Avec des collègues du Ne.T.s (Center for Neurocognition and Theoretical Syntax) de l’Institut des études avancées de l’Université de Pavia, en Italie, la professeure du Département de linguistique Anne-Marie Di Sciullo organise la conférence internationale Biolinguistic Investigations on the Language Faculty, qui se tiendra du 26 au 28 janvier dans cette ville du nord de la péninsule. Quelque 75 spécialistes du monde entier sont attendus à l’occasion de cet événement qui permettra de faire le point sur les dernières avancées de la recherche dans ce domaine de pointe qui relie biologie et linguistique.
La conférence fera une place importante aux études consacrées aux retards dans l’acquisition du langage. «Les troubles spécifiques du langage se présentent souvent indépendamment de toute carence intellectuelle, observe la linguiste, ce qui démontre la particularité du langage. Notre conférencier invité Ken Wexler, professeur au MIT, a mené beaucoup de travaux de nature théorique et expérimentale afin de pousser l’analyse qu’on peut faire de ces troubles et de leur base génétique.»
Un autre conférencier fera un lien entre la diversité génomique et les familles de langues. «C’est un peu l’idée de Darwin qu’on pourra peut-être un jour déterminer les différentes familles de langues selon les différences génétiques des peuples à travers le monde», explique la professeure.
Anne-Marie Di Sciullo présentera elle-même une conférence démontrant, à partir de l’exemple du roumain ancien et moderne, qu’on peut comprendre la variation et le changement des langues dans le temps si on les approche par des principes comme celui de la brisure de symétrie. «À une époque ancienne, l’ordre des mots dans une langue semble plus libre et, avec le temps, cette variation est éliminée, note la professeure. Pourquoi?»
Développement historique
Selon elle, il existe de nombreux exemples de ce type de variations concernant la position des pronoms objets, des déterminants, des prépositions par rapport à leurs compléments. «Cela montre qu’il existe des phénomènes naturels qui, d’une certaine manière, modèlent le développement du langage dans l’histoire», dit Anne-Marie Di Sciullo, qui voit un lien entre ces phénomènes et le développement du langage chez les enfants. «À un certain moment, les enfants omettent souvent des pronoms objets nécessaires ou alors ils changent la position de ces pronoms dans la proposition. Considérant l’existence de cette optionalité dans le développement de la structure du langage chez l’enfant, il n’est pas étonnant qu’on la retrouve également dans le développement historique des langues.»
Pourquoi cette optionalité disparaît-elle avec le temps? Parce que des lois naturelles forcent cette disparition et mènent à une réduction de la complexité, croit la professeure. «Indépendamment du contexte social ou du lieu géographique, quand on regarde le développement de chacune des familles des langues indo-européennes, on observe le même modèle de développement des langues», soutient-elle.
La deuxième journée de la conférence sera consacrée à diverses questions concernant, entre autres, les langues secondes, le gène FOXP2, qu’on a cru relié à l’origine du langage, les liens entre les expressions vocales des oiseaux et le langage humain. Enfin, la troisième journée sera dédiée à un symposium sur le langage de la schizophrénie. «La schizophrénie est un problème clinique très complexe, note la professeure, mais ce qui est intéressant, c’est que le langage des schizophrènes a des propriétés particulières. Encore une fois, cela montre que des variations ayant une base biologique ont des effets sur le langage.»
Toutes les présentations de la conférence seront disponibles en ligne sur le site http://www.biolinguistics.uqam.ca/ du Réseau international de biolinguistique. Fondé en 2007 par Anne-Marie Di Sciullo, le réseau organise une conférence internationale tous les ans, dans différents pays hôtes. Jusqu’à maintenant, trois de ces conférences ont été tenues à l’UQAM, qui s’impose comme un lieu phare dans le domaine. La professeure a d’ailleurs le projet de mettre sur pied un programme d’études dédié à la biolinguistique. «J’ai beaucoup de demandes des étudiants en ce sens, dit-elle. Un tel programme permettrait de réunir des professeurs des différents domaines concernés: la linguistique et la biologie, bien sûr, mais aussi la psychologie et l’informatique.»