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Récits intimes au féminin

Caresses magiques donne la parole aux femmes qui souhaitent s’exprimer sur leur sexualité.

Par Pierre-Etienne Caza

9 février 2016 à 9 h 02

Mis à jour le 9 février 2016 à 9 h 02

Sarah Gagnon-Piché, Sara Hébert et Sophie Bédard sont les créatrices de Caresses magiques.Illustration: Sophie Bédard

Il y a deux semaines, la journaliste Lili Boisvert était sur le plateau de l’émission Tout le monde en parle pour présenter la nouvelle série documentaire Sexplora. Son passage remarqué – elle y racontait avoir passé la semaine à tester des vibromasseurs – s’inscrit dans la même veine que Caresses magiques, un projet créé par Sarah Gagnon-Piché, Sara Hébert et Sophie Bédard. Dans les deux cas, des jeunes femmes décomplexées parlent ouvertement de leur sexualité, sans clichés et sans préjugés. Sur le Web, puis dans un livre autoédité, Caresses magiques a permis à des dizaines de femmes de prendre la parole et de raconter, dans leurs propres mots, ou dans leurs propres dessins, leur sexualité. 

Caresses magiques est né à la radio de CISM. Sarah Gagnon-Piché animait avec Sara Hébert Les Préliminettes, une émission où il était question de sexualité, raconte Sophie Bédard. «Au début, c’était sur le mode humoristique, mais elles ont ensuite pris le parti de partager leurs expériences personnelles et la réponse des auditrices a été positive. Plusieurs femmes se sont confiées à Sarah et Sara, heureuses de pouvoir mettre des mots sur leurs expériences intimes et soulagées de constater qu’elles n’étaient pas seules à ne pas se reconnaître dans les discours “officiels” sur la sexualité féminine.» 

Illustration: Sophie Bédard

Diplômée en graphisme au cégep et illustratrice de bande dessinée – elle a publié 4 tomes de la série Glorieux printemps chez Pow Pow – Sophie Bédard gravitait dans l’entourage des deux Sara(h). «J’ai décidé de me joindre à elles à peu près au moment où j’ai débuté mon baccalauréat en sexologie à l’UQAM», se rappelle-t-elle.

À l’automne 2014, les trois consœurs publient d’abord chacune le récit de leurs propres parcours autoérotiques sur un blogue et dans un petit fanzine, qu’elles distribuent à leurs proches. «Nous avons ensuite créé le site Web Caresses magiques afin d’y déposer nos témoignages et d’inviter les lectrices qui le souhaitaient à nous faire parvenir les leurs, soit par texte, bandes dessinées, collages, etc. Ça a fait boule de neige», se rappelle Sophie Bédard. À ce jour, le trio a reçu une soixantaine de témoignages. «Plusieurs femmes nous disent que c’est la première fois qu’elles parlent de leur sexualité si ouvertement», souligne l’étudiante.

En novembre dernier, Sophie et ses collègues ont édité à compte d’auteures le livre Caresses magiques, qui regroupe 41 des témoignages reçus au cours de la dernière année. «Il y est question de masturbation, de désir, d’orgasme, de fantasmes, etc. C’est un recueil qui invite à raconter, à s’expliquer, à comprendre et à dénoncer certains aspects encore tabous de la sexualité des femmes», explique Sophie Bédard, qui signe les illustrations de l’ouvrage.

Il est frappant, à la lecture du recueil, de constater que les filles ont découvert très jeunes le plaisir sexuel. «À 3, 4 ou 5 ans, le plaisir n’est pas associé aux fantasmes ou aux images propres à la sexualité adulte, souligne Sophie Bédard. C’est plutôt de l’ordre de l’imaginaire enfantin. C’est fascinant!»

Extrait

Illustration: Sophie Bédard

«Si je ne me souviens pas exactement de la première fois que je me suis masturbée, c’est parce que j’ai commencé il y a très longtemps, vers l’âge de trois ans. C’était mon secret et je croyais être la seule à le faire (…) Ce qui est cocasse et étrange quand j’y repense aujourd’hui, c’est le fait que j’ai naturellement construit un imaginaire où j’allais pour fantasmer… sur un poisson. «Poisson turquoise» pour les intimes. Rien de très érotique à première vue. Mais quand je commençais à me masturber, Poisson turquoise était là, fidèle au poste. Il fallait que j’essaie de ne pas penser à lui si je voulais faire durer le plaisir, car sinon je venais tout de suite! Avec le temps, des poissons de différentes couleurs se sont joints à nous: noir, rouge, orange, bleu… Ils avaient chacun leur personnalité et s’entrecroisaient dans une sorte d’orgie aquatique multicolore. Je disais le nom de leur couleur pour m’exciter: «Poisson noir, Poisson noir, Poisson orange, Poisson turquoise!» C’était très abstrait. Et même si je les aimais tous et que je pensais à chacun d’eux, Poisson turquoise était vraiment le seul capable de me faire jouir.»

– «Poisson turquoise», par Charlie M. (1991), tiré de Caresses magiques

Plusieurs filles témoignent de la honte ou de la culpabilité qu’elles ont longtemps ressentie par rapport à la masturbation, soit parce qu’un parent les avait surprises ou parce que leurs pairs en parlaient négativement. Quelques-unes avouent s’être imposé une période d’abstinence volontaire, à leur corps défendant, avant de renouer avec le plaisir à l’adolescence ou au début de l’âge adulte. «Des parents inquiets à l’idée de traumatiser leurs filles nous ont écrit à la suite de leur lecture pour nous demander des conseils sur l’attitude à adopter. Comme je suis encore seulement étudiante en sexologie, je les ai dirigés vers des auteurs susceptibles de leur apporter des réponses», raconte Sophie Bédard.

À ce jour, les 750 exemplaires de Caresses magiques ont trouvé preneurs. «Nous sommes en discussion avec des éditeurs, mais rien n’a été conclu pour l’instant», précise l’étudiante.

Ces récits trouvent-ils des échos chez les garçons? «Oui! Depuis le début du projet, plusieurs nous disent en apprendre beaucoup sur la sexualité féminine. L’idée d’un Caresses magiques au masculin nous a même effleuré l’esprit, mais nous préférerions finalement donner un coup de pouce à des gars qui voudraient s’en occuper. Nous avons amplement de sujets à traiter avec la sexualité féminine!»

À ce sujet, un deuxième appel de textes a été lancé récemment. «Le premier ouvrage traitait de masturbation. Nous souhaitons maintenant explorer l’univers des fantasmes, ce qui se passe dans la tête des femmes lorsqu’elles s’adonnent au plaisir à deux ou en solo», précise Sophie Bédard, qui en est à sa troisième session au bac en sexologie.