Série Tête-à-tête
Rencontre avec des diplômés inspirants, des leaders dans leur domaine, des innovateurs, des passionnés qui veulent rendre le monde meilleur.
Le matin de notre rendez-vous, nous nous croisons dans l’autobus. Avec son air bon enfant et sa mallette à la main, Gérald Fillion (B.A. communication, 98) est reconnaissable entre mille. La conversation s’engage facilement, l’animateur ayant l’habitude d’être abordé. Véritable vedette de l’information économique à Radio-Canada, ce vulgarisateur hors pair est à la barre de l’émission RDI économie depuis 2008, mais le grand public le connaît surtout pour ses apparitions tout au long de la journée aux différents téléjournaux de RDI et de Radio-Canada. Son brio en fait l’un des journalistes québécois les plus cités lorsqu’il est question d’actualité financière.
La notoriété télévisuelle ne l’incommode pas. «Les gens qui m’abordent dans la rue sont respectueux, dit celui qui a célébré ses 40 ans en novembre dernier. Ils me demandent parfois des conseils financiers. Je leur explique que ce n’est pas mon rôle – il faut être certifié par l’Autorité des marchés financiers pour en donner –, mais que je peux en revanche leur fournir des informations objectives pour qu’ils puissent ensuite faire des choix éclairés.»
À peine Gérald Fillion a-t-il mis les pieds dans la tour radio-canadienne qu’une recherchiste du Club des ex l’accroche pour lui demander des données statistiques sur la péréquation, laquelle fait l’objet d’une annonce officielle ce jour-là. Il dépose sa mallette, démarre son ordinateur et trouve rapidement les chiffres demandés, en plus de fournir quelques éclaircissements. La recherchiste repart satisfaite.
L’économie ne faisait pas partie des plans de carrière de Gérald Fillion. «Plus jeune, je préférais le sport, surtout le baseball», raconte ce fils unique qui a grandi à Lambton, près de Lac-Mégantic, et qui a réussi à briser la coquille de sa timidité à l’école secondaire. «J’ai fait de la radio étudiante, du théâtre, j’ai animé des galas et j’ai été président du conseil jeunesse de la caisse Desjardins. J’avais même osé me présenter à la présidence du conseil étudiant de l’école, mais je m’étais fait battre à plate couture», se rappelle-t-il en riant.
Durant ses études en lettres au Cégep de Sherbrooke, il caresse l’idée de devenir comédien, mais l’attrait du journalisme l’emporte. En 1997, il se joint à l’équipe de TVA avant même d’avoir terminé ses études en communication, puis à celle de LCN, une nouvelle chaîne de nouvelles en continu. Il y fait ses premières armes en journalisme: reportage, studio, revue de presse, il touche autant à l’actualité locale et nationale qu’aux nouvelles internationales.
C’est à cette époque qu’on lui propose d’être le remplaçant du chroniqueur économique de la chaîne. «J’ai dit aux patrons: “Je ne connais rien en économie, je ne sais même pas ce qu’est le Dow Jones”, se souvient-il. Je devais avoir la tête de l’emploi, parce que mes patrons n’ont pas lâché le morceau.»
Économie 101
Après l’aventure LCN et un bref passage à la radio de Radio-Canada, à l’été 2001, Gérald Fillion accepte un poste à RDI. «J’ai commencé ma formation le 6 septembre et elle devait se terminer le 11, raconte-t-il. Disons que l’actualité a pris le pas sur ma formation et que les semaines qui ont suivi ont été très occupées!»
«Le créneau intéressait peu mes collègues. Ce n’était pas mon domaine favori non plus, mais j’ai réalisé que je pouvais aborder une foule de sujets politiques, sportifs, sociaux ou culturels sous l’angle économique. Et aujourd’hui, j’adore ça!»
Dans le courant de l’automne, on lui propose le poste de chroniqueur financier à la Bourse de Toronto, qu’il accepte. Il en profite pour aller voir jouer les Blue Jays. «Les matchs à ciel ouvert contre les Yankees étaient formidables», raconte-t-il. Sans vouloir se prononcer sur les enjeux économiques d’un éventuel retour du baseball à Montréal, il ne cache pas qu’on le verrait souvent au stade si les Expos revenaient. « J’aime la lenteur du baseball, son rapport à la météo, les stratégies et les habiletés requises pour pratiquer ce sport.»
Seul dans la Ville Reine, motivé, il s’inscrit à un cours de l’Institut canadien des valeurs mobilières. «Je ne suis pas économiste ni fiscaliste, alors j’ai dû lire et travailler fort pour acquérir une bonne base en économie. J’avais besoin d’une immersion totale pour obtenir une perspective historique, des références, du vocabulaire, etc.»
C’est pendant ce séjour professionnel à Toronto qu’il scelle, en quelque sorte, son avenir journalistique avec l’économie. «En un sens, j’ai été opportuniste, reconnaît-il. Le créneau intéressait peu mes collègues. Ce n’était pas mon domaine favori non plus, mais j’ai réalisé que je pouvais aborder une foule de sujets politiques, sportifs, sociaux ou culturels sous l’angle économique. Et aujourd’hui, j’adore ça!»
De retour à Montréal à l’été 2004, il agit à titre de rédacteur, puis d’animateur de l’émission Capital Actions, sur les ondes de RDI. «C’était une émission orientée vers les décideurs, les gens d’affaires, les entreprises et la bourse, explique-t-il. J’ai tenté d’y apporter ma touche, mais elle n’a pas connu de succès.»
«Méchant bon conteur»
Peu après, Bernard Derome demande à ses patrons d’inclure un segment économique au Téléjournal. Ces derniers pensent tout naturellement à Gérald Fillion, qui se fait rapidement remarquer. La chroniqueuse télé Louise Cousineau soulignait en 2007 le savoir-faire du jeune journaliste: «La finance m’ennuie, mais je ne zappe pas ce gars-là dans ses converses (N.D.L.R.: échanges entre l’animateur et le journaliste) avec Bernard Derome et maintenant Pascale Nadeau. Méchant bon conteur», écrivait-elle.
À l’été 2008, la direction de RDI lui propose de lancer une émission d’économie. «RDI économie a vu le jour en septembre et la crise financière, qui couvait depuis plusieurs mois, a éclaté. Nous étions dans le feu de l’action et cela ne s’est pas arrêté depuis», souligne Gérald Fillion.
Présentée en début de soirée, l’émission quotidienne vise à rendre l’économie accessible à un large public. «Nous nous adressons aux consommateurs, aux contribuables, aux citoyens», précise l’animateur. Avec lui, les gens réalisent que les enjeux économiques ne sont pas l’affaire d’un groupe de privilégiés, ni un sujet trop compliqué. «L’économie touche tout le monde, insiste-t-il, du p.-d.g. à l’écolo, de l’étudiant à la personne âgée.»
Gérald Fillion alimente également depuis 2006 le blogue économie sur le site de Radio-Canada. «Cela me permet de structurer ma pensée, d’aller plus loin dans mes recherches et d’aborder des sujets dont je ne peux pas parler à la télévision, où il faut être concis. Et puis, j’aime l’interaction directe avec les lecteurs.»
Rigueur et objectivité
Gérald Fillion chérit plus que tout son objectivité journalistique. «Je peux être très dur dans une entrevue avec Pierre Karl Péladeau, et l’on me taxe d’être libéral, puis la semaine suivante je cuisine sans ménagement le ministre des Finances, Carlos Leitão, et l’on me reproche mon jupon péquiste. Ça me fait bien rire!»
Il y a quelques années, lors d’une entrevue accordée à Christiane Charrette, Gérald Fillion s’est fait apostropher par un invité qui affirmait que l’objectivité est l’arme des lâches. «Il n’y a rien de plus faux, car il n’y a rien de plus difficile que d’être objectif, riposte le journaliste. On peut donner son opinion sur tout et n’importe quoi, sans nécessairement avoir de bons arguments. S’en tenir aux faits, en revanche, demande énormément de rigueur.»
«Je prends plaisir à fouiller dans les chiffres, à me plonger dans les statistiques et les rapports pour tenter d’en ressortir avec une explication claire et limpide, dit-il. J’adore concocter des graphiques, qui permettent de bien saisir une problématique en un seul coup d’œil. Et, par-dessus tout, je garde toujours en tête que derrière ces chiffres, il y a des histoires humaines.»
Gérald Fillion n’a pas de plan de carrière. Il adore son boulot, son mode de vie citadin et le temps passé à son chalet dans les Cantons-de-l’Est, où il jardine, bricole un brin et observe les oiseaux en dilettante. Amateur de bons vins, il adore découvrir de bonne tables, notamment à New York, l’une de ses destinations favorites. On l’a approché pour faire de la politique, mais il a décliné. «J’aurais plutôt le goût d’élargir mon champ d’action pour faire encore plus d’éducation économique», dit-il.
C’est dans cette perspective que le journaliste a publié, l’an dernier aux éditions La Presse, l’ouvrage Vos questions sur l’économie avec l’économiste François Delorme. «Le livre aborde de façon factuelle des questions que l’on me pose souvent sur des sujets comme le prix de l’essence, la péréquation, les taux d’intérêt, l’acquisition d’une maison, les impôts et la dette.»
Gérald Fillion parle de sa spécialité avec passion. «Je prends plaisir à fouiller dans les chiffres, à me plonger dans les statistiques et les rapports pour tenter d’en ressortir avec une explication claire et limpide, dit-il. J’adore concocter des graphiques, qui permettent de bien saisir une problématique en un seul coup d’œil. Et, par-dessus tout, je garde toujours en tête que derrière ces chiffres, il y a des histoires humaines.»
Retour à l’UQAM
Au cours des trois dernières années, Gérald Fillion a accepté d’être le lecteur de la dictée ESG, un événement visant à valoriser le français auprès des membres du Regroupement des étudiants des facultés d’administration de l’est du Canada. L’équipe de RDI économie a également diffusé une émission «Spéciale impôts» en direct de l’UQAM en 2013, 2014 et 2015, en parallèle avec la tenue de la Clinique d’impôt de l’ESG UQAM, qui regroupe une vingtaine d’experts, dont des professeurs et des chargés de cours du Département des sciences comptables, ainsi que des étudiants et des diplômés. Ces derniers répondent aux questions du public sur place, en direct sur les ondes de RDI et sur le Web. «J’adore mon alma mater. Je suis content d’y revenir», note le récipiendaire du Prix Reconnaissance UQAM 2012 de la Faculté de communication.
Source:
INTER, magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 13, no 1, printemps 2015.