La seule alternative à la vieillesse, c’est de mourir jeune, dit la sagesse populaire. Mais pourquoi vieillit-on? Peu importe que l’on mange bien, que l’on fasse de l’exercice, que l’on se tienne à l’abri des maladies, à partir d’un certain âge, nos cellules cessent de se diviser, nos tissus se flétrissent, nos ligaments se calcifient, nos os deviennent poreux, nos réflexes diminuent, on vieillit… Mais pourquoi? Et pourquoi l’être humain a-t-il une espérance de vie de plus ou moins 80 ans, alors que certaines tortues peuvent vivre jusqu’à 150 ans?
En fait, il semble que nous soyons programmés génétiquement pour vieillir. «Au cours de la vie d’un individu, les gènes ne s’expriment pas tous au même moment, explique le professeur du Département de sciences biologiques Denis Réale, un spécialiste de l’évolution. Selon une hypothèse, la sélection naturelle est plus efficace pour sélectionner les gènes qui s’expriment tôt dans la vie et qui sont susceptibles d’être transmis à notre descendance. Elle l’est moins pour empêcher l’accumulation de gènes délétères qui se manifestent plus tard, après que l’individu ait eu la chance de se reproduire.» Autrement dit, après avoir transmis nos gènes, peu importe que notre carcasse se détériore!
Si le cycle qui va de la naissance à la mort en passant par la croissance et la vieillesse semble inexorable, celui qui caractérise la bête humaine n’a pourtant rien à voir avec celui du moustique, qui vit à peine deux à trois semaines, ou celui du poisson koï, ce poisson rouge que l’on admire dans les étangs japonais et dont l’espérance de vie dépasse 200 ans. Mort en 1977, le plus vieux spécimen connu, Hanako, était né en 1751 et avait survécu à plusieurs propriétaires. De rares espèces, comme les tardigrades, des animaux microscopiques, sont capables d’interrompre leur développement si les conditions ne sont pas favorables ou même de revenir à un état juvénile, comme l’exceptionnelle méduse Turritopsis nutricula, théoriquement éternelle!
L’être humain, avec son espérance de vie de 80 ans (et un record de 122 ans pour la Française Jeanne Calment), supplante tout de même la plupart des mammifères (sauf certaines baleines pouvant vivre 100 ou même 200 ans), que ce soit le loup, le dromadaire ou l’éléphant, la plupart des oiseaux, des poissons ou des reptiles. Mais il y a des exceptions: la tortue géante des Seychelles, notamment, qui peut vivre plus de 150 ans. Chez les invertébrés, on atteint des âges encore plus impressionnants. Un mollusque vivant sur les côtes islandaises, Arctica islandica, dont on peut calculer l’âge en comptant les anneaux de croissance visibles sur son coquillage, aurait atteint l’âge vénérable de 507 ans! Mais ce sont les coraux qui battent tous les records: certaines colonies de Lophelia pertusa qui vivent dans les eaux froides de la Norvège seraient âgées de plus de 8000 ans…
Un compromis évolutif
Au regard de l’évolution, toutes les espèces, y compris la nôtre, représentent un compromis entre les deux grandes stratégies démographiques qui existent dans la nature, dit Denis Réale. «La sélection naturelle a produit, sur des millions d’années, des combinaisons de gènes qui ne sont pas aléatoires et qui dictent la longévité de chaque espèce. »
Première stratégie: sacrifier la longévité pour se reproduire le plus rapidement possible. C’est la stratégie des espèces caractérisées par une croissance rapide, une maturité sexuelle précoce, une fécondité élevée, un faible investissement parental et une mortalité élevée. C’est le cas des moustiques ou des souris. «Le coût de la reproduction est très élevé, comme tous les parents le savent, note le biologiste avec un sourire. Un individu qui se reproduit met à mal sa capacité de maintenir ses tissus.»
Seconde stratégie: adopter un rythme plus lent. Ces espèces, dont la nôtre, se caractérisent par une croissance plus lente, une maturité sexuelle tardive, une faible fécondité, un investissement parental important et un taux de survie élevé. Elles vivent plus longtemps. «Évidemment, un éléphant ne peut pas décider de devenir une souris, souligne Denis Réale. Nous naissons avec ce programme génétique, même si on observe d’importantes variantes à l’intérieur d’une même espèce. Le petit ver C. elegans vit en moyenne quatre jours, mais certains mutants survivent jusqu’à 50 jours!»
Sénescence humaine
Notre espèce, de type lent, est aussi caractérisée par la période de sénescence qui marque la fin de sa trajectoire. «Pendant longtemps, les biologistes croyaient que la sénescence, qui se traduit par une baisse de la capacité de reproduction, ne touchait que les humains ou les animaux en captivité, dit Denis Réale. Même si ce phénomène est difficile à mettre en évidence, on sait aujourd’hui qu’on le retrouve aussi dans la nature. On l’observe chez les grands mammifères, mais aussi chez les ongulés ou même dans des espèces à durée de vie très courte comme les petits rongeurs ou certains oiseaux.»
Si l’on constate un déclin dans la fréquence des naissances chez ces animaux, la ménopause semble un phénomène typiquement humain. Pour expliquer cette longue période pendant laquelle la femme survit à l’arrêt de sa capacité de reproduction, on a émis l’hypothèse de l’effet grand-maternel. «Selon cette hypothèse, la grand-mère, en participant aux soins de sa descendance, améliorerait les chances de survie et de reproduction de ses petits-enfants et ainsi la transmission de ses propres gènes», explique Denis Réale.
Transmettre nos gènes. C’est ce pourquoi tous les organismes vivants sont programmés. «Vieillir et mourir, cela fait peur, dit le professeur. Mais n’oublions pas que c’est grâce à la mort que nous sommes là. Sans la mort, il n’y aurait pas besoin de se reproduire. La mort est essentielle à la diversité des formes de vie.»
Pourquoi les chiens vivent-ils seulement 10 ans en moyenne?
Le professeur Denis Réale, du Département de sciences biologiques, répondait récemment à une question d’un auditeur de l’émission scientifique Les Années Lumières, à Radio-Canada. L’auditeur se demandait pourquoi les chiens vivent seulement 10 ans en moyenne, alors que le loup ou le chat ont une espérance de vie deux fois plus longue. Explication de Denis Réale: au cours du processus de domestication du loup pour en faire un animal domestique, le génome des différentes races a été considérablement appauvri, ce qui pourrait expliquer la longévité moindre des chiens, particulièrement ceux de certaines races.