Le savoir universitaire a longtemps été symbolisé par le livre, creuset de toutes les connaissances léguées aux générations suivantes. Les récentes avancées technologiques transposent de plus en plus les écrits scientifiques dans l’univers numérisé, mais les étudiants fréquentent encore les bibliothèques. La preuve: les ouvrages qu’ils empruntent reviennent parfois salement amochés! À l’UQAM, une équipe de choc – le traitement matériel – veille à réparer les documents endommagés par le passage du temps, la malchance ou la bêtise humaine.
«Nous recevons environ une centaine d’ouvrages à réparer chaque mois», affirme André Robert, bibliothécaire et responsable de la gestion de la production institutionnelle, qui chapeaute les activités du traitement matériel. Dans leur local, situé à la Bibliothèque centrale, les quatre commis de l’équipe – Marlène Comtois, Sylvie Therrien, Ariane Geoffroy-Coderre et Sylvie Laporte – ainsi que la technicienne en documentation qui les supervise, Maryse Héon, nous attendent au milieu de leurs outils – briques et plaques de métal qui servent de poids, séchoirs, tranches, colles, pinceaux, presse, coupe-papier, étaux, agrafeuses – avec quelques «beaux» exemples d’ouvrages endommagés.
Taches de café, surlignage et pages arrachées!
Les cas de figure les plus courants sont les taches de café, les pages pliées, le soulignage et les notes dans les marges – on peut effacer celles qui sont faites au crayon de plomb, mais autrement il n’y a rien à faire – et le surlignage. L’équipe du traitement matériel en voit passer de toutes les couleurs, c’est le cas de le dire ! «On a même ici un exemple de livre dont un morceau a été arraché par un chien», souligne en riant Maryse Héon.
Le pire ennemi des livres est l’eau, ajoute la technicienne en désignant un ouvrage dont les pages, gondolées, ont même été tachées par la couleur de la page couverture délavée. «Le papier est fragilisé. Il n’y a rien à faire dans ce cas. Nous allons conseiller d’en acheter une nouvelle copie.» Que les lecteurs de baignoire se le tiennent pour dit!Mais savez-vous, demande-t-elle, ce qui abîme particulièrement les livres? Les chutes prévues pour le retour des volumes, où les documents s’empilent un peu n’importe comment. «Hélas, on n’a pas trouvé de solution à ce problème…»
Certaines réparations ne prennent que quelques minutes, tandis que d’autres peuvent accaparer les spécialistes pendant une demi-journée. Les pages pliées sont les plus faciles à réparer, car on n’a qu’à les déplier et mettre l’ouvrage sous un poids afin qu’il reprenne sa forme initiale. «Certains livres nous arrivent toutefois avec un nombre tellement élevé de pages pliées que cela fait augmenter son volume. Il y a des dos d’ouvrage qui se brisent à cause de ça», souligne Ariane Geoffroy-Coderre, commis au traitement matériel.
Certains usagers arrachent carrément des pages. «Ce sont souvent des pages d’images ou même des bibliographies complètes», révèle Ariane Geoffroy-Coderre. Si les Bibliothèques possèdent d’autres exemplaires de l’ouvrage à réparer, les commis pourront photocopier la ou les pages manquantes et les insérer. «Autrement on doit passer par le prêt entre bibliothèques pour qu’une autre institution nous achemine l’ouvrage en question», ajoute Ariane. «Il y a des cas de livres rares ou de catalogues d’exposition, par exemple, où c’est plus compliqué de dénicher un autre exemplaire», note André Robert.
Un traitement esthétique
Puisque les livres ne sont pas tous reliés de la même façon – certains sont collés, d’autres cousus – les réparations varient. Lors de notre visite, la reliure d’un livre d’art avait été défaite pour qu’on puisse recoudre un cahier et ensuite refaire la finition avec des matériaux de la même couleur. «Les commis sont sensibilisées à l’esthétique d’un ouvrage, notamment pour les catalogues d’art», remarque Anne Bourgeois, directrice du Service de l’acquisition et du traitement des ressources documentaires.
