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Une plateforme de transgénèse

Le Service des animaleries lance la création de souris génétiquement modifiées pour la recherche.

Par Marie-Claude Bourdon

31 mai 2016 à 11 h 05

Mis à jour le 31 mai 2016 à 13 h 05

Bien que réservées en premier aux chercheurs de l’UQAM, les souris transgéniques seront également offertes à un coût moindre que celui du marché aux chercheurs du réseau de l’Université du Québec. Photo:Nathalie St-Pierre

Le Service des animaleries sera désormais en mesure de créer des souris génétiquement modifiées pour étudier des maladies comme le diabète ou l’Alzheimer. «Cette nouvelle plateforme, lancée à l’initiative du professeur Nicolas Pilon, du Département des sciences biologiques, est l’aboutissement de deux ans d’efforts, commente Manon St-Germain, directrice du Service des animaleries. Elle fera en sorte de maximiser l’utilisation de ressources et d’équipements dont nous disposions déjà pour fournir aux chercheurs ces modèles animaux extrêmement utiles pour la recherche.»

La transgénèse, qui consiste à créer des modèles animaux spécifiques pour de nombreuses maladies humaines, a vu son usage s’accroître de façon marquée au cours des dernières années. Jusqu’ici, les chercheurs de l’UQAM intéressés à mener des recherches utilisant ces animaux devaient toutefois se les procurer à prix fort à l’extérieur de l’Université. En effet, même si la technique consistant à créer des souris transgéniques n’est pas nouvelle, elle demeure complexe et coûteuse. «Grâce aux souris produites par le Service des animaleries, des recherches auparavant difficiles à financer pourront maintenant être envisagées», souligne la vice-rectrice  à la recherche et à la création, Catherine Mounier, qui a soutenu le projet. Bien que réservées en premier aux chercheurs de l’UQAM, les souris transgéniques seront également offertes à un coût moindre que celui du marché aux chercheurs du réseau de l’Université du Québec.

« Grâce aux souris produites par le Service des animaleries, des recherches auparavant difficiles à financer pourront maintenant être envisagées.»

Catherine Mounier,

Vice-rectrice à la recherche et à la création

Normand Lapierre, technicien au Service des animaleries, utilise l’instrument de micro-injection qui permet de modifier le génome de la souris.Photo: Manon St-Germain

Un technicien du Service des animaleries et un assistant de recherche du Laboratoire de génétique moléculaire, dirigé par Nicolas Pilon, ont reçu une formation et développent depuis un an leur expertise de cette technique. «La transgénèse consiste à micro-injecter de l’ADN dans un ovule fécondé, qui sera ensuite implanté dans une souris porteuse», explique le professeur.

Il existe deux méthodes. Selon la méthode aléatoire, on ne contrôle pas où l’ADN va s’insérer dans les chromosomes. Avec la méthode ciblée, on vise très précisément la région du génome qu’on souhaite modifier. «Les deux méthodes sont utiles pour des raisons différentes, précise le chercheur. La méthode aléatoire sert au criblage génétique. Quand on ne connaît pas tous les gènes contribuant à une pathologie, on peut regarder quels individus dont le génome a été modifié présentent la maladie pour ensuite identifier le gène impliqué. Avec la méthode ciblée, on sait quel gène nous intéresse, même si on ne connaît pas nécessairement toutes ses fonctions.»

Une découverte grâce à des souris transgéniques

C’est grâce à des souris génétiquement modifiées que l’équipe de Nicolas Pilon a découvert le gène associé à la maladie de Hirschsprung chez les enfants trisomiques. À l’heure actuelle, seule une chirurgie invasive permet de traiter ce grave dérèglement  du système gastro-intestinal, qui peut aller jusqu’à causer la mort du nourrisson atteint. Or, les chercheurs sont en train de mettre au point une thérapie moléculaire pour cette maladie. «Ce traitement vise plusieurs sous-types de la maladie, et pas seulement celui qui est associé aux enfants trisomiques, précise Nicolas Pilon. En effet, même si la cause génétique de chaque sous-type est différente, le traitement que nous développons permet d’agir sur le mécanisme cellulaire qui est dérégulé dans pratiquement tous les cas. Et nous n’aurions jamais pu arriver à cela si nous n’avions pas pu compter sur un modèle animal génétiquement modifié pour nos recherches.»

