En octobre 2014, une vague de dénonciations d’agressions sexuelles a déferlé dans les médias sociaux. Depuis, peu de choses ont changé pour les femmes et les victimes d’agressions. Vers quels objectifs les différents groupes féministes peuvent-ils converger pour que cesse l’impunité en matière de sexisme et d’agressions sexuelles? Invitée par l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF) de l’UQAM, qui célèbre cette année son 25e anniversaire, la journaliste et essayiste Pascale Navarro a abordé cette question, et bien d’autres, lors d’une conférence-midi tenue le 7 mars dernier, maintenant en ligne, visant à souligner la Journée internationale des femmes.
L’auteure de Femmes et pouvoir: les changements nécessaires, paru récemment aux éditions Leméac, a salué la tournée de conférences «Sexe, égalité et consentement», organisée par le Conseil du statut de la femme, qui s’arrêtera dans neuf cégeps du Québec en mars et avril afin de sensibiliser les jeunes à l’importance d’une sexualité égalitaire et d’engager la discussion sur la culture du viol, le consentement et l’exploitation sexuelle. «L’expression culture du viol apparaît maintenant dans les médias de masse, dans les blogues et sur les réseaux sociaux», a souligné Pascale Navarro.
La journaliste se réjouit également que les voix des femmes dites racisées, tout comme celles des minorités sexuelles, se fassent entendre. «Ce sont des prises de parole qui comptent, qui posent des défis aux femmes de la majorité et qui contribuent à donner une légitimité au féminisme», a-t-elle déclaré.
Pascale Navarro a tenu à rappeler combien la campagne de l’automne 2014 contre les agressions sexuelles et le colloque tenu à l’UQAM sur le thème «Sexe, amour et pouvoir» – organisé par la professeure du Département d’études littéraires Martine Delvaux – avaient permis de révéler l’existence d’une culture de l’abus de pouvoir et du silence. «Les dénonciations des agressions sexuelles dans la foulée de l’affaire Gomeshi et des violences envers les femmes, en particulier les femmes autochtones, ont permis de créer une brèche dans la culture du silence, mécanisme principal sur lequel repose la culture du viol, a indiqué Pascale Navarro. La société québécoise est maintenant intéressée à écouter ce que les victimes ont à dire. Je pense que nous avons avancé dans la prise de conscience de la violence institutionnalisée et systémique.»
Changer les règles du jeu
Que peut-on faire pour aller plus loin? «Je pense que l’on doit changer les règles du jeu, a lancé la journaliste. Les femmes doivent être beaucoup plus nombreuses dans les instances politiques, juridiques, économiques, administratives et médiatiques, partout où s’exerce un pouvoir de décision et d’autorité.»
Mais pour cela, il faut user de stratégie, un terme qui n’est pas toujours bien perçu par les féministes, a noté Pascale Navarro. «Plusieurs femmes se méfient du concept de parité hommes-femmes, parce qu’elles croient que cela ne changera pas la politique. Il faut savoir être pragmatique et reconnaître qu’à plusieurs, on peut changer des choses. D’où l’importance pour les femmes d’être partie prenante de toutes les décisions.»
Selon la journaliste, les principaux gains dans les quatre dernières décennies ont été obtenus parce que le mouvement des femmes et les féministes ont appuyé des femmes politiques et fait pression sur les gouvernements pour que les choses changent. «Depuis leur entrée dans l’espace politique, les femmes ont favorisé l’adoption de lois sur, entre autres, le patrimoine familial, l’équité salariale, la reconnaissance de la violence sexuelle, a rappelé Pascale Navarro. Toutefois, on ne peut pas se contenter du taux actuel de députation féminine à l’Assemblée nationale et à la Chambre des communes.» C’est pourquoi la journaliste propose de légiférer en faveur de la parité. «Ce principe doit faire partie de la gouvernance publique», a-t-elle soutenu.
Présence dans les médias
Pascale Navarro a voulu, par ailleurs, partager sa préoccupation concernant la présence des féministes dans les médias. «Pour donner une voix aux féministes dans l’espace public et dans les médias, il faut s’assurer que le message passe, qu’il soit entendu sur les plateaux de télé, sur les ondes radiophoniques, dans les magazines et dans les blogues», a-t-elle affirmé. Mais comment faire ? «On doit tisser des liens avec des journalistes femmes et hommes. Refuser de donner une entrevue parce que le ou la journaliste n’est pas assez féministe, comme je l’ai déjà constaté, voilà qui me laisse perplexe.»
La journaliste a insisté sur l’importance de mettre fin au clivage entre les médias et les féministes issues du monde universitaire. «Les recherches et l’expertise des féministes universitaires ne sont pas suffisamment connues dans les médias. Les chercheuses féministes doivent faire preuve de constance et de persévérance, multiplier les contacts, inviter des journalistes aux forums et aux tables rondes qu’elles organisent.»