Les livres à couverture souple, comme les romans, s’endommagent rapidement, car ils sont souvent empruntés et on les dépose parfois ouverts face contre table, souligne Ariane Geoffroy-Coderre. «Dans le cas de ce roman de Yasmina Khadra, dit-elle en désignant une couverture en lambeaux, on a pris un autre exemplaire, on a fait une photocopie couleur de la couverture sur un carton, on l’a plastifiée et on a pu remettre à neuf l’ouvrage abîmé. On effectue souvent ce type de réparation.»
Réparer plutôt que remplacer
«Pourquoi ne rachète-t-on pas systématiquement les ouvrages trop abîmés, comme ce livre de poche, qui est sans aucun doute encore disponible sur le marché?, demande Anne Bourgeois. Parce qu’on ne doit pas uniquement tenir compte du coût d’acquisition, mais aussi de celui du traitement – plastifier la couverture, mettre la cote et le code barre, estampiller les tranches, magnétiser l’ouvrage. On évalue ce dernier à 30 dollars. Dans ce cas-ci, le travail réalisé en photocopiant la page couverture nous a permis d’économiser beaucoup!»
Sur l’une des tables de travail, une carte géographique est vraiment amochée. «Des gens ont essayé de la réparer sommairement avec du masking tape, note Sylvie Laporte. Nous gratterons d’abord pour enlever la colle du ruban, puis nous renforcerons les endroits fragilisés par les plis avec du papier japonais.»
L’équipe du traitement matériel se creuse chaque fois les méninges pour trouver la meilleure solution possible. «À la maison, on ne se casse pas trop la tête avec une page déchirée en biseau, souligne Maryse Héon. On met du papier collant et c’est tout. Ici, il faut s’assurer d’utiliser un ruban adhésif désacidifié – autrement il va jaunir, abîmer le papier et fera peut-être même couler l’encre.»
Les quatre commis du traitement matériel ont suivi l’hiver dernier une formation de 30 heures sur les techniques de réparation, donnée par un atelier de reliure. «Cela leur a permis de connaître de nouveaux outils et de nouveaux matériaux, souligne Anne Bourgeois. Par exemple, il faut connaître les bons types de colle et de corde pour effectuer les réparations les plus judicieuses.»
L’équipe suivra une seconde formation de 30 heures cet automne, cette fois sur les techniques de conservation. «C’est un défi qui se posera de plus en plus, explique Anne Bourgeois. Entre autres, nous avons un nombre élevé de partitions pour lesquelles nous devrons concevoir des boîtiers.» Certains livres d’art requièrent aussi un boîtier afin d’être bien protégés. «Nous avons visité le Service des archives et de gestion des documents pour voir le type de boîtiers qu’ils utilisent», raconte Ariane Geoffroy-Coderre, en nous montrant une partition récemment réparée.
Au fil de leur formation, les «relieuses» ont glané quelques trucs. Elles se servent par exemple d’un vieil étau pour réparer le dos des ouvrages. ««On chauffe le dos, on gratte la colle, on met le livre dans l’étau et on peut travailler à l’aise pour poser la mousseline», explique Sylvie Therrien, qui nous fait également une démonstration de l’utilité du papier sablé pour blanchir les tranches jaunies par le temps !
Une question de respect
Les commis du traitement matériel adorent visiblement leur travail, mais on n’encouragera pas pour autant le vandalisme des livres de l’UQAM! «Des accidents peuvent survenir, mais, dans deux cas sur trois, le bris est évitable, estime Anne Bourgeois. Écrire ou souligner dans un livre, plier ou arracher une page, c’est irrespectueux du bien collectif. Et cela entraîne des coûts.»
Il faut aussi que les usagers prennent conscience que les documents endommagés sont retirés de la circulation le temps de la réparation, privant ainsi d’autres usagers, souligne André Robert. «La personne qui ne prend pas soin d’un ouvrage peut très bien se retrouver être celle qui empruntera un ouvrage abîmé ou illisible, qui ne lui servira pas comme elle l’aurait souhaité, conclut Maryse Héon. Il faut penser aux suivants!»