Les souris transgéniques servent à étudier le mécanisme de nombreuses maladies comportant des composantes génétiques, que ce soit le diabète, la sclérose en plaques ou la maladie de Parkinson. Elles peuvent aussi être utilisées pour développer et tester des traitements. Parmi tous les animaux de laboratoire, la souris est le modèle de prédilection pour des raisons pratiques – c’est un petit animal facile à reproduire et qui ne prend pas beaucoup de place –, mais aussi en raison de la capacité qu’ont les chercheurs à modifier son génome. «La souris a été le deuxième organisme après l’humain dont tout le génome a été séquencé, remarque Nicolas Pilon. D’autres animaux, comme le poisson zébré, se prêtent à la transgénèse, mais la souris est beaucoup plus proche de l’humain au niveau génétique, ce qui en fait un bien meilleur modèle.»

« La souris a été le deuxième organisme après l’humain dont tout le génome a été séquencé. D’autres animaux, comme le poisson zébré, se prêtent à la transgénèse, mais la souris est beaucoup plus proche de l’humain au niveau génétique, ce qui en fait un bien meilleur modèle .»

Nicolas Pilon,

Professeur au Département des sciences biologiques

Des critères rigoureux

Si l’utilisation des modèles animaux transgéniques est de plus en plus répandue dans le domaine de la recherche biomédicale, les manipulations génétiques d’organismes vivants doivent respecter de nombreux critères extrêmement rigoureux, observe Manon St-Germain. Vétérinaire de formation, la directrice du Service des animaleries affirme que la recherche sur les souris transgéniques est conduite dans le respect de tous les principes d’éthique qu’implique l’utilisation des animaux de laboratoire. «On ne crée pas un modèle animal sans motif scientifique sérieux, dit-elle. Chaque protocole de recherche doit être approuvé et la recherche est toujours menée dans le souci du confort de l’animal, à l’intérieur des balises prescrites par le Conseil canadien de la protection des animaux.»

« On ne crée pas un modèle animal sans motif scientifique sérieux. Chaque protocole de recherche doit être approuvé et la recherche est toujours menée dans le souci du confort de l’animal, à l’intérieur des balises prescrites par le Conseil canadien de la protection des animaux. »

Manon St-Germain,

Directrice du Service des animaleries

Avant d’accéder à un modèle animal, un chercheur doit obligatoirement passer par des étapes préalables, qui incluent l’expérimentation en culture cellulaire. «Mais quand on reste au niveau de la cellule, on ne peut jamais connaître l’effet qu’on étudie au niveau de l’organisme entier, dit Nicolas Pilon. C’est toujours une limitation.»

L’accès à des modèles animaux conçus spécifiquement pour étudier une pathologie ou un traitement constitue donc un avantage de taille. «Cela permet de publier des articles dans des revues plus prestigieuses et d’obtenir de plus grosses subventions», affirme Catherine Mounier. Selon Nicolas Pilon, «cela peut constituer un outil de recrutement pour attirer des chercheurs».

À l’UQAM, une dizaine de professeurs pourraient être intéressés à utiliser des souris transgéniques. Un nouveau projet de Nicolas Pilon porte sur les problèmes de fertilité liés à l’obésité chez des souris atteintes du syndrome des ovaires polykystiques. «Ce syndrome est le problème numéro un de fertilité chez la femme. Or, on n’a pas de modèle génétique de cette maladie-là.»

Des souris uqamiennes à travers le monde

«Cette nouvelle plateforme de transgénèse sera un formidable levier pour développer des programmes de recherche de calibre mondial», assure Catherine Mounier. Elle pourra aussi servir de base à des échanges. Une fois leurs résultats publiés, les chercheurs qui ont créé un modèle animal pour leurs expériences sont en effet tenus de fournir deux couples d’animaux de la même souche à leurs collègues d’autres centres de recherche qui en font la demande. Des souris uqamiennes pourraient ainsi essaimer à travers le monde.