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Une passionnée à la barre du MAJ

À l’image d’Annie Gauthier, la personnalité du nouveau Musée d’art de Joliette se veut pétillante, dégourdie et ouverte sur le monde.

Par Marie Lambert-Chan

12 novembre 2015 à 8 h 11

Mis à jour le 2 juin 2022 à 13 h 44

Série Tête-à-tête
Rencontre avec des diplômés inspirants, des leaders dans leur domaine, des innovateurs, des passionnés qui veulent rendre le monde meilleur.​

Quand Annie Gauthier (B.A. arts visuels, 98) a pris la barre du Musée d’art de Joliette (MAJ) en 2012, elle savait l’institution mal en point. Elle était toutefois loin d’imaginer l’état de décrépitude avancé dans lequel se trouvait le plus important musée en dehors des grands centres au Québec. «Le toit était percé et il pleuvait dans les salles, se rappelle la directrice de 41 ans. C’était une vraie passoire!» Les nuits de forte pluie, ses employés et elle se relayaient pour vider des bacs disséminés aux quatre coins de la bâtisse. «Heureusement que le père Wilfrid Corbeil, le créateur du musée, a imaginé un bâtiment en béton, car s’il avait été en bois, il se serait effondré», déclare-t-elle sur un ton espiègle tout en jetant un regard à la rivière l’Assomption qu’on peut désormais admirer à travers les immenses fenêtres du musée fraîchement rénové.

La transformation de l’édifice construit en 1976 s’est révélée une entreprise titanesque. L’opération a nécessité deux ans de travaux, coûté 14 millions de dollars et requis le déménagement des quelque 8500 œuvres de la collection du musée – parmi lesquelles on retrouve des pièces signées par Rodin, Borduas, Riopelle et Ozias Leduc. L’austère établissement, surnommé «le bunker» par les gens du coin, s’est métamorphosé en un bâtiment moderne entièrement vitré. À l’intérieur, les pièces sombres ont fait place à des salles lumineuses aux lignes épurées. Des terrasses, où on offre un service de bar et de traiteur, ont été greffées à l’ensemble. À l’image de sa directrice, la personnalité du nouveau MAJ se veut pétillante, dégourdie et ouverte sur le monde.

«Grâce aux rénovations, j’avais la possibilité de casser littéralement la baraque et, surtout, de briser le moule de ce qu’on pense être un musée», observe Annie Gauthier. Étonnamment, la directrice du MAJ n’a jamais rêvé de diriger une institution muséale. Pendant des années, elle a œuvré comme gestionnaire du côté associatif des arts, agissant à titre de responsable du développement professionnel au Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec, puis sur la scène nationale comme directrice de la Conférence des collectifs et des centres d’artistes. «À mes yeux, les directions de musées n’entretenaient pas de lien avec la communauté et ne comprenaient pas grand-chose à la réalité des artistes», dit-elle. C’est son mari, l’artiste Milutin Gubash, qui l’a convaincue de tenter sa chance au MAJ. « Pour moi, il n’y a rien de plus frustrant que les individus qui se plaignent sans agir, remarque-t-elle. J’aime travailler pour faire bouger les choses.»

Dès l’université, Annie Gauthier passe davantage de temps à faire de la politique et de la gestion dans les couloirs au nom de son association étudiante qu’à pratiquer son art en atelier. Des collègues de classe le lui reprochent : être artiste et gestionnaire n’est pas une dualité qui va de soi. «En poursuivant des études de deuxième cycle en gestion des arts, j’avais l’impression de trahir les miens», confie celle qui, pendant 11 ans, a présenté des performances sonores à l’aide d’ustensiles de cuisine en compagnie du collectif Women With Kitchen Appliances. L’artiste Lucio De Heusch, alors professeur à l’UQAM, l’a aidée dans sa démarche. «Il m’a assurée que ces deux pans de ma personnalité pouvaient coexister. C’est comme s’il m’avait donné la permission d’y croire», dit-elle.

Maintenant que les rénovations du MAJ sont terminées, Annie Gauthier part à la reconquête du public. «Le musée a une réputation nationale bien établie parmi les pairs, mais il reste mal-aimé des citoyens», fait-elle remarquer. L’image du MAJ a souffert de l’apparence sévère de son ancienne bâtisse et d’une programmation de qualité mais peu accessible. Environ 12 000 personnes visitent le musée chaque année. Un nombre qu’Annie Gauthier entend «faire augmenter de façon spectaculaire au cours des prochaines années».

La directrice multiplie déjà les initiatives pour ancrer le musée dans la communauté lanaudoise. La première œuvre exposée à l’entrée du nouveau MAJ incarne cette volonté : des personnes âgées et des étudiants de la région ont plié les 15 000 origamis rouges et noirs qui forment l’installation monumentale Les structures cristalloïdes imaginée par l’artiste Andrée-Anne Dupuis Bourret (M.A. arts visuels et médiatiques, 11), chargée de cours à l’École des arts visuels et médiatiques. Annie Gauthier amorce sa première programmation avec une rétrospective de la photographe Geneviève Cadieux et compte accueillir des artistes en résidence, à commencer par Stéphane Gilot, professeur à l’École des arts visuels et médiatiques.

«Je veux que le musée soit utilisé en tout temps, car un musée vide n’a aucun sens! déclare avec passion Annie Gauthier. J’aimerais que les gens se sentent autorisés à venir au musée quand bon leur semble, que ce soit pour flâner, prendre un verre sur la terrasse, lire dans nos aires de repos… Nul besoin d’invitation : ce musée leur appartient.»

Source:
INTER, magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 13, no 2, automne 2015.