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«En classe!»: design international

Des étudiants en design participent à la scénographie d’un spectacle de Pierre Lapointe.

Série

En classe!

Par Valérie Martin

17 mai 2016 à 13 h 05

Mis à jour le 2 juin 2022 à 21 h 54

Les étudiantes Adèle Lacas et Thisbée Kolk, du D.E.S.S. en design d’événements, font bouger des petits modules et des personnages en papier sur une maquette représentant une salle de spectacle, sous l’œil attentif de Jana Taillade, du baccalauréat en design graphique, qui capte chaque déplacement des objets au moyen de sa caméra. Un décor qui nous replonge en enfance. «Nous sommes en train de produire une vidéo en stop motion pour donner une idée du déroulement du spectacle, du point de vue de la scénographie», explique Jana Taillade.

La designer industriel matali crasset (sans majuscules) observe également la scène. Star française du design industriel et ancienne collaboratrice de Philippe Starck, la Parisienne est de passage à Montréal pour donner un atelier intensif aux étudiants de la classe des professeurs Céline Poisson et Maurice Cloutier, de l’École de design. L’atelier fait partie de Design international, un événement annuel d’une semaine qui permet aux étudiants de l’École de parfaire leur apprentissage au contact de créateurs, de chercheurs et de praticiens de réputation internationale œuvrant dans différents champs d’activité du design. Réalisé en étroite collaboration avec le chanteur Pierre Lapointe et la comédienne Sophie Cadieux, le projet consiste à créer la scénographie d’un spectacle à grand déploiement qui sera présenté durant le festival des Francofolies, en 2017, à la Maison de l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM).

«Ce serait bien d’accompagner la vidéo d’un storyboard, un scénario qui nous permettrait de partager nos idées et nos suggestions avec les autres créateurs du spectacle, propose matali crasset aux étudiantes. Cela pourrait leur donner des pistes.» Les trois jeunes femmes opinent du bonnet. «L’image n’est pas suffisante, il faut mettre des mots précis sur nos réflexions; expliquer notre démarche», poursuit l’artiste.

Un clin d’œil à Expo 67

Le module à quatre côtés est une idée de matali crasset. «J’ai voulu proposer une trame simple tout en laissant aux créateurs une large palette de possibilités, explique la designer. Je veux permettre aux étudiants et aux créateurs de s’approprier l’objet, de pouvoir s’exprimer et s’amuser avec ce dernier.» Une philosophie qu’elle applique dans son travail de designer au quotidien. «J’aime proposer des plateformes, des structures et des choses en évolution. Je donne un potentiel et c’est aux gens de l’utiliser à leur manière.»

Pour la conception des objets du spectacle, la designer industriel s’est inspirée de l’exposition universelle Expo 67et de l’architecture modulaire propre à cette époque. «C’est un système architectural qui permet beaucoup de liberté et qui représente également l’esprit du temps, dit-elle. Pour moi, le module, c’est Montréal!» Les modules seront intégrés dans quatre univers différents du spectacle (végétal, urbain, sensitif / émotif, et macro), lesquels ont été choisis par Sophie Cadieux et Pierre Lapointe.

Le projet a ceci de particulier qu’il est en train de se construire. «La scénographie est en amont du spectacle, précise matali crasset. C’est un projet expérimental et audacieux. Notre ambition, c’est de créer un monde à part entière.»

La création d’un univers unique

Les 16 étudiants qui participent à l’atelier, parmi lesquels on retrouve des finissants au baccalauréat en design graphique et des étudiants du D.E.S.S. en design d’événements, ont été appelés à concevoir l’imaginaire du spectacle et à expérimenter avec les différentes propositions apportées par les créateurs (modules, univers, etc.). «Ils ont pour mandat de montrer tout le potentiel scénique des modules et de nourrir les créateurs en apportant leurs idées au projet», précise matali crasset.

matali crasset en pleine discussion avec des étudiants. Photo: Nathalie St-Pierre

«Lorsque Pierre Lapointe m’a approchée pour travailler avec lui sur le concept de son prochain spectacle, il nous est apparu naturel de le partager avec les étudiants de l’UQAM», raconte matali crasset. Cette dernière n’en est pas à sa première collaboration avec l’École de design, puisqu’elle a déjà exposé au Centre de design, en 2009 et en 2015, dans le cadre des expositions collectives Paris / Design en mutation et 24 h dans la vie d’un coucou suisse. «Pierre Lapointe a des liens forts avec l’École de design et connaît bien la réputation de l’École», ajoute la professeure Céline Poisson.

