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Éduquer à la sexualité

Un projet pilote vise à mieux encadrer et soutenir les apprentissages en milieu scolaire.

Par Pierre-Etienne Caza

7 juin 2016 à 15 h 06

Mis à jour le 7 juin 2016 à 15 h 06

Photo: iStock

La professeure Francine Duquet, du Département de sexologie, siège depuis un an à un comité consultatif sur l’éducation à la sexualité, piloté par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. «Le mandat du comité est de conseiller le ministre sur la mise en œuvre des apprentissages en éducation à la sexualité», précise-t-elle. Un projet pilote, amorcé depuis mai 2015 dans 19 écoles du Québec, vise à s’assurer que tous les élèves fassent des apprentissages en éducation à la sexualité, en fonction de leur âge et de leur niveau de développement sur des sujets comme la croissance sexuelle et l’image corporelle, les stéréotypes sexuels et les normes sociales, la vie amoureuse et la prévention de la violence sexuelle.

Même si les cours de Formation personnelle et sociale (FPS), qui comportaient un volet sur la sexualité, ont été abolis au début des années 2000, l’éducation à la sexualité n’est jamais disparue complètement des écoles du Québec, comme l’ont laissé croire certains médias à l’annonce du projet pilote. Cependant, avec la nouvelle façon de faire basée sur l’implication du personnel scolaire et d’autres intervenants issus du réseau de la santé, des services sociaux et du milieu communautaire, ce que reçoivent les élèves peut varier grandement d’une école à l’autre. Ce projet pilote a pour but de mieux encadrer les différents intervenants en éducation à la sexualité pour qu’ils puissent s’approprier la démarche préconisée par la réforme.

Le cours de FPS

Ceux qui ont fréquenté l’école québécoise dans les années 1980 et 1990 se rappellent sans doute du cours de FPS, qui contenait, outre le volet d’éducation à la sexualité, des volets sur la santé, les relations interpersonnelles, la consommation et la vie en société. Le cours, obligatoire tant au primaire qu’au secondaire, était de 25 heures par année. «C’était généralement l’enseignant spécialisé dans l’enseignement moral ou religieux qui donnait le cours, parfois avec la collaboration d’une infirmière ou d’un intervenant externe pour aborder certains sujets plus pointus», raconte Francine Duquet.

«Lors des États généraux sur l’éducation, à l’automne 1995, peu de gens sont allés défendre le cours de FPS.»

Francine Duquet

Professeure au Département de sexologie

Le programme FPS n’a pas toujours été donné dans son intégralité et, avec les années, il a mal vieilli. «Il aurait eu besoin d’une mise à jour afin de l’adapter aux nouvelles réalités sociosexuelles, poursuit la professeure. Mais lors des États généraux sur l’éducation, à l’automne 1995, peu de gens sont allés défendre le cours de FPS. On l’a aboli au profit d’une nouvelle formule qui s’arrimerait aux visées du Programme de formation de l’école québécoise.»

La réforme

Depuis la réforme pédagogique, mise en place au début des années 2000, l’éducation à la sexualité n’est plus intégrée dans un programme formel. «Les études démontraient – et démontrent toujours – que l’impact est plus grand lorsque l’éducation à la sexualité est intégrée dans une variété de matières et offerte par des intervenants aux expertises diverses», explique Francine Duquet. Des ancrages sont possibles dans plusieurs disciplines du cursus scolaire: le cours Science et technologie se prête bien à l’éducation à la sexualité, car on peut y aborder, entre autres, des thèmes liés à la biologie (puberté, ITSS, contraception, etc.), tout comme le cours d’Éthique et culture religieuse, dans lequel on peut traiter des relations interpersonnelles, aborder le respect de la différence et réagir à l’homophobie et au sexisme. «Même dans les cours de français et d’anglais, la sexualité peut être un élément de contextualisation des apprentissages, quand les élèves lisent un roman sur les relations amoureuses, par exemple, ou qu’on présente une vidéo éducative en anglais sur le consentement sexuel. L’infirmière scolaire ou une sexologue peuvent être mises à contribution. Mobiliser une diversité d’expertises est une formule intéressante, en gardant à l’esprit que tous les intervenants ne seront pas impliqués au même niveau.»

«Les études démontraient – et démontrent toujours – que l’impact est plus grand lorsque l’éducation à la sexualité est intégrée dans une variété de matières et offerte par des intervenants aux expertises diverses.»

Le principal défi de cette démarche était de mobiliser les directions d’école et le personnel scolaire. Il ne s’agissait plus de l’enseignement d’une «matière» par une seule personne. Cela nécessitait de mettre à contribution plusieurs intervenants «motivés et volontaires». «Si tout le monde peut le faire, personne ne le fera», craignaient certains critiques à l’époque. «Ils n’avaient pas tort, dit Francine Duquet. Il fallait offrir du soutien afin d’inciter les intervenants à s’approprier les contenus et la démarche pédagogique.» La chercheuse a rédigé en 2003 un document pour le compte du ministère. «J’avais insisté pour intégrer en annexe des exemples d’activités d’apprentissage afin que les enseignants sachent comment aborder les thèmes proposés», se rappelle-t-elle.

