
Passionnée par l’art soviétique et l’art public en général, l’historienne de l’art Maria Silina a obtenu la prestigieuse bourse postdoctorale Banting d’une valeur de 70 000 dollars par année (pour deux ans). Octroyées par le Gouvernement du Canada, ces bourses sont destinées aux meilleurs candidats postdoctoraux, canadiens ou étrangers, dans les domaines des sciences de la santé, des sciences naturelles et du génie et des sciences sociales et humaines.
La jeune chercheuse russe, qui travaille principalement à Moscou, est l’une des rares spécialistes dans le monde de l’art monumental soviétique. «Le régime mis en place en URSS, entre 1922 et 1991, était particulièrement friand de monuments et autres sculptures érigés à la mémoire de ses dirigeants – Lénine, Staline, leaders politiques locaux – et des travailleurs ordinaires, qui représentaient à ses yeux les véritables héros du communisme», explique Maria Silina, dont les études postdoctorales se font sous la direction de la professeure Annie Gérin, du Département d’histoire de l’art.
L’art public soviétique avait pour fonction de glorifier les valeurs communistes et de représenter le peuple de façon réaliste. «Sous le régime soviétique, toute production artistique était contrôlée par l’État, souligne la postdoctorante. Les artistes étaient à son service et il était impossible pour les citoyens d’acquérir des œuvres. Cela dit, les œuvres d’art public de l’époque soviétique possèdent une importante valeur historique.»
Après l’écroulement de l’URSS, en 1991, les œuvres d’art soviétiques ont fait l’objet de nombreuses critiques et certaines d’entre elles ont été détruites. «Depuis le début des années 2000, toutefois, on observe un regain d’intérêt pour ces œuvres», note Maria Silina. Les autorités, notamment, souhaitent remettre au goût du jour l’esthétisme soviétique. D’ailleurs, de nombreux projets de restauration et de rénovation de monuments sont en cours depuis 2005.
La question de la conservation et de la préservation des œuvres d’art public controversées suscitent la réflexion. «Partout dans le monde, des historiens de l’art, des artistes, des chercheurs ou des décideurs se demandent s’il est pertinent de conserver des œuvres qui, par exemple, font l’apologie d’un régime totalitaire ou représentent des dictateurs, observe Maria Silina. Que faut-il faire de ces œuvres? Les détruire? Les garder sous clé? Les remplacer? Les préserver tout en expliquant le contexte particulier dans lequel elles ont été créées?»
Représenter les minorités
Dans le cadre de ses recherches actuelles, qui l’amènent à s’installer à Montréal pour une durée de deux ans, la postdoctorante compte poursuivre sa réflexion en se penchant notamment sur la représentation dans l’art public urbain des minorités sexuelles, culturelles ou ethniques et des groupes sociaux, ainsi que sur les méthodes employées par les artistes contemporains pour les représenter. «Qu’est-ce qu’un monument dédié à des victimes de la guerre ou d’un acte terroriste signifie-t-il aujourd’hui pour la population en général et pour les artistes? En quoi cela correspond-il à un besoin? Comment éviter le paternalisme ou la glorification dans l’illustration des faits historiques?, s’interroge la chercheuse. On sait, par exemple, que les membres des Premières nations ont critiqué le regard naïf que portent sur les autochtones certaines œuvres d’art public canadiennes.»