Le Canada et le Québec sont réputés dans le monde pour leurs lois et leurs politiques reconnaissant les droits des personnes de la communauté gaie, lesbienne, bisexuelle, transgenre et queer (LGBTQ). «Ils font en effet figure de leaders dans ce domaine, observe la professeure du Département de sexologie Line Chamberland. Toutefois, même si elles bénéficient d’une égalité juridique formelle, les personnes LGBTQ vivant au Québec demeurent confrontées à des expériences de discrimination, de dévalorisation et d’infériorisation.»
Titulaire de la Chaire de recherche sur l’homophobie, la professeure dirige une équipe de chercheurs qui a reçu une subvention de partenariat de 2,5 millions de dollars sur 7 ans du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) pour le projet SAVoirs sur l’inclusion et l’exclusion des personnes LGBTQ. Ce programme de recherche poursuit trois objectifs: documenter les formes d’inclusion et d’exclusion sociales des personnes LGBTQ dans les domaines du travail, de la famille et des réseaux sociaux; comprendre les parcours de vie des personnes LGBTQ appartenant à différents groupes d’âge; réaliser une analyse critique des politiques publiques québécoises et canadiennes mises en place pour favoriser leur inclusion .
«Il s’agit de la première recherche de cette envergure à l’échelle mondiale. Le programme est exceptionnel par l’ampleur de ses questions de recherche, par sa prise en compte des expériences diversifiées des personnes LGBTQ et par son approche méthodologique quantitative et qualitative.»
Line Chamberland,
Professeure au Département de sexologie
S’inscrivant dans une perspective interdisciplinaire et internationale, le projet rassemble 54 chercheurs issus des milieux universitaires et de la pratique ainsi que 48 organismes institutionnels (ministères), communautaires et syndicaux du Québec, de la France, de la Belgique et de la Suisse. «Il s’agit de la première recherche de cette envergure à l’échelle mondiale, note Line Chamberland. Le programme est exceptionnel par l’ampleur de ses questions de recherche, par sa prise en compte des expériences diversifiées des personnes LGBTQ et par son approche méthodologique quantitative et qualitative.» Une enquête en ligne permettra de rejoindre 5 000 personnes s’identifiant comme LGBTQ et demeurant au Québec depuis au moins cinq ans. De plus, des entretiens seront réalisés avec des personnes LGBTQ de différents âges.
Une égalité sélective
Avant l’adoption du bill ommnibus en1969, l’homosexualité au Canada était criminalisée et considérée comme déviante. Depuis 1990, les Canadiens LGB ont acquis le droit de servir ouvertement dans l’armée, de se marier et d’adopter des enfants. Les lois fédérales, provinciales et territoriales sur les droits de la personne interdisent la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle. Première province à interdire une telle discrimination en 1977, le Québec s’est aussi démarqué en adoptant une politique (2009) et un plan de lutte (2011) contre l’homophobie.
Cependant, seules certaines lois canadiennes interdisent explicitement la discrimination fondée sur l’identité ou l’expression de genre, souligne la chercheuse. «L’égalité juridique ne s’applique pas, ou pas autant, à certaines populations plus marginales ou vulnérables comme les personnes transgenres et transsexuelles. D’ailleurs, la transsexualité est encore perçue socialement comme une forme de pathologie. On sait aussi que les immigrants et réfugiés LGBTQ continuent d’êtres confrontés à des préjugés et à des formes de discrimination.»
Différentes formes d’exclusion
Les avancées en matière d’égalité juridique ne sont pas toujours garantes d’une inclusion sociale. En milieu de travail, des personnes LGBTQ disent être l’objet de discrimination ouverte, de micro-agressions et de traitements différentiels (accès inégal à l’embauche, aux promotions et à divers avantages sociaux). «Un climat de travail sain pour ces personnes est conditionnel à la culture organisationnelle, note Line Chamberland, une dimension sur laquelle les lois ont moins d’emprise. Mais ce climat peut s’améliorer avec l’adoption de politiques antidiscriminatoires locales et de mesures de sensibilisation des employés.»
La famille est souvent une source de soutien majeure, mais elle peut s’avérer source d’exclusion pour les personnes LGBTQ. Plusieurs choisissent ainsi de se prévaloir de solidarités familiales sur le mode électif, par la création d’une famille choisie. «Bien qu’elles fassent l’objet d’une documentation croissante, les nouvelles configurations familiales engendrées par l’accès à la parentalité pour les couples de même sexe demeurent largement incomprises en raison d’un manque de visibilité, remarque la professeure. La sous-documentation est encore plus importante pour les familles s’écartant du modèle marital/biparental traditionnel.»
«Les politiques en place peuvent contribuer à l’exclusion en véhiculant des conceptions stéréotypées ou hétéronormatives, favorisant ainsi la reproduction des modèles hétérosexuels traditionnels.»
Chez les personnes LGBTQ, le réseau social personnel et le réseau communautaire (lieux d’entraide et d’échange entre personnes vivant une même réalité) favorisent le mieux-être et l’estime de soi. «L’accès aux réseaux communautaires dépend toutefois de leur disponibilité – laquelle varie selon la densité de la population et la visibilité locale des personnes LGBTQ – ainsi que de leur ouverture aux préoccupations de différents sous-groupes», indique Line Chamberland.» Quant au recours à Internet, il est courant chez les personnes LGBTQ éloignées des grands centres urbains ou chez les personnes immigrantes, mais ses usages en termes de soutien social demeurent peu étudiés.
Dialogue générationnel
L’équipe de recherche se penchera sur les trajectoires vécues par les personnes LGBT de différents groupes d’âge. Les expériences de vie des personnes aînées ayant connu la criminalisation de l’homosexualité peuvent être très différentes de celles des plus jeunes ayant grandi avec le mariage civil et les droits parentaux pour les couples de même sexe. «Les contextes dans lesquels les gens découvrent leur orientation sexuelle varient beaucoup d’un groupe d’âge à l’autre, souligne la chercheuse. Les questions relatives à l’identité de genre et à la transsexualité font par ailleurs l’objet d’une plus grande préoccupation chez les jeunes adultes. Nous souhaitons que nos résultats de recherche contribuent à nourrir le dialogue intergénérationnel au sein de la communauté LGBTQ.»
Un biais hétéronormatif
Les chercheurs examineront dans quelle mesure les politiques publiques favorisent l’inclusion des personnes LGBTQ. Un nombre grandissant de travaux suggèrent que ces politiques encouragent l’hétéronormativité, c’est-à-dire la normalisation des modes de vie imitant les modèles hétérosexuels dominants (en misant, par exemple, sur l’accès au mariage et à la parentalité). «À partir de l’hypothèse selon laquelle l’inclusion des personnes LGBTQ aux régimes canadien et québécois de citoyenneté comporte un biais hétéronormatif, nous tenterons de déterminer à quel point cette inclusion génère la marginalisation de certaines personnes LGBTQ, souligne la professeure. Les politiques en place peuvent contribuer à l’exclusion en véhiculant des conceptions stéréotypées ou hétéronormatives, favorisant ainsi la reproduction des modèles hétérosexuels traditionnels.»
Mobiliser les connaissances
La modélisation et la mobilisation des connaissances seront au cœur de la démarche de l’équipe de recherche. «De la formation en ligne sera offerte et un portail web mettra en valeur les résultats de la recherche, soutiendra la collaboration des partenaires et informera des publics cibles, dit Line Chamberland. Il contiendra, notamment, de nombreuses rubriques, des capsules vidéos et des fiches synthèses basées sur le dialogue entre le milieu de la pratique et celui de la recherche universitaire.»