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Susciter le plaisir d’apprendre

Lauréate 2015 du prix Reconnaissance de la Faculté des sciences de l’éducation, Elourdes Pierre a su créer dans ses classes une vraie communauté d’apprentissage.

Par Jean-François Ducharme

4 mai 2015 à 12 h 05

Mis à jour le 7 juin 2022 à 12 h 14

Elourdes Pierre.Photo: Nathalie St-Pierre

Sept diplômés de l’UQAM seront honorés à l’occasion du Gala Reconnaissance 2015 pour leur cheminement exemplaire et leur engagement. Ce texte est le cinquième d’une série de sept articles présentant les lauréats.

Nous avons tous le souvenir d’un enseignant qui a marqué notre enfance ou notre adolescence. Pour Elourdes Pierre (B.Ed. éducation préscolaire et enseignement primaire, 1989), qui fréquentait une école primaire dirigée par des sœurs, l’arrivée d’une stagiaire aux méthodes pédagogiques novatrices a été une révélation. «Avec elle, j’ai découvert que c’était possible d’avoir du plaisir dans l’apprentissage, se remémore celle qui a vécu en Haïti jusqu’à 17 ans. Nous pouvions discuter en groupe, chanter des chansons, apporter des objets qui nous tenaient à cœur. Elle nous traitait comme des êtres humains.»

À son arrivée au Québec, à la fin des années 1970, la jeune femme s’inscrit à la technique en éducation au cégep avant d’amorcer un baccalauréat en éducation préscolaire et enseignement primaire. «Choisir d’aller à l’UQAM n’a pas été un accident, dit-elle. Cette université représentait une ouverture à une pluralité de conceptions de l’éducation, à un dialogue entre professeurs et étudiants, à différentes cultures.» À l’instar de ses deux enfants, qui ont contribué à sa compréhension du monde de l’enfance, ses professeurs de l’UQAM deviendront, eux aussi, des sources d’inspiration. «Je pense notamment à Ekabouma Mbondi, un enseignant rigoureux et exigeant qui avait une façon unique de nous stimuler, ou encore à Jean-Claude Brief, dont la précision du vocabulaire était remarquable.»

Au début de sa carrière, elle décroche un contrat pour enseigner le français langue seconde à des adultes. Bien que différente de l’enseignement au primaire, cette expérience pose les bases de sa conception de l’éducation. «J’ai compris que pour créer, les apprenants devaient avoir un projet, un objectif commun. Je ne devais pas avoir un rôle autoritaire, je devais créer une communauté d’apprentissage, favoriser un climat d’entraide et accompagner les élèves en les stimulant.»

À l’école alternative

De 1995 à 2013, Elourdes Pierre enseigne à Nouvelle-Querbes, une école primaire alternative publique située dans Outremont. Le projet éducatif de l’école, centré sur l’enfant et la pédagogie par projet, correspond parfaitement à sa vision de l’éducation. «Il est faux de dire que les enfants n’aiment pas l’école. Ils aiment apprendre de nouvelles choses, construire leur monde, interagir avec les autres. L’enfance est une période capitale pour la fondation de la vie adulte.» Elourdes et sa collègue Hélène Bombardier ont mis par écrit le fruit de leurs pratiques éducatives à l’intérieur de deux guides, L’extrait, outil de découvertes et Ma première classe, publiés aux éditions Chenelière/Didactique. Inspirants, les ouvrages se sont vendus à plus de 10 000 exemplaires.

En 2002, deux employés du YMCA Centre-ville lui proposent de jumeler des élèves de sa classe à des enfants en attente du statut de réfugié, qui étaient pris en charge par le YMCA. «C’était déchirant de voir que ces enfants ne pouvaient même pas aller à l’école, dit-elle. Nous les avons invités dans notre classe, nous avons fait des sorties, même durant l’été, à la piscine et au Biodôme.» Ce projet, intitulé Bouquet d’humanité, a remporté la Médaille de la paix du YMCA du Grand Montréal pour l’enrichissement mutuel apporté aux enfants réfugiés et québécois.

Lorsque son pays natal est victime d’un séisme causant la mort de centaines de milliers de personnes, en 2010, Elourdes souhaite poser une action pour les enfants haïtiens. Ses élèves ont recueilli des livres et des dictionnaires, écrit des lettres, puis, avec la collaboration d’un parent, tout le matériel a été acheminé à une école primaire en Haïti, ouvrant la voie à une correspondance qui perdure encore aujourd’hui.

Vedette d’un documentaire

En 2009-2010, le réalisateur Marcel Simard pose sa caméra dans sa classe durant un an. Le Petit monde d’Elourdes, un documentaire de 86 minutes, traite entre autres des moyens pris par l’enseignante pour contrer l’intimidation. Il faut dire que le petit-fils du réalisateur, qui avait fréquenté la classe d’Elourdes durant trois ans, avait lui-même été victime d’intimidation et de taxage. «J’avais organisé des rencontres entre la famille du petit-fils de Marcel et les familles des enfants oppresseurs. Marcel avait été impressionné par le dialogue que j’avais réussi à instaurer. Par ce film, il voulait montrer un exemple de ce qui se faisait de beau dans les écoles publiques du Québec.»

Durant un an, le réalisateur et son équipe ont intégré la classe cinq jours par semaine. «Au bout d’un certain temps, les enfants oubliaient la caméra, ils percevaient Marcel comme un grand-père qui venait aider. Un jour, Marcel a voulu tester les élèves en se pointant avec une casquette et une gomme à mâcher – ces actions contrevenaient aux règles établies dans la classe. Le responsable du code de vie l’a respectueusement invité à sortir!»

Elourdes aborde ce documentaire avec beaucoup d’émotion. Un mois avant la sortie du film, Marcel Simard s’est enlevé la vie. Virage, la maison de production qu’il avait fondée en 1985, venait de faire faillite. Le Petit monde d’Elourdes sera sa dernière production.

L’école dans la peau

Il y a deux ans, Elourdes a choisi de quitter l’enseignement pour prendre le temps de voyager. Au moment de faire l’entrevue, elle revenait d’ailleurs d’un séjour de deux mois en Asie. Ce retrait du quotidien de la classe ne l’empêche toutefois pas de donner, occasionnellement, des formations et des conférences.

Un vieil adage dit qu’on peut sortir l’enseignante de l’école, mais pas l’école de l’enseignante. «Ça me manque beaucoup de ne plus sentir l’odeur des crayons et des cahiers, d’entendre les voix des enfants dans la cour d’école ou de les voir s’émerveiller devant une branche ou un insecte. Quand je suis en voyage, je prends le temps de visiter au moins une école pour retrouver ce contact avec les enfants. Ça me fait un bien énorme.»