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Voix oubliées

Voix et images consacre un dossier à l’écriture des femmes dans le Québec de l’entre-deux-guerres.

Par Claude Gauvreau

20 mai 2014 à 12 h 05

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

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La revue Voix et images a publié un dossier intitulé «Voix de femmes dse années 1930».

Entre la parution d’Angéline de Montbrun à la fin du XIXe siècle et celle des célèbres romans Bonheur d’occasion et Le Survenant en 1945, ce serait, selon une idée reçue, le calme plat, voire le trou noir, du côté de l’écriture des femmes au Québec. Pourtant, les années 1920 en poésie et les années 1930 pour le roman ont vu émerger de nouvelles voix de femmes qui, après un premier accueil parfois enthousiaste, parfois assassin, ont vite sombré dans l’oubli.

Pour révéler ce pan méconnu de notre histoire littéraire, la revue Voix et images du Département d’études littéraire a publié dans son dernier numéro (116) un dossier intitulé «Voix de femmes des années 1930», dirigé par  la professeure Lori Saint-Martin. Dans ce dossier, Chantal Savoie et Daniel Chartier, de l’UQAM, et d’autres chercheurs font résonner des voix d’auteures québécoises de l’entre-deux-guerres, comme celles de Michelle Le Normand, Laure Berthiaume-Denault, Éva Senécal, Jovette Bernier et Simone Routier.

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La professure Lori Saint-Martin. Photo: Nathalie St-Pierre.

Pour Lori Saint-Martin, deux raisons expliquent le silence qui a régné autour de ces auteures. «D’abord le sexisme, soit l’oubli général de l’écriture des femmes dans l’histoire de la littérature, et ce, dans la plupart des pays, y compris au Québec.» Ensuite, la mainmise du clergé sur les esprits dans le Québec des années 20 et 30. «Ceux qui faisaient les compte rendus de livres dans les journaux et les revues étaient généralement des prêtres qui n’appréciaient pas le caractère novateur et parfois immoral des thèmes portés par l’écriture des femmes à cette époque.»

Une période d’essor

Durant les années 1920 et 1930, cela n’allait pas de soi pour une femme de se consacrer à l’écriture ou d’envisager une carrière littéraire. La seule option recevable socialement était de se dévouer aux autres, à ses enfants et à son mari. Pourtant, au cours de ces années, des femmes ont multiplié les pratiques littéraires et fondé des revues.

«Cette période est décisive pour le statut social des femmes et, de façon concomitante, pour leur fortune littéraire, explique Lori Saint-Martin. Sur le plan politique, les femmes obtiennent le droit de vote au fédéral et se regroupent pour le revendiquer au provincial. Elles profitent par ailleurs de nouvelles tendances comme l’industrialisation des journaux, qui a entraîné la création de pages féminines, ou encore de l’émergence de débouchés comme le roman d’amour, la littérature jeunesse et les romans feuilletons à la radio. Certains hommes leur sont hostiles, tandis que d’autres les encouragent. C’est le cas du poète Alfred Desrochers et de l’éditeur Albert Lévesque, qui fait paraître des romans de femmes, tels que La chair décevante de Jovette Bernier et Dans les ombres d’Éva Sénécal.»

Une écriture moderne

À cette époque, l’écriture des femmes navigue entre tradition et innovation, entre des rôles féminins imposés et la recherche de nouvelles identités. «La modernité caractérise une bonne partie de la production romanesque féminine, souligne la chercheuse. Alors que domine le roman de la terre, plusieurs récits se situent en ville. On y voit des personnages qui veulent être libres, qui fustigent l’éducation réservée aux jeunes filles, les contraintes sociales imposées aux femmes et la stigmatisation du corps.»

De nouveaux thèmes surgissent, comme ceux du voyage – symbole d’ouverture et d’autonomie  – et du désir féminin. «Malgré la prégnance de l’image traditionnelle de la mère épouse, certaines œuvres mettent en scène des amours hors mariage ou des amours mixtes entre personnes d’origine, de langue et de religion différente, note Lori Saint-Martin. Le roman Dans les ombres, par exemple, est doublement transgressif. Son héroïne est une femme mariée qui vit une idylle amoureuse avec un autre homme, Américain de surcroît.»

Le dossier de Voix et images ouvre de nouvelles pistes de réflexion. «Jusqu’à maintenant, beaucoup d’attention a été portée aux conditions de production et de réception des œuvres féminines. Sans abandonner ces recherches, il reste maintenant à conduire des études sur les œuvres elles-mêmes», dit la professeure.  

Un regard savant

Dirigée par le professeur Robert Dion, du Département d’études littéraires, Voix et Images est la seule revue savante consacrée exclusivement à la littérature québécoise. Ouverte à différentes approches théoriques et forte d’un réseau international de correspondants, elle constitue depuis plus de 40 ans un lieu de diffusion privilégié pour les chercheurs et les étudiants d’ici et de l’étranger. Chacun de ses numéros comporte un dossier, des études et des chroniques. Consacré à une thématique ou à un auteur, le dossier propose les résultats inédits de travaux réalisés dans le cadre de divers programmes de recherche. Les études élargissent le champ de la réflexion en abordant des sujets originaux. Quant aux chroniques, elles sont rédigées par des collaborateurs réguliers et signalent à l’attention des chercheurs des ouvrages marquants parus dans divers domaines.

La revue bénéficie de subventions du Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC) et du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH).