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Mères en détresse

Les mamans d’enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme ont besoin de meilleures ressources.

Par Pierre-Etienne Caza

18 septembre 2015 à 13 h 09

Mis à jour le 2 décembre 2015 à 9 h 12

Photo: iStock

Aux États-Unis, un enfant sur 68 reçoit un diagnostic de trouble du spectre de l’autisme (TSA). «Presque tout le monde a désormais un ami, une voisine, un neveu ou un élève touchés de près ou de loin par cette problématique», note Catherine Des Rivières-Pigeon, professeure au Département de sociologie. «Ce n’est plus un trouble rare: c’est le diagnostic le plus fréquent chez les enfants d’âge scolaire au Québec», précise la chercheuse, qui mène depuis quelques années des recherches sur la réalité des familles dont un enfant a reçu un diagnostic de TSA.

Lors d’un colloque présenté dans le cadre du Congrès international des recherches féministes dans la francophonie, qui avait lieu à l’UQAM en août dernier, Catherine Des Rivières-Pigeon a présenté quelques résultats de recherche à propos de la santé des mères d’enfants ayant un TSA. Son verdict est sans appel: ces mères ne vont pas bien du tout. Détresse psychologique, dépression et problèmes de santé physique affectent plusieurs d’entre elles. «Selon nos résultats, 41 % des mères d’enfants autistes vivent de la détresse psychologique et 25 % estiment leur état de santé comme étant moyen ou mauvais, précise la chercheuse. C’est particulièrement alarmant, car ce sont des mères jeunes qui doivent être en forme pour s’occuper de leur enfant.»

Menées avec le soutien financier du CRSH auprès de 180 familles d’enfants de deux à cinq ans ayant un TSA, les recherches de la professeure indiquent que 50 % des mères quittent leur emploi ou diminuent de façon importante leurs heures de travail pour prendre soin de leur enfant. «Cela a des répercussions financières sur la famille, qui s’appauvrit et qui vit un stress financier supplémentaire», explique-t-elle.

Il existe des services d’aide pour ces familles, dont l’intervention comportementale intensive (ICI), le programme de référence en la matière. «Il y a toutefois des listes d’attente, à la fois pour obtenir un diagnostic de TSA et pour accéder à l’ICI», souligne Catherine Des Rivières-Pigeon. Certaines familles se tournent vers le privé, mais les coûts sont astronomiques et les problèmes financiers qui en découlent s’ajoutent à la détresse des mères.

En bout de piste, les services offerts pour aider les familles s’avèrent souvent inadéquats. «Une grande partie du travail effectué par les mères consiste à se battre contre les personnes censées les aider, déplore la chercheuse. Je caricature un peu, mais les mères dépensent beaucoup de temps et d’énergie à expliquer les besoins de leur enfant au service de garde, à l’école ou aux différents intervenants.»

Une expertise en solo

Catherine Des Rivières-PigeonPhoto: Émilie Tournevache

Catherine Des Rivières-Pigeon a mené une autre recherche, qualitative cette fois, auprès de 15 familles avec un enfant autiste. Cette recherche a été financée par l’Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ). Son équipe a fourni aux familles un iPod Touch afin que chaque parent documente – en photos, vidéos ou pistes audio – toutes les tâches effectuées pendant une semaine pour prendre soin de son enfant, incluant par exemple les recherches Internet pour solutionner des problèmes ou les appels téléphoniques auprès de différents intervenants. Des entrevues individuelles avant et après cette collecte de données, réalisée séparément avec le père et la mère, ont permis de dégager certains constats qui renforcent les données obtenues lors de l’enquête quantitative précédente. «Ce qui ressort le plus, c’est qu’il faut une expertise particulière pour s’occuper d’un enfant autiste et que ce sont les mères qui ont développé cette expertise», affirme la professeure.

Plusieurs enfants autistes ont une routine rigide et des exigences particulières, qui doivent être respectées sous peine de déclencher une crise. «Cela explique pourquoi la mère peut difficilement laisser son enfant à des gens qui ne le connaissent pas autant qu’elle», note la chercheuse, et cela, même s’il s’agit d’un intervenant spécialisé d’un service de répit. «Une mère nous a confié qu’utiliser ce type de service na valait pas la peine, car son enfant était tellement bouleversé au retour qu’il lui avait fallu une semaine pour revenir à la “normale”», raconte-t-elle.

Cela met en lumière la nature complexe du TSA et le défi de former des intervenants adéquats. «Il ne suffit pas d’avoir une formation générale en autisme. Il faut que l’intervenant travaille auprès de l’enfant pendant longtemps afin d’ajuster ses connaissances aux exigences et aux façons de fonctionner de cet enfant-là.» Ayant acquis par la force des choses cette expertise, les mères se retrouvent à former tout le monde, y compris les intervenants, précise la chercheuse. «Il faut faire en sorte que cette expertise ne soit pas acquise uniquement par les mères, dit-elle. Nous nous pencherons là-dessus dans nos travaux à venir.»

Et les pères ?

Les couples qui ont participé à la recherche vivaient ensemble. Quel rôle le père joue-t-il dans cette dynamique? «Souvent, il travaille plus que les hommes de son âge pour compenser la perte de salaire de sa conjointe. Il passe donc moins de temps avec l’enfant… et fait partie des personnes que la mère doit former, même s’il vit sous le même toit que son enfant. Ces pères font plus de tâches dans la maison que les pères d’enfants sans TSA, mais c’est néanmoins la mère qui porte le fardeau», précise la professeure.

Des recommandations à venir

À moins d’un revirement de situation spectaculaire, peu d’indicateurs portent la professeure à croire que ces femmes pourront remonter la pente. «Les difficultés et le stress chroniques sont dommageables à long terme, explique-t-elle. Or, plusieurs de ces mères s’occuperont de leur enfant pendant toute leur vie en raison du TSA. Il est impératif qu’on leur vienne en aide car elles font un travail social incroyable à l’heure actuelle.»

Les recommandations qui seront émises à la suite de cette étude qualitative seront élaborées de concert avec l’OPHQ. Quelques pistes semblent déjà se dégager du côté de l’accessibilité matérielle et financière aux différents services de soutien. «Ce n’est pas une question de faire plus, mais de faire mieux, et surtout de faire mieux en fonction des besoins particuliers de chaque enfant. Il n’y a pas de modèle unique d’intervention», conclut Catherine Des Rivières-Pigeon, qui a publié l’an dernier avec la diplômée Isabelle Courcy Autisme et TSA. Quelles réalités pour les parents au Québec? (Presses de l’Université du Québec).