le cas du Canada, de certains pays de l’Union européenne, de la Norvège, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande. «Même si les textes des accords commerciaux sont de plus en plus ambitieux, les chapitres touchant les clauses sociales n’ont pas suscité beaucoup d’actions de la part des États pour assurer leur application, remarque Michèle Rioux. Un important travail de mobilisation doit être accompli. Les syndicats, par exemple, savent qu’ils doivent mobiliser leurs membres pour que les accords tiennent compte des intérêts des travailleurs. S’ils ne participent pas aux discussions entourant les accords, le train de la mondialisation continuera de rouler sans eux.»
Autres pistes d’action
La deuxième piste d’action concerne la conditionnalité sociale du système généralisé des préférences commerciales (SGP). Les SGP réfèrent, depuis les années 1970, aux grilles des tarifs douaniers préférentiels offerts par les pays développés aux pays en développement. Les États-Unis et l’Union européenne ont ainsi conditionné l’accès à leur SGP au respect d’un certain nombre de droits fondamentaux des travailleurs. «Le Canada pourrait faire de même», dit la professeure.
La troisième piste d’action porte sur le travail forcé ou les pires formes du travail des enfants, des phénomènes encore largement répandus à travers le monde. Ainsi, certains pays, auxquels le Canada pourrait se joindre, interdisent l’accès à leur marché dans le cas d’importations de marchandises dont la production fait intervenir ces formes de travail. «Ce sont des mesures assez récentes, observe Michèle Rioux. Dans certains pays en développement, des petites et moyennes entreprises font travailler des enfants dans des conditions particulièrement pénibles. C’est pourquoi on incite les entreprises à se doter de codes de conduite socialement responsable.»
Impliquer la société civile
La question de la participation de la société civile fera l’objet de discussions lors des journées de consultation. Comment l’informer et l’impliquer davantage durant le processus de négociation des accords commerciaux? Faut-il mettre en place un processus de consultation nationale par l’entremise d’un forum permanent de la société civile? Comment faciliter le dépôt des plaintes?
Les réponses au sondage et les positions exprimées lors des journées de consultation seront portées à l’attention du gouvernement fédéral au moyen d’un rapport produit par le CÉIM, lequel sera soumis à Emploi et Développement social Canada. «Le rapport contiendra également une vingtaine de recommandations et sera disponible sur le site web du CÉIM, souligne sa directrice. Au terme du processus, nous souhaitons créer un réseau de chercheurs, issus de différentes régions du pays, qui maintiendra des liens avec des responsables gouvernementaux et des organisations de la société civile.»