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Un projet de loi qui dérange

Le milieu communautaire ne souhaite pas être assujetti à la nouvelle loi sur le lobbyisme.

Par Pierre-Etienne Caza

30 novembre 2015 à 10 h 11

Mis à jour le 2 décembre 2015 à 8 h 12

Série L’actualité vue par nos experts
Des professeurs et chercheurs de l’UQAM se prononcent sur des enjeux de l’actualité québécoise, canadienne ou internationale.

Dans un rapport publié il y a quelques années, le commissaire au lobbyisme du Québec affirmait manquer d’outils afin de discipliner les lobbyistes «délinquants». «La commission Charbonneau a révélé qu’il n’avait pas tout à fait tort», souligne la professeure Lucie Lamarche, du Département des sciences juridiques. Le gouvernement du Québec a voulu remédier à la situation avec le projet de loi 56 sur le lobbyisme, déposé cet automne. Mais voilà que ce projet propose de traiter les organismes sans but lucratif (OSBL) sur le même pied que les lobbyistes, les obligeant à s’inscrire au registre des lobbyistes et à déclarer toute communication ou activité qu’ils entretiendront auprès de représentants de l’État, et ce, sous peine d’amendes.

Photo: Nathalie St-Pierre

C’est dans la foulée de ce projet de loi que plusieurs intervenants du milieu communautaire et des professeurs du Département des sciences juridiques ont participé le 27 novembre dernier à un colloque portant sur les mesures de contrôle de l’État à l’égard des groupes communautaires et leurs effets sur le droit d’association. L’événement était organisé par la Ligue des droits et libertés et la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles, en partenariat avec le Service aux collectivités (SAC) de l’UQAM et la Fondation Léo-Cormier. «Il y a eu plusieurs échanges instructifs entre les différents groupes, qui souhaitent se mobiliser pour bien se faire entendre auprès du gouvernement», souligne Josée-Anne Riverin, agente de développement au SAC et responsable du colloque.

Un effet collatéral

La Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme, assortie d’un registre public des lobbyistes, a été adoptée au Québec en 2002. «Ce sont des mesures que les États modernes ont adoptées au nom de la transparence afin de contrer la corruption», rappelle Lucie Lamarche. On peut croire ou non à l’utilité d’un tel registre – aucune recherche n’en a évalué la pertinence réelle jusqu’ici – mais le principe est simple: les personnes qui entrent en contact avec les institutions parlementaires, gouvernementales et municipales au nom d’une entreprise ou d’une organisation ayant des intérêts privés doivent se déclarer comme lobbyistes.

«Au Québec, les organismes communautaires ont toujours été exemptés de cette obligation, car on considère qu’ils ne défendent pas d’intérêts privés. Ce sont des organisations démocratiques qui parlent au nom de leurs membres, qui sont porteurs d’une parole citoyenne», explique Lucie Lamarche. Or, cette exemption n’apparaît plus dans le nouveau projet de loi.  «Le gouvernement décide de traiter tout le monde de la même façon, comme dans le reste de l’Amérique du Nord, où les OSBL sont considérés comme des acteurs du marché et tenus de souscrire aux obligations relatives au registre des lobbyistes», souligne-t-elle. Un tel assujettissement alourdirait le fardeau administratif des organismes communautaires, lesquels ne bénéficient pas des mêmes ressources que les entreprises et les groupes d’intérêts privés.

Il y aurait toutefois une possibilité de renverser la vapeur, car le commissaire au lobbyisme a accepté, à la demande du ministre responsable de l’Accès à l’information et de la Réforme des institutions démocratiques, Jean-Marc Fournier, de réaliser une étude sur l’assujettissement des organismes à but non lucratif (OBNL) aux règles d’encadrement du lobbyisme. Cette étude précéderait vraisemblablement la commission parlementaire qui examinera le projet de loi 56, initialement prévue pour janvier. «Il faut espérer que le commissaire comprenne le caractère spécifique des organismes communautaires et propose des aménagements au projet de loi», souligne Lucie Lamarche.

Un nouveau projet de recherche

«Dans son rapport remis à l’Assemblée générale de l’ONU en août 2015, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à la liberté de réunion pacifique et d’association, Maina Kiai, démontrait comment, dans plusieurs pays, il est beaucoup plus difficile de s’associer démocratiquement que de démarrer une entreprise, souligne Josée-Anne Riverin. Les contrôles, audits et tracasseries imposés aux OSBL ont un effet refroidisseur sur les activités démocratiques de ceux-ci et sur la liberté d’expression et d’association de leurs membres et militants.»

Ce lien fragile entre mouvement communautaire et démocratie sera au cœur d’un nouveau projet de recherche mené par Lucie Lamarche en collaboration avec le Service aux collectivités, la Ligue des droits et libertés et la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles. «Le gouvernement considère que dès qu’un acteur de la société civile lui parle, il se trouve en posture d’intérêt. C’est une drôle de définition de la démocratie», note la professeure, qui s’intéressera à l’ensemble des mesures de contrôle de l’État et à leurs impacts sur le droit d’association. «Nous souhaitons que notre projet puisse recadrer la conversation et rappeler que tous les interlocuteurs de l’État ne défendent pas leurs propres intérêts, du moins dans le cas des organismes communautaires. Cette spécificité a été reconnue par l’État québécois et il serait déplorable de la perdre parce que l’on souhaite se plier à des modèles de gouvernance mondiaux.»