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L’inclusion par la création 

Les diplômés Nadia Duguay et François-Xavier Michaux ont créé l’organisme Exeko, qui mise sur la culture et l’éducation afin de favoriser l’inclusion sociale des personnes marginalisées.

Par Jean-François Ducharme

12 avril 2015 à 14 h 04

Mis à jour le 2 juin 2022 à 13 h 48

Série Tête-à-tête
Rencontre avec des diplômés inspirants, des leaders dans leur domaine, des innovateurs, des passionnés qui veulent rendre le monde meilleur.​

Nadia Duguay et François-Xavier MichauxPhoto: Nathalie St-Pierre

L’un est un Autochtone atikamekw qui vivait dans les rues et fréquentait les refuges montréalais; l’autre avait fait de la prison au Canada et aux États-Unis. Il y a quelques années, ces deux jeunes hommes marginalisés ont participé à des ateliers de création combinant lecture, analyse critique et discussion. Ces ateliers leur ont permis d’établir un premier contact avec des disciplines comme la philosophie, les arts et la sociologie. Au fil du temps, ils ont acquis des outils pour développer leur esprit critique et mieux comprendre la société.

Aujourd’hui, le premier fait du bénévolat auprès d’autres jeunes Autochtones, agit comme consultant dans le cadre d’une recherche universitaire et s’est inscrit à un programme de retour progressif aux études. Le second, sorti de prison, anime un blogue de réflexion sociale dans lequel il exprime sa pensée critique sur le monde.

Le parcours de ces deux hommes illustre bien l’impact d’Exeko sur la vie de milliers de personnes marginalisées ou à risque d’exclusion, décrocheurs, déficients intellectuels, détenus ou itinérants.

Fondé en 2006 par Nadia Duguay (B.A. arts visuels, 05) et François-Xavier Michaux (M.G.P. cheminement coopératif, 08), l’organisme vise à favoriser l’inclusion sociale des personnes marginalisées au moyen de la culture et de l’éducation. «Une inclusion réussie permet de prévenir la criminalité, d’augmenter la persévérance scolaire, l’employabilité et la participation citoyenne», rappellent les fondateurs.

«Les services sociaux sont conçus pour régler des problèmes, ajoute Nadia Duguay. Nous, nous préférons travailler sur le potentiel des personnes marginalisées, sur leur capacité de penser et d’agir.».

Ce n’est pas par hasard que le nom de l’organisme fait référence à la locution ex aequo – égal à égal: «L’inclusion est différente de l’intégration, qui revient souvent à mettre les personnes dans un moule, soutient la cofondatrice. Nous voulons instaurer un dialogue égalitaire avec les gens que nous aidons.» Quant à la lettre K, elle représente la touche créative de l’organisme.

Les deux partenaires se sont rencontrés au milieu des années 2000 – elle était à l’époque agente d’artistes, lui étudiant. Après avoir travaillé ensemble sur différents projets, l’idée de fonder une organisation alliant l’art à l’engagement social a graduellement pris forme. «La création d’Exeko est née du double désir de proposer des choses nouvelles et de contribuer à la transformation de la société en refusant d’accepter les inégalités», raconte François-Xavier Michaux, précisant que les premiers plans d’affaires de l’organisme ont été mis sur papier dans le cadre d’un cours à la maîtrise en gestion de projet de l’UQAM. «Nous voulions créer une structure permettant de réaliser des projets qui auraient plus d’impact et de cohérence que des actions isolées, ajoute Nadia Duguay. Nous n’avions toutefois jamais prévu qu’Exeko deviendrait un emploi à temps plein!»

Depuis neuf ans, Exeko a développé, à travers le Québec, une dizaine de programmes permanents et une centaine de projets particuliers animés du même objectif: créer des ponts d’accessibilité au savoir et à la culture par une approche créative, artistique ou philosophique.

L’un de ces programmes, idAction, propose notamment des ateliers «d’autodéfense intellectuelle», qui permettent aux participants de se prémunir contre les «manipulations du discours». «Ce type de manipulation est utilisé autant pour enrôler des jeunes filles dans la prostitution que pour inciter les personnes en situation de pauvreté à consommer au-delà de leurs besoins, explique Nadia Duguay. Nos ateliers de détection de sophismes permettent aux participants de faire des choix plus éclairés.» À lui seul, idAction a permis à plus d’un millier de personnes d’acquérir des outils réflexifs leur permettant de mieux fonctionner en société. Le programme a aussi fait l’objet d’une recherche visant à documenter et à appuyer théoriquement son approche, en partenariat avec le Laboratoire d’analyse cognitive de l’information (LANCI) et le Service aux collectivités de l’UQAM.

Inspirée par idAction, la caravane idAction mobile parcourt les rues de Montréal à la rencontre de jeunes Autochtones en situation d’itinérance, avec à son bord des livres, des films et du matériel d’art. Des médiateurs – chercheurs, professeurs, philosophes, artistes – animent la discussion et suscitent la réflexion des participants, accompagnés de bénévoles.

Exeko a aussi fondé le réseau des bibliothèques inclusives – 12 points d’accès dans les refuges et centres de jour montréalais offrant aux personnes itinérantes un choix parmi plus de 10 000 livres –, le projet Tandem Créatif, qui jumelle des artistes professionnels à des artistes émergents ayant une déficience intellectuelle, ainsi que Trickster, qui présente du théâtre et des contes traditionnels aux Autochtones de 8 à 16 ans.

«Nous ne prétendons pas qu’Exeko va sauver le monde à lui tout seul, souligne Nadia Duguay. Nous travaillons en complémentarité avec les organismes sur le terrain, en respectant leurs expertises. Nous avons besoin de tous contribuer à redéfinir notre monde pour permettre à chacun d’y participer pleinement.»

Source:
INTER, magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 13, no 1, printemps 2015.