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Océanographie: pour une génération conscientisée

Marc Lucotte livre un plaidoyer pour la sauvegarde de la planète.

Série

En classe!

Par Valérie Martin

14 décembre 2015 à 17 h 12

Mis à jour le 2 juin 2022 à 22 h 04

Marc LucottePhoto: Nathalie St-Pierre

Début décembre, les changements climatiques sont LE sujet de l’heure. La conférence de l’ONU sur le climat (COP 21), qui a lieu à Paris, bat son plein. Fruit du hasard, la matière du cours Océanographie porte justement sur les perturbations du cycle du carbone et les changements climatiques.

Donné par le professeur Marc Lucotte, du Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère, ce cours de base présente une vue d’ensemble de la science océanographique moderne dans une optique multidisciplinaire. Offert aux étudiants du baccalauréat en sciences de la Terre et de l’atmosphère (concentration géologie) et bientôt à ceux du nouveau programme en sciences naturelles appliquées à l’environnement, le cours, aussi disponible pour les étudiants libres, intègre à la fois des notions de physique, de chimie, de géologie et de biologie.

La séance d’aujourd’hui fait partie des deux cours-bilans que le professeur présente, avant l’examen final, pour revoir les différentes notions abordées au cours de la session, tout en analysant l’impact des déséquilibres provoqués par l’activité humaine sur la planète et en particulier sur les océans. Au programme: les propriétés physiques et géochimiques de l’eau de mer, les cycles du silicium et du carbone, ainsi que l’écologie des océans, la pollution, l’utilisation et le droit de la mer. Un véritable plaidoyer pour la sauvegarde de notre planète bleue!

«Malgré tous nos efforts, nous n’arrivons pas à réduire nos émissions de gaz à effet de serre, dont le dioxyde de carbone (CO2), remarque Marc Lucotte. Pour trouver des solutions aux problèmes climatiques, nous tendons de plus en plus vers des propositions mises de l’avant par la géo-ingénierie. On bricole la planète à grande échelle.» Parmi les propositions les plus populaires: celles voulant que l’on rejette dans les océans du dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère. «On sépare le CO2 des autres gaz, on le pompe, on le compresse et ensuite on l’achemine par pipeline dans l’océan à un même endroit, si possible dans des eaux profondes et froides. Le gaz est ainsi piégé dans les eaux.» Toutefois, plus on met de CO2 dans les océans, plus on les acidifie… «Nous sommes prêts à sacrifier les coraux, dont la survie est, par ailleurs, déjà fortement menacée au cours des années à venir», s’attriste le professeur.

Avant de poursuivre sa présentation PowerPoint, contenant une foule de statistiques sur les changements climatiques, images chocs à l’appui, le professeur met en garde son auditoire: «Loin de moi l’idée de vous déprimer, dit-il. Ce sont les gens de votre génération qui auront à prendre des décisions pour maintenir l’équilibre de la planète. Devra-t-on bricoler la Terre pour cela? Ce sera à vous d’en juger.»

Changements climatiques

Classe d’Océanographie Photo: Nathalie St-Pierre

Les changements climatiques sont dus, dans la majeure partie des cas, à la production, par les humains, des gaz à effet de serre, et ce, à partir de réactions de combustion. «Lorsque nous brûlons du pétrole, du charbon ou du gaz, cela ajoute du carbone dans l’atmosphère, explique le professeur. Ce carbone ajouté ne fait pas partie du cycle du carbone, un phénomène biogéochimique naturellement présent sur notre planète.»

L’augmentation des températures de l’atmosphère ─ entraînant sécheresses, ouragans et autres catastrophes ─, la montée des eaux ainsi que l’acidification des océans figurent sur la liste des impacts immédiats des changements climatiques. Ces impacts sont désormais facilement observables à l’échelle de la planète.

«Au moins 20 pour cent de la population vit à moins de cinq mètres d’altitude. Des villes comme Shanghai, Beijing, Bangkok et New York se trouvent au niveau de la mer. Une hausse de la montée des eaux et c’est la catastrophe pour de nombreux humains.»

Marc Lucotte,

professeur

Comment peut-on discerner les effets climatiques attribuables aux modulations naturelles du climat de ceux induits par les humains? Dans quelles mesures pouvons-nous prédire la portée des changements climatiques alors que nous peinons toujours à établir avec justesse des prédictions météo à court terme? Cette dernière question est l’un des arguments favoris des climato-sceptiques, qui ne croient pas à l’existence du réchauffement climatique. «Il ne s’agit pas de regarder un seul élément ou un événement isolé, mais plutôt d’examiner les tendances passées du climat de notre planète sur une centaine ou un millier d’années tout en filtrant les irrégularités», résume le professeur. Si l’on observe de très près un tableau en pointillé du peintre néo-impressionniste Georges Seurat, il est difficile d’apercevoir une quelconque forme. «Mais au fur et à mesure que l’on s’éloigne, tous les éléments du tableau se dévoilent, illustre le professeur. C’est la même chose avec les tendances climatiques.» Ainsi, ce n’est pas parce qu’il a fait très froid au Québec l’hiver dernier que les changements climatiques sont des chimères! «Partout ailleurs sur la planète, nous avons enregistré des records de chaleur.»