Comme les étudiants disposent de peu de temps, dans le cadre de l’atelier, pour mettre au point leurs créations, il était important pour matali crasset d’arriver avec une proposition précise. «On n’a pas de plan B, lance-t-elle. Il a fallu rapidement établir les univers du spectacle et travailler la dynamique et l’intégration des modules en lien avec les différents univers.»

Les premières journées de l’atelier ont été dédiées à une rencontre avec les créateurs du spectacle, Pierre Lapointe et Sophie Cadieux, afin de discuter du concept. «Les étudiants ont pu entendre des compositions sur lesquelles planche actuellement Pierre Lapointe. C’est excitant puisque tout est en train de se créer, témoigne Céline Poisson. On accompagne la réflexion sur le contenu, on entre dans l’univers des créateurs par le son et l’image. C’est très précieux pour les étudiants. Pour eux, le défi est de traduire cet univers dans un langage propre au design.»

Les participants ont pu visiter la Maison symphonique de l’OSM et admirer l’orgue de l’orchestre, un élément important du concert à venir. Ils ont aussi fait des recherches d’archives sur Expo 67 et regardé des films de science-fiction pour s’inspirer de leurs univers futuristes et éclatés. En classe, ils ont fabriqué une maquette représentant la salle de l’OSM et construit les modules. «C’est un projet qui nécessite des expertises diversifiées, précise Céline Poisson. Chaque étudiant met l’épaule à la roue en fonction de son savoir-faire et de son expérience. Les décisions sont prises ensemble en discutant, c’est un projet commun.»

En ce mercredi, à mi-parcours de l’atelier, les étudiants continuent de tester leurs prototypes. Lisette Abadie, du D.E.S.S. en design d’événements, et Elena Radeva, étudiante libre provenant de l’Université de Montréal, équerres à la main, conçoivent une série de modules à l’échelle sur des papiers mats, brillants et colorés qu’elles colleront sur des matériaux plus rigides. «On fait des tests pour voir comment on peut bouger avec les modules et comment on peut les porter, tout cela afin de mieux comprendre le rapport au corps, explique Elena Radeva. On cherche la légèreté afin de pouvoir les manipuler avec aisance.»

Agathe Morin et Josianne Martin, du baccalauréat en design graphique, conçoivent l’univers graphique du spectacle. «On joue avec les mêmes concepts que la scénographie, mais de manière plus abstraite», résume Josianne Martin.

Jérôme Gagnon, du baccalauréat en design graphique, est à la recherche du matériau idéal pour la conception finale des modules. «J’essaie de trouver la meilleure solution possible entre le poids et la solidité. Les modules doivent être à la fois légers et solides pour pouvoir être facilement manipulés», explique l’étudiant, pendant que le reste de son équipe procède à la construction d’un premier prototype en bois à l’atelier multitechnique. «Comme le matériau utilisé pour le produit fini ne sera pas livré à temps, nous avons quand même fait un premier essai en bois pour voir», ajoute-t-il.

Un technicien de l’atelier multitechnique conseille une étudiante.Photo: Nathalie St-Pierre

«Pour l’instant, les étudiants expérimentent le maximum de choses, précise matali crasset. Nous ferons par la suite nos recommandations à l’équipe de création du spectacle.»

Jeanne Salvail-Lacoste et Maude Frenette-Roy, du D.E.S.S. en design d’événements, fabriquent de petits tuyaux en bois qui serviront à la conception de la maquette de l’orgue de l’OSM. «On a un peu triché: la maquette n’aura pas le même nombre de tuyaux que l’orgue original!», pouffe Jeanne Salvail-Lacoste.

«Ce qui est le plus important, ce n’est pas la technique derrière la scénographie, mais l’intelligence humaine, expose matali crasset. Plus il y a de créateurs qui participent à un projet, plus il y a d’expériences partagées et plus il y a de potentiel. C’est ce ”potentiel d’humanité” que les spectateurs pourront capter en regardant le spectacle», espère la designer.

Des conférenciers influents

Les conférenciers et professeurs ayant participé à la dernière édition de Design international, qui s’est déroulée du 7 au 14 mai derniers, étaient Marion Beernaerts, designer industriel et professeure à l’École nationale supérieure des arts visuels de la Cambre, en Belgique, invitée du cours du professeur Koen de Winter (design d’objet); Jean-François Martin, illustrateur pour la presse française, invité du cours de la professeure Lyne Lefebvre (design d’illustration); l’architecte et charpentier Alexander Römer, du réseau européen constructlab et du collectif EXYZT, invité du cours des professeures Céline Poisson et Carole Lévesque (design d’événements); et Andrew Todd, architecte et scénographe, invité du cours du professeur Philippe Lupien (design d’édifice). Chaque atelier intensif d’une semaine donne droit à trois crédits.