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Apprendre en dansant

Une étude se penche sur l’acquisition de vocabulaire par le truchement de la danse chez des enfants d’âge préscolaire.

Par Pierre-Etienne Caza

21 mars 2016 à 10 h 03

Mis à jour le 3 mai 2016 à 9 h 05

Deux fillettes d’un CPE incarnent les arbres «qui se réveillent» au printemps.
Photo: Catherine Turcotte

Les enfants en bas âge peuvent-ils apprendre des mots de vocabulaire en dansant? C’est l’idée originale qu’ont explorée les professeures Catherine Turcotte et Christa Japel, du Département d’éducation et formation spécialisées, et Caroline Raymond, du Département de danse. «Il s’agissait de vérifier le potentiel d’une activité de danse dirigée sur l’apprentissage du vocabulaire relatif au champ lexical des saisons et à la notion de cycle, auprès d’enfants d’âge préscolaire de milieux défavorisés», précise Catherine Turcotte, spécialiste en littératie.

Les chercheuses ont réalisé leur étude auprès d’un échantillon de 26 enfants – 12 enfants de CPE âgés de 4 ou 5 ans et 14 enfants de maternelle âgés de 5 ou 6 ans. Tous ces enfants ont participé à trois entretiens individuels filmés – avant et immédiatement après l’activité de danse, ainsi que trois semaines plus tard. «Le premier entretien servait à documenter le niveau de vocabulaire des enfants en lien avec la thématique des saisons, explique Catherine Turcotte. Les entretiens subséquents ont servi à observer si les enfants enrichissaient et/ou réorganisaient leurs connaissances et s’il y avait maintien dans le temps de celles-ci.»  

Lors de l’entretien initial, les chercheuses ont remarqué que le concept de saison et de cycle n’était pas très clair pour les enfants de 4 à 6 ans. «L’Halloween, leur anniversaire et l’automne sont des saisons et l’hiver suit immédiatement l’été», note Catherine Turcotte. La chronologie est aussi une notion complexe. «Les enfants disent “Hier je vais aller…” ou “L’année prochaine demain, je vais faire…”», illustre-t-elle.

Les concepts de temporalité se marient bien avec la danse, affirme Caroline Raymond, spécialiste en didactique de la danse. «Comme la langue, la danse est un langage que l’on doit s’approprier, principalement basé sur des principes comme le temps, l’espace, la notion d’énergie et de flux du mouvement. Notre hypothèse était qu’en amenant les enfants à vivre ces concepts dans une gestualité impliquant le corps dans sa globalité, ils en viendraient à associer le mot à une expérience gestuelle. Il y aurait une inscription à la fois cognitive et corporelle des mots et des expressions présentés.»

L’activité dansée

La danse permet de faire voyager les enfants en recréant des environnements par l’imagination. «Sans surprise, les enfants de 4 à 6 ans se prêtent avec joie à l’exercice!», affirme Catherine Turcotte à propos de l’activité de danse créée pour les besoins de l’étude par Irma Bélanger, didacticienne de la danse et étudiante au baccalauréat en enseignement de la danse, et Anne Wagner, psychomotricienne et doctorante en éducation en cotutelle avec l’Université de Lyon 2. «L’activité dure 30 minutes et traverse progressivement l’hiver, le printemps, l’été et l’automne, puis l’hiver à nouveau, afin de faire vivre le cycle complet des saisons, précise Caroline Raymond. Divers accessoires, comme des mini foulards, rendaient l’expérience encore plus concrète pour les enfants. C’est typique de la danse d’utiliser des accessoires pour éveiller les sensations corporelles.»

Irma Bélanger invite des enfants à mimer les bourgeons du printemps.
Photo: Catherine Turcotte

Pour illustrer la transition entre l’hiver et le printemps, par exemple, les enfants sont invités à incarner des arbres gelés et à réchauffer chaque partie de leur corps. La didacticienne fait «dégeler» les mains, «réveiller les racines des arbres» avec leurs pieds, «chercher la lumière» avec la tête. «Pour chacune des saisons, des mots sont exprimés oralement, répétés et incarnés, note Caroline Raymond. Les enfants et la didacticienne les mettent en mouvement en même temps afin de relier les mots avec les mouvements qui les évoquent.»

