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Sur les traces de Louis de Lentaigne 

Un étudiant réussit à identifier une épave datant de 1754 en remontant la piste de son ancêtre.

Par Pierre-Etienne Caza

4 octobre 2016 à 13 h 10

Mis à jour le 7 juin 2022 à 10 h 23

Un plongeur sur le site du naufrage du Jean Joseph, lors des fouilles subaquatiques menées en 1981.Photo: André Lépine, Comité d’histoire et d’archéologie subaquatique du Québec, 1981.

Un navire naufragé, un ancêtre qui y a survécu, des batailles entre Inuits et marins français, des artefacts identifiés plus de 250 ans plus tard et un apprenti historien qui va de découverte en découverte. Il ne s’appelle pas Robert Langdon, comme l’historien du Da Vinci Code, mais presque! Robert Lanteigne est étudiant au certificat en histoire et il a reçu en juin dernier le prix Percy-W.-Foy de la Société généalogique canadienne-française pour sa contribution à l’avancement de l’histoire et de la généalogie.

Robert LanteignePhoto: Nathalie St-Pierre

La généalogie de la famille Lanteigne, dont les racines canadiennes sont au Nouveau-Brunswick, était déjà bien établie quand Robert Lanteigne s’y est intéressé de plus près il y a une dizaine d’années. «Sauf que personne ne savait comment mon ancêtre Louis de Lentaigne était arrivé en Nouvelle-France, raconte le chercheur. On supposait qu’il avait embarqué sur le même navire que son frère Jean, passager sur le Prudent de Granville en 1755.» C’est en consultant plusieurs documents, dont des rôles d’équipage de navires venant de Granville et de Saint-Malo (obtenus des Archives maritimes de Brest) que Robert Lanteigne a retrouvé la trace de son ancêtre, passager à bord du Jean Joseph de Saint-Malo en 1754. Une inscription dans la marge du rôle d’équipage a attiré son attention. «Il était indiqué que le navire avait fait naufrage en avril 1754 dans la baie de Gaspé – il a été pris en tenaille dans les glaces pendant quelques jours avant de sombrer. Heureusement, tous les passagers ont survécu», précise-t-il.

En furetant sur le web, Robert Lanteigne découvre un article de l’archéologue André Lépine, qui avait fait des fouilles dans la baie de Gaspé dans les années 1980, s’intéressant à un navire inconnu. «Les informations inscrites au rôle du navire que j’avais entre les mains – tonnage du navire et nombre de canons – correspondaient aux informations mentionnées dans l’article», relate-t-il. Des archéologues conseillent à Robert Lanteigne d’aviser le ministère de la Culture et des Communications (MCC) afin de consigner cette nouvelle information dans l’Inventaire des sites archéologiques du Québec. «Les gens du MCC m’ont encouragé à explorer davantage le sujet et à contacter Jean Bélisle, chargé de projet des fouilles subaquatiques du site en question dans les années 1980 et professeur en histoire de l’art à l’Université Concordia. J’ai eu accès aux rapports des fouilles archéologiques, qui m’ont permis de valider mon hypothèse. Je venais d’identifier une épave!»

Le canon du navire Jean Joseph qui «dormait» dans le sous-sol du Musée Stewart fait désormais partie d’une exposition permanente au Musée de la Gaspésie.
Photo: Musée de la Gaspésie.

Encore mieux: des artefacts du Jean Joseph «dormaient» depuis des années dans le sous-sol du Musée Stewart, car personne n’avait été en mesure d’identifier le navire auquel ils appartenaient. «Ces artefacts – dont un canon, des boulets, des grenades, des plombs de pêche et une poulie – ont été transférés au Musée de la Gaspésie, qui a, depuis, mis sur pied une exposition permanente», raconte fièrement Robert Lanteigne. C’est à cette occasion qu’il a rédigé le texte intitulé «Pourquoi l’épave de Pointe-Jaune est le Jean Joseph de Saint-Malo,» paru dans le magazine Gaspésie. L’article qui lui a valu le prix Percy-W.-Foy, «Louis de Lentaigne – Naufragé du navire Jean Joseph de Saint-Malo dans la baie de Gaspé en 1754», a été publié dans la revue Mémoires de la Société généalogique canadienne-française à l’été 2015.

