En janvier dernier, les comédiens Daniel Brière et Alexis Martin sont venus à l’UQAM rencontrer le doyen de la Faculté des sciences Luc-Alain Giraldeau. «Ils souhaitaient discuter avec un éthologue en vue de la création d’une pièce de théâtre illustrant la relation entre les humains et les animaux», explique le spécialiste du comportement animal. Créée par le Nouveau Théâtre Expérimental, Animaux met en scène deux comédiens, Sophie Cadieux et Hubert Proulx, ainsi que de véritables animaux – une vache, une chèvre, un poney miniature, un cochon, un chien, un chat, quatre poules, des grillons (filmés dans leur terrarium) et des poissons (également filmés dans un aquarium). «Je l’ai vue et c’est très réussi», affirme le doyen.
Notre relation à l’animal, pleine d’ambiguïté, peut-elle donner lieu à un véritable dialogue? Lors de sa rencontre avec les créateurs de la pièce, Luc-Alain Giraldeau a insisté sur le fait que les animaux nous sont complètement étrangers. «On ne peut s’empêcher de supposer qu’ils vivent dans une représentation du monde semblable à la nôtre, qu’ils voient et qu’ils entendent, par exemple, les mêmes choses que nous. Mais, au fond, nous n’en savons rien. Je dis souvent aux étudiants qu’ils doivent apprendre à considérer que les animaux, même ceux avec lesquels ils sont familiers, sont des martiens!»
L’être humain, comme l’ensemble des primates, est un animal diurne dont le sens premier est la vision, illustre le professeur. «Le chien, en revanche, vit dans un monde d’odeurs et de sons. Il sent tellement plus de choses que l’homme; nous n’avons probablement pas les mots pour décrire ses expériences olfactives. C’est un tout autre univers.»
Comment savoir si le hamster aime réellement se faire flatter par un enfant ou s’il endure en trouvant cela très désagréable?, s’interroge le doyen. «C’est la science qui pourrait nous le dire, mais il faut beaucoup d’argent pour percer ce genre de mystère.»
Il a fallu des années, par exemple, pour comprendre ce qu’apprécient réellement les poules pondeuses. «On a d’abord pensé qu’elles aimaient courir dehors, avoir plus de liberté, être entourées d’autres poules dans leur cage, etc. On a exploré une foule d’avenues et la recherche a démontré que ce qu’elles apprécient par-dessus tout, c’est la possibilité de prendre un bain de terre. Comme les moineaux, elles adorent se frotter dans le sable ou la terre, c’est même essentiel pour la qualité de leurs plumes. Elles préfèrent aussi être seules. Et ce qu’elles détestent par-dessus tout, c’est être debout sur un grillage! Sans la recherche, nous n’aurions pas pu trouver ces réponses.»
En liberté… surveillée!
Fait inusité, la pièce Animaux est présentée pendant le jour afin de respecter le biorythme des bêtes. «C’est une belle délicatesse de la part des créateurs de s’assurer que les animaux sont à leur meilleur, note Luc-Alain Giraldeau avec un sourire. Surtout lorsqu’on sait qu’il n’y a rien de plus ingrat pour un acteur que de partager la scène avec un animal ou un bébé.» Daniel Brière lui a confié que bébés et animaux monopolisent immédiatement l’attention du public, explique le doyen. «Ils sont d’un naturel désarmant alors que le comédien, lui, s’efforce de paraître naturel!»
Au départ, les deux artistes souhaitaient que les animaux se promènent librement sur la scène, raconte l’éthologue. «Ils ont rapidement réalisé que c’était impossible et je les ai invités à contacter Jacques Dancosse, vétérinaire chercheur au Biodôme de Montréal. Ce dernier leur a donné un coup de main afin d’entraîner le chat à être présent au bon moment et le chien à écouter, à l’aide de petites récompenses.» Les poules, le chien et le chat déambulent donc à leur guise pendant “leur” scène, tandis que la vache et la chèvre, elles, sont guidées par un licou.
Des tableaux réussis
La pièce est divisée en tableaux dépeignant des thématiques choisies. Afin de démontrer, par exemple, que les humains et les animaux peuvent être au même endroit en même temps, mais pas nécessairement dans la même représentation du monde, les créateurs ont créé un tableau, intitulé «Le snobisme», où les comédiens exécutent la cérémonie du thé japonaise, en costume traditionnel, avec un tatami au sol. «Pendant qu’ils servent le thé avec des gestes rituels qui n’ont rien de naturel, qui sont tout à fait arbitraires et pas du tout nécessaires, les poules se promènent autour d’eux. Le contraste est saisissant», souligne Luc-Alain Giraldeau.
Un autre beau moment du spectacle est le tableau représentant l’ennui, raconte le doyen. «Les comédiens se demandent si le poisson est un animal qui s’ennuie. Comme éthologue, c’est une question qui me surprend, car l’ennui est typiquement humain. Un animal qui ne sait pas quoi faire va dormir! Sur scène, on voit deux personnes dans une salle d’attente pendant qu’à l’écran, on nous montre les poissons nageant dans leur aquarium. C’est très onirique comme tableau.»
La pièce s’amorce et se clôt sur la question «Qui est là?» tandis que le chien est seul sur la scène. «Au début de la pièce, on voit le chien selon notre représentation du monde, dit Luc-Alain Giraldeau. À la fin, on est porté à se questionner. Que vit réellement ce chien? Que ressent-il? J’ai quitté la pièce avec l’impression d’avoir assisté à une version artistique du cours que je donne sur le comportement animal. Ils ont relevé le défi avec brio!»
La pièce Animaux est présentée jusqu’au 20 mars à l’Espace libre.