Pour représenter l’été, on amène les enfants à faire des mouvements qui évoquent le papillon, la grenouille, la vague, le fait de sauter, de plonger, d’arroser, etc. La danse imite ensuite la chute des feuilles, qui tombent et virevoltent, puis les mouvements se font de plus en plus lents pour ramasser les feuilles et se réchauffer.

L’hiver arrive en même temps que le début d’un retour au calme dans l’activité. Les enfants font les gestes de s’habiller chaudement, miment la chute d’un flocon et des activités hivernales plus tranquilles. «Lors des deux dernières minutes de l’activité, les enfants sont immobiles et calmes, couchés sur le sol. La didacticienne en profite pour décrire tout ce qui a été vécu pendant l’activité en reprenant spécifiquement les mots choisis, issus du champ lexical des saisons», poursuit Caroline Raymond.

Mots et associations de mots exprimés lors de l’activité dansée

Printemps: air frais, dégel, tronc d’arbre, branche, racines dans la terre, réveil, bourgeons, bébés feuilles, lumière.

Été: après, forêt, feuilles vertes, changé, herbe fraîche, papillon, voler, fleur, arbre, feuille verte, branche, grenouille, très chaud, eau, rivière, chaleur d’été, se rafraîchir, sauter, plonger, boire de l’eau, arroser, vague, brise, mouvement, soleil chaud.

Automne: maintenant, terminé, nuages, vent frais, pluie froide, se réchauffer, feuilles d’automne, virevolter, ramasser, par terre, tomber, jaune, rouge, orangées.

Hiver: fin, enfin, branches nues, vent, se refroidir, lumière, grelotter, se réchauffer, flocons de neige, avoir froid, vêtements d’hiver, tuque, mitaines, foulard, pantalon de neige, patiner, glace, rivière gelée, glisser, tempête de neige, recouvrir, ange de neige.

Les résultats

Les résultats indiquent que les enfants qui possédaient au départ des connaissances minimales sur les quatre saisons ont tous développé davantage leur vocabulaire expressif après l’activité dansée. «Les enfants qui avaient de très bonnes connaissances ont été stimulés de manière exceptionnelle, leur vocabulaire a explosé, comme s’il n’y avait pas de limite à l’acquisition de vocabulaire, ajoute Catherine Turcotte. Trois semaines plus tard, certains enfants avaient même enrichi leur vocabulaire de mots qui n’avaient pas été utilisés lors de l’activité, comme si leur curiosité avait été déclenchée.»

En revanche, les enfants qui présentaient au départ un niveau de langage limité n’ont presque pas amélioré leurs connaissances en vocabulaire. «Il faudrait sans doute des interventions individuelles et intensives auprès de ces enfants», estime la spécialiste.

«Il s’agit d’une étude exploratoire de nature qualitative, rappelle Caroline Raymond. Est-ce que la danse contribue au développement du vocabulaire? Cela semble être le cas pour les enfants ayant déjà un bagage de vocabulaire. Il faudrait poursuivre et mettre sur pied une étude avec un groupe contrôle qui ne danserait pas pour le vérifier.» D’autres activités artistiques pourraient être envisagées en lien avec le vocabulaire, estiment également les chercheuses.

Financée dans le cadre du programme «Appui aux projets novateurs» duFRQSC, leur étude a été retenue par l’organisme subventionnaire dans la catégorie «La recherche en vedette» pour le mois de mars 2016. Les résultats ont fait l’objet d’un article dans Nouveaux c@hiers de la recherche en éducation. Un autre article paraîtra prochainement dans la Revue canadienne de linguistique appliquée.

Si l’activité vous intéresse

«Nous voulions mettre sur pied une activité simple nécessitant peu de ressources, car nous nous adressons aux élèves de milieux défavorisés, qui ont moins d’occasions d’effectuer des sorties culturelles», souligne Catherine Turcotte.

Un guide pédagogique a été créé pour les enseignantes et les éducatrices qui souhaiteraient réaliser l’activité au sein de leur groupe. «Le guide n’est pas publicisé à grande échelle, mais il est disponible sur le site de l’équipe de recherche Apprenants en difficulté et littératie (ADEL) et je peux répondre aux demandes qui nous sont adressées par courriel», ajoute-t-elle.