Robert Lanteigne, qui travaille pour une entreprise de distribution d’énergie, s’est inscrit au certificat en histoire en 2010. «Je voulais acquérir une méthode de recherche pour pouvoir écrire un ouvrage», confie-t-il.

Le Petit Nord

Le chercheur s’est rendu à Terre-Neuve sur les traces de son ancêtre et du Jean Joseph, qui avait effectué plusieurs expéditions avant son naufrage en 1754. «Une des régions préférées des pêcheurs malouins était le Petit Nord, situé dans l’extrémité nord de la péninsule de Terre-Neuve, au centre du littoral réservé à la pêche à la morue, communément appelé le French Shore», explique Robert Lanteigne.

En consultant les rôles d’équipage des navires de Saint-Malo et de Granville ainsi que les rapports des capitaines obtenus des archives départementales d’Ille-et-Vilaine, il en vient à s’intéresser aux notes indiquant «tué par les sauvages» dans les marges à côté des noms de certains passagers. En recoupant différents témoignages historiques, il découvre que les 27 croix anonymes d’un petit cimetière situé à Ship Cove sont probablement celles de pêcheurs malouins tués par des Inuits. «Ni la French Shore Historical Society, ni l’Université Memorial de Terre-Neuve-Labrador n’avaient pu dire à qui appartenaient ces sépultures», souligne le chercheur.

« Notre histoire, c’est beaucoup plus que la traite des fourrures. »

Robert lanteigne

Étudiant au certificat en histoire

Il rédige ensuite un article intitulé «Le Mythe Thévenard et les conflits entre les pêcheurs malouins et les Inuits du Petit Nord de 1749 à 1765», qu’il publie en 2014 dans la revue étudiante Le Manuscrit. Le mythe en question voudrait que l’officier de marine Jean-Marie Antoine Thévenard ait pris part à une expédition pour «détruire les établissements des Esquimaux». «Les archéologues et les historiens de l’Université Memorial ont toujours eu des réserves à l’égard des témoignages de Thévenard, explique Robert Lanteigne. Mon article apporte un nouvel éclairage en établissant clairement que plusieurs navires s’arrêtaient au Petit Nord pour la pêche à la morue et que des conflits pour le territoire éclataient inévitablement avec les Inuits, sans pour autant qu’il y ait eu une expédition guerrière en bonne et due forme.» Son article sur le sujet a été cité à deux reprises en référence dans des textes des chercheurs Peter Pope, professeur d’archéologie à l’Université Memorial, et du biologiste Greg Mitchell, parus dans la revue Études Inuit Studies.

L’étude des allées et venues des bateaux français dans l’estuaire du Saint-Laurent durant le 18e siècle fascine Robert Lanteigne, d’autant plus qu’il a découvert que son ancêtre a effectué plus d’une traversée de l’Atlantique. «Je m’aperçois que la pêche à la morue et les activités l’entourant ont été négligées dans l’histoire canadienne. Il s’agissait pourtant de l’un des moteurs de la vie économique de l’époque. Le Petit Nord était une plaque tournante de ce commerce. Bref, notre histoire, c’est beaucoup plus que la traite des fourrures.»

Robert Lanteigne poursuit son cheminement au certificat en histoire. La généalogie de sa famille lui a ouvert les portes de l’histoire maritime et il a développé une passion évidente pour le domaine. «Mes travaux ont pu faire avancer, aussi modestement soit-il, les connaissances historiques, et, en plus, j’ai eu la chance d’en découvrir davantage sur l’arrivée de mon ancêtre en Nouvelle-France», conclut-il avec bonheur.