
Les collèges et universités nord-américains assistent à une hausse phénoménale du nombre de demandes de consultations pour des problèmes de santé mentale. «Parmi ceux-ci, la dépression est l’un des principaux prédicteurs de l’abandon scolaire lors de la transition secondaire-collégial, souligne Diane Marcotte. Il y a trois fois plus d’abandon scolaire chez les jeunes dépressifs.» La professeure du Département de psychologie a réalisé un projet de recherche qui a permis de développer des outils pour les enseignants et les professionnels qui interviennent auprès de ces étudiants. Le programme, intitulé Zenétudes, a remporté le premier prix pour les communications par affiche (section recherche) au congrès de l’American College Health Association, qui avait lieu à Orlando du 26 au 30 mai dernier.
«Au départ, le projet portait uniquement sur la dépression, mais nous avons décidé d’inclure l’anxiété, car c’est l’un des principaux prédicteurs de la dépression», explique Diane Marcotte. La chercheuse a réalisé ce projet en collaboration avec Fabienne Desroches, directrice générale et directrice de la formation continue au Cégep de Sorel-Tracy, où se sont déroulées la cueillette de données et l’implantation du programme. Les doctorantes Marie-Laurence Paré et Cynthia Lamarre, de même que les professionnelles de recherche Carole Viel et Aurélie Lecocq ont participé à cette étude, financée grâce au programme de collaboration universités-collèges du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport.
Un constat préoccupant
L’équipe de recherche a d’abord recueilli des données auprès des élèves du Cégep de Sorel-Tracy. «Nous avons effectué une série de mesures personnelles, familiales, sociales et scolaires, ce qui nous a permis d’identifier des facteurs de risque et de résilience, puis de les hiérarchiser afin de créer notre programme d’intervention», explique Diane Marcotte, directrice du Laboratoire de recherche sur la santé mentale des jeunes en contexte scolaire.
«Il y avait 22 % des élèves qui affirmaient s’être sentis assez déprimés durant la dernière année pour que cela nuise à leurs résultats scolaires», souligne la doctorante Marie-Laurence Paré, dont la thèse porte sur le lien entre dépression et décrochage scolaire. Sa collègue Cynthia Lamarre s’intéresse au perfectionnisme en lien avec l’anxiété. «Nos coups de sonde ont révélé qu’entre 30 et 35 % des élèves éprouvent de l’anxiété qui nuit à leur travail scolaire», affirme cette dernière.
Une intervention universelle
Le programme Zenétudes, créé en collaboration avec un comité consultatif regroupant les chercheuses ainsi que des professionnels et des enseignants du cégep, comporte trois niveaux de prévention. Le premier niveau, offert en classe par les enseignants, vise le développement de connaissances sur la santé mentale – savoir reconnaître les symptômes de l’anxiété et de la dépression, entre autres – et sur la transition secondaire-collégial. «Il vise également la mise en œuvre de stratégies préventives pour bien vivre cette transition, explique Diane Marcotte. Doit-on savoir ce qu’on veut faire dans la vie dès l’entrée au collégial? Doit-on toujours se sentir comme un adulte? Ce sont des exemples de sujets abordés par les enseignants.»
L’organisation du temps et de l’horaire des élèves est également un thème central de cette discussion. «En moyenne, les élèves travaillent 11 heures par semaine, mais environ 20 % d’entre eux travaillent plus de 20 heures», note Diane Marcotte. Pour prévenir la dépression, on leur propose de mettre au moins une activité plaisante – qu’ils aiment mais qu’ils ne font pas assez souvent à leur goût – dans leur horaire. «Nous les amenons également à discuter de l’évitement, car les gens très anxieux y ont systématiquement recours, souligne Cynthia Lamarre. Or, cela augmente leur degré d’anxiété. On leur conseille plutôt de s’exposer et d’affronter leurs peurs.»
Une dizaine d’enseignants ont testé l’intervention auprès de 288 élèves du Cégep de Sorel-Tracy. «N’importe quel enseignant peut le faire, peu importe sa matière. Il y a un manuel de l’animateur et un cahier pour chaque participant. C’est une formule clé en mains», fait remarquer Diane Marcotte.
Les mesures pré et post-intervention ont démontré que les élèves y trouvent leur compte. «Ce genre de discussion répond aux attentes de 85 % des jeunes, qui n’ont pas besoin de plus», souligne la professeure.
Des ateliers ciblés
Le deuxième niveau consiste en deux ateliers portant sur la gestion de l’anxiété et la prévention de la dépression. «Les élèves s’y inscrivent par eux-mêmes. Une dizaine d’élèves y ont participé lors de l’implantation du programme», observe Marie-Laurence Paré.
Le troisième niveau se rapproche davantage de l’intervention clinique. «Nous allons en classe et nous faisons remplir un questionnaire de dépistage afin d’identifier les élèves qui présentent des symptômes de dépression et d’anxiété, explique Diane Marcotte. Nous avons été étonnées par les résultats: sur les 440 élèves, 99 présentaient des symptômes sérieux – pas au point d’être diagnostiqués officiellement, mais assez pour avoir besoin de suivre nos ateliers.»
Les chercheuses ont contacté chacun de ces élèves afin de les inviter à une série de 10 ateliers donnés par la psychologue du cégep et par la conseillère en orientation. Seulement 20 élèves se sont manifestés. «Ce sont souvent des filles qui présentent ces symptômes, elles étudient dans des programmes lourds et leurs plages horaires sont chargées, explique la professeure. Nous répéterons l’expérience l’automne prochain avec la collaboration des enseignants pour que les élèves puissent se libérer.»
Dix élèves ont fait partie du programme de prévention, les 10 autres d’un groupe-contrôle. «Les résultats démontrent l’efficacité du programme sur les symptômes ressentis et la capacité à gérer l’anxiété», souligne Diane Marcotte.
Une version révisée
Au cours de la prochaine année, les chercheuses testeront une version révisée de leur programme, à nouveau au Cégep de Sorel-Tracy. «Nous travaillons en parallèle à choisir le véhicule de diffusion de nos outils, qui devraient commencer à être disponibles dans le courant de l’automne, observe la professeure. Nous espérons qu’ils seront utilisés dans les cégeps, bien sûr, mais je ne serais pas surprise que d’autres organisations se les approprient, comme les CLSC, les cliniques externes des hôpitaux ou même des psychologues en pratique privée. Cela dit, il s’agit d’un programme qui a été conçu pour être déployé en groupe, avec les pairs. Les gens intéressés peuvent nous écrire à partir de notre page Web.»