Dès janvier 2004, Francine Duquet a donné des formations à travers le Québec sur la manière d’implanter l’éducation à la sexualité en lien avec les ressources de chaque milieu. «Les directions d’école, le personnel scolaire, les intervenants du réseau de la santé et des services sociaux et ceux du milieu communautaire étaient invités, tout comme les parents, raconte-t-elle. Il fallait s’assurer, entre autres, que les directions d’école puissent coordonner adéquatement la démarche et assurent un certain leadership.»

Selon une étude réalisée en 2012 par le ministère de l’Éducation, 67,5 % des écoles consultées couvraient au moins quatre thématiques. «Mais seulement 20,1 % mettaient en œuvre une stratégie qui faisait appel à une planification concertée», note Francine Duquet.

Le projet pilote

Le projet pilote actuel est basé sur les documents de 2003, auxquels on a ajouté des canevas pédagogiques qui détaillent encore davantage le contenu à couvrir, avec de nombreux exemples. «L’objectif est toujours d’aborder l’éducation à la sexualité à travers différentes disciplines», dit Francine Duquet.

En 2015-16, ce sont les classes de 1re, 3e et 5e années des deux niveaux scolaires (primaire et secondaire) qui ont participé au projet. L’automne prochain s’y ajouteront les classes du préscolaire et des 2e et 4e années (primaire et secondaire) ainsi que de 6e année (primaire). «Une équipe du ministère s’occupe de la formation des directions d’écoles, des enseignants et des autres intervenants impliqués dans ce projet pilote. On leur fournit un soutien régulier», mentionne la professeure.

L’évaluation de la première année du projet pilote est en cours. C’est le ministre, à la toute fin du processus, en 2017, qui déterminera si les apprentissages indiqués dans les canevas pédagogiques seront «obligatoires». «C’est ce que l’on souhaite, indique Francine Duquet, car cela incitera les commissions scolaires et les directions d’école à s’investir davantage dans cette démarche.»  

«Il faut que tous les adultes concernés se soucient du développement psychosexuel des enfants et des adolescents pour les aider à mieux comprendre la sexualité dans sa globalité et l’intégrer harmonieusement dans leur vie.»

Francine Duquet sait bien que certaines écoles font actuellement le minimum en matière d’éducation à la sexualité, par manque de ressources, de temps et de concertation, ou carrément par manque d’intérêt. Le projet, qui devrait être étendu à toutes les écoles du Québec dès septembre 2017, pourrait, selon elle, remédier en partie à ce problème, et ce, dans la mesure où l’on soutienne réellement le personnel scolaire.

D’ici là, la professeure salue la persévérance des intervenants qui n’ont jamais cessé de croire au bien-fondé d’une démarche d’éducation à la sexualité et qui ont mené des actions concertées. «J’ai rencontré les gens d’une école en Montérégie où l’on accomplit un formidable travail d’équipe avec le milieu communautaire pour soutenir l’éducation à la sexualité. Une école secondaire de Farnham, par exemple, organise chaque année un colloque sur les relations amoureuses avec les jeunes. Tout le monde est mis à contribution.»

Que l’éducation à la sexualité soit enchâssée dans un programme ou laissée au bon vouloir des directions d’école et des enseignants, le constat est le même: il faut des intervenants motivés, bien outillés et une bonne concertation des ressources. «Il faut que tous les adultes concernés se soucient du développement psychosexuel des enfants et des adolescents pour les aider à mieux comprendre la sexualité dans sa globalité et l’intégrer harmonieusement dans leur vie», conclut Francine Duquet.

La formation des enseignants

Francine Duquet souligne l’importance de la formation des futurs enseignants en matière d’éducation à la sexualité. «Enseigner l’éducation à la sexualité, ce n’est pas comme enseigner les mathématiques, explique-t-elle. Il faut reconnaître les obstacles, parmi lesquels les malaises des enseignants à aborder certains thèmes, et, à ce titre, il importe d’outiller les étudiants en enseignement au primaire et au secondaire pour qu’ils se sentent à l’aise lorsqu’ils se retrouveront devant leurs élèves.»

C’est à la demande des étudiants en Science et technologie que la Faculté des sciences de l’éducation a commandé au Département de sexologie un cours portant sur L’éducation à la sexualité dans l’enseignement secondaire. Francine Duquet a conçu ce cours en 2013. «Ce serait intéressant d’avoir un cours semblable pour les futurs enseignants en éthique et culture religieuse», note-t-elle.

Il y aura également un nouveau cours optionnel sur l’éducation à la sexualité en milieu scolaire dans le nouveau baccalauréat en sexologie.

Dans le cours Éducation à la sexualité en milieu scolaire et social: exigences et enjeux, dont Francine Duquet a la responsabilité, les étudiants à la maîtrise en sexologie (profil recherche-intervention) doivent concevoir un article d’éducation à la sexualité avec des activités d’apprentissage clé en main. «Un jury choisit un ou des articles qui seront publiés dans le magazine Ça s’exprime, le magazine des intervenants menant des activités d’éducation à la sexualité auprès des jeunes du secondaire. C’est le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur et le ministère de la Santé et des Services sociaux qui publient cet outil, recommandé par ailleurs dans les nouveaux canevas pédagogiques et largement utilisé dans les écoles, entre autres», précise Francine Duquet.