Les géo-ingénieurs à la rescousse?

Marc LucottePhoto: Nathalie St-Pierre

Les géo-ingénieurs proposent des solutions au réchauffement climatique, dont plusieurs font l’objet de discussions dans le cadre de la conférence COP 21, précise le professeur Lucotte. «De plus en plus de grandes entreprises commencent à vendre des processus pouvant contrôler les émissions de gaz à effet de serre et la température du sol.»

À côté du pompage du CO2, d’autres projets visent à fertiliser les océans avec des nutriments comme les phosphates ou le fer, une méthode expérimentale ayant pour but d’accroître la productivité marine afin que, dans les zones fertilisées, les organismes marins puissent absorber davantage de CO2.

Comme certaines surfaces réfléchissent davantage la lumière, permettant d’abaisser la température de quelques degrés, le Brésil et ses géo-ingénieurs souhaitent mettre au point des plantes, comme du maïs et du soja, plus brillantes. «L’idée consiste à modifier l’albédo – le pouvoir réfléchissant d’une surface – de ces cultures. Étant donné que ces ”nouvelles” cultures, plus réfléchissantes, occuperaient des superficies considérables, cela pourrait avoir un impact sur le climat.»

D’autres solutions sont mises de l’avant: la production de nuages (vous avez bien lu…), ou encore le blanchiment des installations humaines, comme les toits. «Cela réduit l’effet de serre, mais seulement en ville», dit le professeur. Même les Suisses se mettent de la partie! Désolés de voir fondre la neige de leurs glaciers, ces derniers envisagent de les saupoudrer de… poudre blanche. «Cela créerait un albédo local qui permettrait aux glaciers de ne pas fondre trop rapidement», explique Marc Lucotte.

On sait qu’un volcan qui explose libère des poussières dans l’atmosphère, entraînant une baisse significative de la température. Pour mieux contrôler la température, des géo-ingénieurs croient qu’il serait possible d’aller chercher des morceaux de Lune ou d’astéroïdes pour les faire exploser dans la haute atmosphère de la planète. Dans la catégorie des solutions de géo-ingénierie loufoques, la palme revient cependant aux Russes, qui ont eu l’idée d’envoyer dans l’espace des panneaux réfléchissants orientés au-dessus des villes afin d’empêcher les rayons du soleil d’atteindre la Terre…

«Nous rions jaune, certes, devant toutes ces propositions qui ont, parfois, fait l’objet d’études parues dans des revues prestigieuses comme Science et Nature, remarque le professeur. Le plus inquiétant, c’est qu’elles sont réalisables et peu coûteuses. La plupart de ces solutions impliquent malheureusement le sacrifice d’un élément au profit d’un autre ou une production importante d’énergie.»

«Que pensez-vous tout de même des propositions faites à COP 21 et de la tenue de la conférence?», demande Guillaume Fortin, étudiant au Certificat en sciences de l’environnement. «On ne peut pas être contre tout! Il est quand même formidable d’avoir pu réunir 195 chefs d’état avouant d’un même souffle la gravité de la situation, souligne Marc Lucotte. C’est un grand changement par rapport à l’époque où Georges Bush était à la tête du gouvernement américain.»

Pollution par le plastique

Marc LucottePhoto: Nathalie St-Pierre

La pollution des mers par le plastique cause, bon an mal an, le décès d’un million d’oiseaux et de 100 000 animaux marins. Le plastique se fragmente en microparticules qui se retrouvent dans la chaîne alimentaire. «Les animaux confondent ces particules avec leur nourriture. Au bout d’un moment, leurs estomacs se remplissent de plastique et ils en meurent étouffés ou empoisonnés.»

Les bouteilles d’eau en plastique et autres produits dérivés du pétrole sont présents partout dans les océans. Dans les zones de convergence en plein milieu des océans, des zones tourbillonnaires où les objets valsent sur place, on peut voir apparaître de petites îles de plastique. Selon une étude de la revue Proceedings of National Academy of Science (PNAS), quelque 300 millions de tonnes de plastique jonchent les océans.

«Y a-t-il des moyens de prévenir l’accumulation de tous ces déchets ou de les récupérer?», lance Laura Gonzalez, étudiante au baccalauréat par cumul de programmes. Difficile, répond le professeur. «Dans des pays comme la Chine et l’Inde, les gouvernements n’ont toujours pas mis en place de programmes de récupération. Pour leurs habitants qui sortent de la pauvreté, consommer du plastique est une manière de démontrer qu’ils ne sont plus aussi pauvres qu’avant.»

En terminant la séance, Marc Lucotte se fait encourageant. «Ce cours a été mis sur pied pour vous donner le goût de faire de la science. Nous avons besoin de jeunes scientifiques comme vous pour développer une compréhension fine de la dynamique complexe du système planétaire, pour proposer des solutions avant que l’une des multiples composantes de notre système bascule au-delà du point d’équilibre.»