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«En classe!»: la démarche scientifique

Pierre Chastenay montre aux futures enseignantes du primaire comment rendre la science palpitante.

Série

En classe!

Par Pierre-Etienne Caza

20 septembre 2016 à 16 h 09

Mis à jour le 2 juin 2022 à 21 h 49

«Pour vous, qu’est-ce qu’un(e) scientifique?», demande le professeur à la quarantaine d’étudiantes (il n’y a que quatre garçons dans la classe), la majorité inscrites au baccalauréat en enseignement en adaptation scolaire et sociale. Mises en commun, leurs réponses dressent le portrait suivant: une personne avec un sarrau et des lunettes dans un laboratoire, qui n’est pas très sociable et qui est entourée d’ordinateurs ou de machines. «Qui a imaginé une femme?», demande le professeur. Trois mains seulement se lèvent. «Pourtant, ici même à l’UQAM, il y a une majorité de femmes dans plusieurs laboratoires», commente-t-il avec un sourire.

En cette deuxième semaine du trimestre, nous assistons au cours Didactique de la science et de la technologie au préscolaire et au primaire. Pierre Chastenay, professeur au Département de didactique et astrophysicien de formation, propose aux futures enseignantes de réfléchir à ce que sont la science et la technologie, à la façon dont travaillent les scientifiques et à l’importance d’enseigner la science et la technologie.

«Les enfants adorent porter un sarrau et des lunettes de protection, utiliser des instruments scientifiques, faire des expériences, résoudre des énigmes et mener des enquêtes.»

Pierre Chastenay

Professeur au Département de didactique

«Lorsqu’on demande aux enfants de dessiner un scientifique, ils dessinent habituellement un portrait semblable à ce que vous avez imaginé», poursuit le professeur, soulignant du même coup à quel point les enfants adorent porter un sarrau et des lunettes de protection, utiliser des instruments scientifiques, faire des expériences, résoudre des énigmes et mener des enquêtes. «Ce sont à ces scientifiques “naturels” que vous enseignerez bientôt», rappelle-t-il à ses étudiantes.

Scientifique ou pas?

Lors de la première heure du cours, Pierre Chastenay soumet à ses étudiantes une série d’affirmations et leur demande de départager ce qui est scientifique de ce qui ne l’est pas. Un guérisseur utilise des savoirs ancestraux à propos de plantes médicinales pour guérir un malade. «Non, affirment quelques étudiantes, car il n’y a pas eu de protocole scientifique.» Le professeur fait remarquer que ces savoirs ont pourtant été acquis de manière empirique, en testant les plantes sur des animaux ou des cobayes. «Alors, c’est scientifique!», se reprennent les étudiantes. Un scientifique affirme que la vie sur Terre n’aurait pas pu se développer dans toute sa complexité sans l’intervention d’un créateur tout-puissant. «Non scientifique», affirment les étudiantes. «Exact, répond le professeur. Dieu n’est pas une hypothèse avec laquelle on peut travailler à titre de scientifique, car on ne peut faire de la science qu’avec des phénomènes naturels observables et quantifiables.»

«La science représente notre meilleure compréhension du fonctionnement de la nature, basée sur les faits vérifiables les plus probants dont nous disposons à l’heure actuelle.»

Pierre Chastenay

«Comment fait-on de la science?», demande ensuite Pierre Chastenay. «Il faut observer, manipuler et expérimenter», notent quelques étudiantes. «En effet», répond le professeur. «Les enfants gossent parfois avec des insectes, des bouts de bois, des cailloux ou toutes sortes de matériaux qu’ils dénichent en jouant dehors. Ils font un peu de la science en agissant ainsi, non?», demande Félix Germain, l’un des rares représentants masculins de la classe. «Tout à fait, reconnaît Pierre Chastenay. On sous-estime d’ailleurs grandement l’importance du gossage, du travail par essais et erreurs derrière les plus grandes découvertes scientifiques.»

La science, poursuit Pierre Chastenay, n’est pas une vérité absolue. «Elle n’est pas basée sur un processus démocratique, ni sur des arguments d’autorité. Elle représente simplement notre meilleure compréhension du fonctionnement de la nature, basée sur les faits vérifiables les plus probants dont nous disposons à l’heure actuelle.»

Les boîtes noires

Lors de la deuxième heure du cours, Pierre Chastenay demande à ses étudiantes de repérer les divisions dans une boîte noire circulaire contenant une bille et dont le couvercle a été scellé. Certaines tournent la boîte rapidement, d’autres lentement. Plusieurs écoutent le roulement de la bille en portant la boîte à leur oreille, y allant de suppositions en suppositions. Elles tracent ensuite les divisions sur un schéma.

Les étudiantes doivent repérer les divisions intérieures d’une boîte noire circulaire contenant une bille et dont le couvercle a été scellé. Photo: Nathalie St-Pierre

La plénière révèle des schémas bien différents d’une équipe à l’autre! «C’est la métaphore parfaite de l’activité scientifique: on construit des modèles pour tenter d’expliquer le fonctionnement de la nature, explique le professeur. Chacun peut arriver à un résultat différent. Et gardez bien en tête que les scientifiques ne parviennent jamais à révéler complètement les mécanismes d’un phénomène naturel. Ils peuvent développer des modèles qui s’en approchent, comme c’est le cas avec la structure de l’atome ou la composition du soleil, mais il subsistera toujours un doute. Rien n’est figé en science: même les modèles reconnus par la communauté scientifique depuis des années peuvent être améliorés.»

