Voir plus
Voir moins

Le goéland sous tous ses angles

Des chercheurs ont scruté à la loupe le comportement du goéland à bec cerclé.

Par Pierre-Etienne Caza

14 décembre 2015 à 16 h 12

Mis à jour le 15 décembre 2015 à 10 h 12

En 2006, les villes de Terrebonne et de Repentigny ont confié un mandat à un cabinet d’expertise environnementale afin de trouver des solutions aux problèmes occasionnés par la présence accrue de goélands dans leur région. «En se rendant vers leurs sites d’alimentation, parmi lesquels un site d’enfouissement de déchets, les goélands volaient au-dessus des zones résidentielles, explique Jean-François Giroux, professeur au Département des sciences biologiques. En passant, ils laissaient tomber leurs fientes, causant un désagrément pour les citoyens, qui ont réclamé des mesures de contrôle.»

Un comité de travail a conclu qu’une approche intégrée et régionale était nécessaire. Mais, pour cela, il fallait de meilleures connaissances scientifiques, car on disposait de peu d’information sur la distribution, sur les mouvements et sur les habitats des goélands. Des chercheurs de l’UQAM et d’autres universités ont alors élaboré un projet de recherche pour étudier le comportement du goéland à bec cerclé en milieu urbain et périurbain dans une perspective de gestion intégrée. «L’objectif était de mieux comprendre le comportement de quête alimentaire et la dynamique de la population de goélands qui niche sur l’île Deslauriers, située entre Montréal et Varennes. Il s’agit de la plus grosse colonie du fleuve Saint-Laurent. Elle abrite près de 45 000 couples», explique Jean-François Giroux.

Les habitudes alimentaires

Jean-François Giroux

Afin de connaître les lieux privilégiés par les goélands pour se nourrir, les chercheurs ont muni 161 oiseaux de consignateurs de localisation GPS miniatures et ils ont relevé 1 765 trajets d’alimentation. Les données ont révélé que les goélands utilisaient principalement les terres agricoles situées près des colonies et les sites d’enfouissement – appelés dans le jargon lieux d’enfouissement technique (LET). «Comme le LET de Terrebonne n’est qu’à sept kilomètres de la colonie de l’île Deslauriers, il était facile pour  les goélands d’effectuer deux voyages d’alimentation par jour afin de nourrir leurs petits restés dans le nid. Cette proximité pouvait expliquer en partie l’accroissement exponentiel de la population», explique Jean-François Giroux. Les sites visités pour l’alimentation étaient situés entre 0,5 et 45 kilomètres de la colonie avec une distance médiane de 12 km et des distances parcourues aller-retour de 25 km par trajet.

Les chercheurs ont également observé que les goélands qui se nourrissent dans les milieux modifiés par les humains, comme les poubelles de casse-croûte ou de centre commercial, ont une charge parasitaire moindre que les oiseaux qui fréquentent des milieux naturels comme les rives du fleuve. Cela aurait amélioré la condition des oiseaux et favorisé la croissance de la population, explique le chercheur. «Notre hypothèse est que les parasites intestinaux ont un cycle complexe qui nécessite souvent un hôte intermédiaire tel un gastéropode (escargot), des crustacés, etc. On retrouve ceux-ci en milieu aquatique, agricole, ou dans la pelouse des parcs. En milieux urbains, les goélands ont moins de chance de rencontrer ces hôtes intermédiaires.»

Les goélands à bec cerclé sont considérés comme des généralistes en matière d’alimentation. «En combinant les données obtenues à l’aide des consignateurs de localisation et des analyses d’isotopes stables dans différents tissus, nous avons démontré que les individus tendent à manger le même type d’aliments durant la période de nidification. Chacun a ses goûts!», souligne le professeur.

Programme d’effarouchement

Une fois confirmé le fait que les LET offraient aux goélands un buffet à volonté (le compostage n’étant guère en vogue à l’époque, les déchets organiques étaient plus nombreux), les chercheurs se sont intéressés aux méthodes d’effarouchement permettant de chasser les goélands de ces sites, en particulier l’utilisation d’oiseaux de proie (LET de Terrebonne) et l’abattage d’oiseaux (LET de Sainte-Sophie). «Moins de 1 % des goélands observés au LET de Terrebonne réussissaient à s’alimenter alors que 15 % pouvaient s’alimenter au LET de Sainte-Sophie. Le programme d’abattage n’était pas aussi efficace que la fauconnerie parce qu’il était restreint aux heures de bureau des employés du site. Les oiseaux finissaient par connaître les horaires des employés», note avec humour Jean-François Giroux.

