Série Tête-à-tête
Rencontre avec des diplômés inspirants, des leaders dans leur domaine, des innovateurs, des passionnés qui veulent rendre le monde meilleur.
Marc-Antoine Cloutier (LL.B., 2014) et Julien David-Pelletier (LL.B., 2015) n’avaient même pas terminé leur bac en droit – en fait, ils le commençaient – quand ils ont lancé Juripop, une clinique ayant pour mandat d’offrir des services juridiques gratuits ou à coût modique aux personnes exclues de l’aide juridique gouvernementale, une aide réservée jusque-là aux assistés sociaux et aux travailleurs à statut très précaire.
En 2009, leur rencontre dans un cours de droit social à l’UQAM sera déterminante. «Nous avons rapidement pris conscience qu’il existait un problème d’accessibilité à la justice, explique Marc-Antoine Cloutier. Un tel constat nous obligeait à réfléchir à notre métier et à nous demander si nous voulions contribuer à perpétuer le système établi.» La même année, au moyen d’une subvention d’un centre d’emploi de la Rive-Sud, Marc-Antoine Cloutier, aidé de Katherine Pelletier, une autre étudiante en droit, met sur pied un organisme à but non lucratif à Saint-Constant: la clinique Juripop. «Julien a été le tout premier bénévole de la clinique», raconte le jeune avocat, aujourd’hui porte-parole et président du conseil d’administration, alors que Julien David-Pelletier agit comme directeur général.
Dès sa mise sur pied, le téléphone de l’entreprise d’économie sociale ne dérougit pas. «Nous comptons parmi nos clients beaucoup de travailleurs au salaire minimum et de familles monoparentales, lesquels n’ont pas les moyens de payer les honoraires d’un avocat en cabinet privé, des frais qui s’élèvent à plus de 150 dollars l’heure», dit Marc-Antoine Cloutier.
Juripop, qui a depuis ouvert une deuxième clinique à Sherbrooke, compte aujourd’hui 15 employés, dont une dizaine d’avocats, et quelque 200 bénévoles. La clinique a signé des ententes avec la Faculté de science politique et de droit et Pro-Bono UQAM afin que les étudiants puissent y effectuer des stages. Plus de 600 étudiants québécois sont passés par Juripop jusqu’à ce jour.
Les membres de Juripop se sont impliqués dans plusieurs causes d’intérêt public. La clinique a conseillé en 2013 la communauté transgenre dans le cadre des modifications apportées au Code civil du Québec à propos de la procédure de changement de sexe. En janvier dernier, elle a pris la défense de consommateurs lésés par les tarifs abusifs du service de covoiturage Uber. «Ce sont des causes très médiatisées qui occupent seulement 5 % de notre temps, mais qui nous donnent 100 % de visibilité!», reconnaît Marc-Antoine Cloutier.
La clinique a aussi mis en place plusieurs projets originaux. «J’ai toujours pensé que la réussite de la clinique passait par des projets porteurs de sens, qui allaient marquer les gens et les sensibiliser à l’endroit de leurs droits et obligations, affirme Julien David-Pelletier. Juripop se veut un vecteur de changement créatif.» Ainsi, la Caravane juridique des aînés sillonne le Québec afin d’offrir aux personnes âgées des ateliers ainsi que des consultations juridiques gratuites avec des avocats et des notaires. De même, des cliniques temporaires ont lieu depuis deux ans dans les corridors du métro Berri-UQAM, en collaboration avec la Chambre des notaires du Québec. Quant au volet Juripop artistes, il permet d’offrir des conseils en matière de propriété intellectuelle et de droits d’auteurs.
«Notre objectif est de démocratiser le rôle de l’avocat, soutient Marc-Antoine Cloutier. Avoir recours à la justice ne doit pas être un geste intimidant.»
La clinique Juripop diffuse sa propre émission de télévision sur les ondes de MAtv. À vos cas animée par Julien David-Pelletier, propose une perspective juridique sur différents sujets d’actualité au moyen de reportages, de débats, de capsules éducatives et humoristiques. La professeure Rachel Chagnon, du Département des sciences juridiques, participe à l’émission.
Les deux fondateurs se disent très fiers des Concours de plaidoirie organisés chaque année dans différentes écoles secondaires. L’activité donne aux écoliers une véritable expérience de la justice. «L’idée, c’est de les réunir autour d’un cas, tel que l’intimidation, qui les touche de près et qui peut avoir des répercussions dans leur vie», explique Julien David-Pelletier.
«Julien a beaucoup d’idées. C’est un artiste, un musicien, et il a développé une multitude de projets qui donnent un caractère unique à Juripop», affirme Marc-Antoine Cloutier. Son collègue est tout aussi élogieux à son endroit: «Marc-Antoine est un vrai militant, dit-il. C’est lui qui pilote la plupart des dossiers d’intérêt public de la clinique et qui a mené toutes les démarches pour nous faire connaître. Grâce à lui, Juripop est devenu un acteur politique important en matière d’accès à la justice.»
Marc-Antoine Cloutier a reçu, en 2015, un prix Hommage de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, soulignant la contribution exceptionnelle de Québécois qui défendent et font la promotion des droits de la personne.
Depuis le 1er janvier 2016, les membres de Juripop ont aussi remporté une importante bataille: le gouvernement du Québec a décidé d’élargir l’accès à l’aide juridique en y incluant les travailleurs au salaire minimum à temps plein et vivant seuls, ainsi que les étudiants et les retraités. Un geste salué par Marc-Antoine Cloutier. «Cela donne un sens à nos revendications, a-t-il déclaré à Radio-Canada. L’aide juridique gouvernementale québécoise est, par le fait même, redevenue le meilleur système d’aide juridique en Amérique du Nord.»
Source:
INTER, magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 14, no 1, printemps 2016.