Alexandra Bolduc prépare le shmu.Photo: Nathalie St-Pierre

Pendant la pause, nous rencontrons Alexandra Bolduc, auxiliaire d’enseignement et candidate à la maîtrise en éducation (didactique). Dans un local adjacent, elle prépare le shmu que devront analyser les étudiantes lors de la dernière heure du cours. «Quand j’ai commencé ce contrat, je pensais que je pourrais faire mes travaux pendant les moments du cours où je n’aurais pas de tâches, raconte-t-elle. Mais j’en suis incapable. C’est un professeur hors pair, tellement dynamique que je me retrouvais toujours à l’écouter!»

Mission shmu

De retour en classe, Pierre Chastenay explique aux étudiantes la mission qu’elles devront relever: analyser une substance mystérieuse, le shmu, recueillie par une sonde à la surface d’une planète extrasolaire baptisée QBC-2016. En équipe, les étudiantes doivent déterminer les propriétés du shmu par des observations, des manipulations ou des expérimentations. Elles doivent également décider si le shmu est une substance liquide ou solide. «Prenez des notes, car vous présenterez ensuite vos résultats dans un congrès à Tahiti, comme le font les scientifiques», blague le professeur.

Rapidement, les équipes s’activent. Les étudiantes s’aperçoivent que la substance est plutôt visqueuse. Des doigts et des bâtons de bois y sont plongés. On le sent; un étudiant, Gaspard Bengler, décide même d’y goûter. «Ça a un goût de plâtre», dit-il. Certaines étudiantes y laissent tomber un boulon en métal ou un bouchon de liège. Le premier coule, le second flotte, constatent-elles. On s’aperçoit que le shmu durcit si on le manipule avec vigueur. Certaines étudiantes utilisent des balances pour peser le shmu, qui se révèle être un peu plus lourd que l’eau. D’autres décident de le chauffer dans un bécher. «Si vous l’avez chauffé, l’eau ou le liquide qu’il contenait s’est évaporé», fait remarquer Carolane Leblanc aux membres de l’équipe derrière elle, surprises d’avoir obtenu des morceaux de shmu solides.

«On ne soupçonne pas le nombre d’expériences scientifiques qui prennent une nouvelle tangente à la suite d’un accident.»

Pierre Chastenay

De retour en plénière, les étudiantes font part de leurs observations à la classe. «Nous avons échappé le shmu sur du papier journal et la feuille a absorbé tout le liquide. Le shmu est devenu solide, mais friable», rapporte Anne-Marie Rondeau. «On ne soupçonne pas le nombre d’expériences scientifiques qui prennent une nouvelle tangente à la suite d’un accident», commente Pierre Chastenay.

Est-ce un liquide ou un solide ? «Selon notre expérience, cela peut être les deux, note Simon A. Bélanger, candidat à la maîtrise en éducation (didactique). Si on le verse dans un autre récipient, il en prend la forme, donc il a des propriétés liquides. Mais si on le frappe, comme nous l’avons fait, il n’éclabousse pas, il durcit et devient solide.» Les avis sont partagés. Un vote à mains levées a lieu pour déterminer l’état du shmu. «Je crois que nous pouvons conclure que nous n’avons pas suffisamment de données et qu’il y a d’autres pistes à explorer. C’est souvent ce qui se produit lors des congrès scientifiques», affirme Pierre Chastenay, qui révèle à la classe la réelle nature du shmu – un secret à préserver pour les cohortes ultérieures…

Ingénieures en herbe

Le professeur demande ensuite à ses étudiantes de jouer aux ingénieures afin de concevoir une sonde capable d’explorer la planète QBC-2016, entièrement recouverte de shmu. Après quelques minutes et quelques croquis, les scientifiques en herbe partagent le fruit de leur réflexion avec le reste de la classe. «Il faudrait que les points de contact du vaisseau avec le sol soient toujours aspergés d’eau pour ne pas que le vaisseau colle à la surface», avance Myriam Langlois-Quintal. D’autres suggèrent un vaisseau capable de «courir à la surface du shmu», ou alors de chauffer la surface où l’on voudra poser le vaisseau afin de la faire durcir. «La meilleure méthode, à notre avis, consisterait à installer un coussin d’air à la base du vaisseau, comme pour les aéroglisseurs», affirme pour sa part Marie-Ève Dicaire.

«Les élèves du primaire devraient apprendre les sciences en faisant de la science, en inventant eux-mêmes leurs protocoles de recherche, comme vous l’avez fait aujourd’hui.»

Pierre Chastenay

«Vous avez utilisé vos connaissances sur le shmu dans un contexte d’ingénierie. Voilà une leçon très importante: il faudra amener vos élèves à réinvestir ce qu’ils auront appris dans un contexte différent. C’est de cette façon qu’ils intégreront le mieux les apprentissages», souligne Pierre Chastenay avant de résumer les concepts-clés abordés pendant le cours qui a passé aussi rapidement qu’une étoile filante! «La science est une activité collaborative, le produit d’une communauté de chercheurs. Elle est issue d’un processus basé sur la créativité… et ce n’est surtout pas une recette de Ricardo! Les élèves du primaire devraient apprendre les sciences en faisant de la science, en inventant eux-mêmes leurs protocoles de recherche, comme vous l’avez fait aujourd’hui», conclut-il.