À la lumière de ces résultats, les gestionnaires du LET de Sainte-Sophie ont opté pour l’effarouchement par fauconnerie. Cela a eu des impacts observables durant la recherche. «Si les oiseaux doivent aller plus loin pour trouver des aliments, cela se reflète sur le taux de survie», indique le professeur. Les goélands à bec cerclé pondent trois œufs par année et le succès d’éclosion tourne autour de 80 %. Le nombre de jeunes qui survivent et réussissent à s’envoler était de 1,8 (sur les trois oeufs) dans les années 1980, alors qu’il est aujourd’hui de l’ordre de 1,1. «On a observé depuis 2005 un déclin de la population de goélands et les citoyens de Terrebonne et de Repentigny ne se plaignent plus des nuisances», ajoute-t-il.

Dispersion et taux de survie

Après la période de reproduction, les goélands quittent la colonie de l’île Deslauriers et se dispersent sur le continent. Certains individus se retrouvent dans la région des Grands Lacs, d’autres dans l’État de New York, dans le Bas Saint-Laurent ou au Nouveau-Brunswick. «Nous avons muni 25 oiseaux de balises Argos-GPS, qui nous permettent de les suivre tous les jours depuis trois ans, ce qui représente un ensemble de données unique», souligne Jean-François Giroux. Deux localisations sont obtenues chaque jour, à minuit (pour connaître l’emplacement du dortoir) et à midi (pour localiser les sites d’alimentation). «Nos résultats préliminaires indiquent que les goélands sont fidèles à leur route de dispersion d’une année à l’autre», précise-t-il. Lorsque le froid se pointe, les goélands descendent ensuite plus au sud en longeant la côte Est américaine.

Marie-Claude Murray
 

La candidate à la maîtrise Marie-Claude Murray tente actuellement d’estimer la survie annuelle des goélands à bec cerclé, des oiseaux qui vivent habituellement entre 15 et 20 ans. «Je souhaite déterminer l’effet du sexe, de l’âge, de la condition des oiseaux – surtout pour les jeunes qui s’envolent pour la première fois – et des conditions météorologiques sur la survie des oiseaux», explique-t-elle. Pour ce faire, les chercheurs ont marqué un peu plus de 9 000 goélands avec des bagues de plastique portant des codes individuels. «À ce jour, nous avons cumulé plus de 13 000 observations», ajoute-t-elle.

«On sait, par exemple, que l’un des goélands s’est arrêté au même McDo du Connecticut quatre ans de suite! Cela dit, je suis plus inquiet de l’observateur, qui semble manger souvent au McDo, que de l’oiseau.»

Jean-François Giroux

Professeur au Département des sciences biologiques

Ces observations proviennent de chercheurs du Québec, des autres provinces et des États-Unis, mais aussi d’ornithologues amateurs. «On sait, par exemple, que l’un des goélands s’est arrêté au même McDo du Connecticut quatre ans de suite! Cela dit, je suis plus inquiet de l’observateur, qui semble manger souvent au McDo, que de l’oiseau», raconte en riant Jean-François Giroux.

Ces observateurs bénévoles sont cruciaux pour le travail des scientifiques, poursuit-il sérieusement. «Dès que l’on reçoit une observation, nous tentons d’y répondre le jour même, car les gens aiment savoir d’où provient l’oiseau qu’ils ont observé. Nous faisons également parvenir un bilan annuel à nos observateurs réguliers.» 

Le retour des goélands à l’île Deslauriers au printemps représente un moment privilégié pour la collecte de données. «Je passe alors mes journées à me promener dans la colonie avec mes jumelles – et un casque anti-bruit – pour lire les codes de bague», raconte Marie-Claude Murray. Certaines bagues sont retournées à l’équipe lorsqu’un oiseau est retrouvé mort. «On a déjà retrouvé une de nos bagues dans le bas de la tour de l’Université de Montréal, qui abrite un couple de faucons pèlerins, raconte Jean-François Giroux. Un faucon de l’UdM avait mangé un petit goéland de l’UQAM!»

Le projet de recherche, réalisé de 2009 à 2012 avec l’appui de plusieurs partenaires et du CRSNG, a donné lieu jusqu’à maintenant à la publication de 8 articles scientifiques et de 5 mémoires de maîtrise. Certains projets se poursuivent encore et portent, entre autres, sur la dispersion post-reproductive et l’utilisation des toits plats pour la nidification. Une étude sur l’exposition des Goélands à bec cerclé aux contaminants émergents comme les retardateurs de flamme, par le professeur Jonathan Verreault, est aussi en cours grâce à une subvention du Fonds de recherche du Québec Nature et technologies.