En 2009, le quadruple meurtre touchant une famille afghane de Montréal ainsi que la condamnation du père, de la mère et du frère de trois des victimes a secoué le Québec. En effet, l’affaire Shafia a provoqué une prise de conscience collective quant à la réalité largement ignorée jusque-là des crimes d’honneur. Yolande Geadah, auteure, chercheuse indépendante et membre de l’Institut de recherches et d’études féministes, a prononcé une conférence lundi dernier à l’UQAM portant sur les crimes d’honneur. Organisé par l’Institut d’études internationales de Montréal en collaboration avec le Conseil du statut de la femme, l’événement avait pour objectif de mieux comprendre les enjeux liés aux crimes d’honneur, notamment ce qui les distingue de la violence familiale «ordinaire», tout en apportant quelques pistes de solution.
Le phénomène des crimes d’honneur ne cesse de prendre de l’ampleur dans le monde: selon l’ONU, près de 5000 femmes partout sur la planète meurent chaque année au nom de l’honneur, un chiffre qui pourrait être en deçà de la réalité puisque certains pays ne répertorient pas de tels crimes et qu’un bon nombre sont déguisés en accidents, en suicides ou en disparitions inexpliquées. La situation est particulièrement préoccupante en Asie du Sud, en Afrique et au Moyen-Orient ainsi que dans les pays en guerre, où les agresseurs peuvent agir en toute impunité.
Les pays occidentaux sont également de plus en plus touchés par ce phénomène en raison de l’immigration croissante en provenance de pays où ces violences sont fréquentes. En Angleterre, environ 12 cas sont enregistrés chaque année. Au Canada, 26 crimes d’honneur ont été répertoriés entre 1991 et 2012. La plupart ont été commis par le mari, le père, l’oncle ou le frère de la victime. Des femmes y ont également participé. «Le chiffre est faible en comparaison des statistiques sur les homicides familiaux, mais les meurtres justifiés par l’honneur ne sont que la pointe de l’iceberg; ils cachent d’autres formes de violence», explique Yolande Geadah, qui est l’auteure principale de l’avis Les crimes d’honneur: de l’indignation à l’action, publié par le Conseil du statut de la femme en octobre 2013.
«Les crimes d’honneur ne relèvent pas d’un désir de contrôle individuel des hommes sur les femmes, mais bien d’un système imposé par une collectivité, à travers des punitions et des restrictions. C’est ce qui les distingue des violences familiales.»
Ces violences basées sur l’honneur prennent plusieurs formes: mutilations génitales, enlèvement, brûlures domestiques, viol collectif, suicide forcé, test de virginité, attaque à l’acide, etc. «Ces violences ne sont exclusives ni à une culture, ni à une religion, comme l’indiquent les différentes confessions et origines des victimes canadiennes, qu’on retrouve dans les communautés musulmane, hindoue et sikhe, précise la chercheuse. Elles émanent plutôt d’une culture patriarcale qui transcende les religions.»
Le concept d’honneur
Le contrôle de la sexualité des femmes est un élément-clé des violences basées sur l’honneur. «Dans une logique patriarcale de l’honneur, les femmes et les filles constituent une source potentielle de déshonneur. Leur contrôle social et sexuel est un devoir qui incombe aux hommes de la famille et à des femmes plus âgées», explique Yolande Geadah.
Les crimes d’honneur ne relèvent pas d’un désir de contrôle individuel des hommes sur les femmes, mais bien d’un système imposé par une collectivité, à travers des punitions et des restrictions. C’est ce qui les distingue des violences familiales. Les agressions envers les femmes sont souvent préméditées et sont approuvées par la famille ainsi que par les membres de la communauté. «Tuer une femme déshonorable met un terme au déshonneur de la famille. Les agresseurs ne se voient pas comme des criminels, ils sont convaincus de défendre l’honneur», explique Yolande Geadah.
Selon les témoignages recueillis par la chercheuse, le phénomène existe dans certains quartiers de Montréal, où toutes les familles d’une même communauté se connaissent et recréent ce système de contrôle et de surveillance. Pour lutter contre ces formes de violence, il faut ainsi tenir compte de leur dimension collective.
Des solutions
Pour venir en aide aux femmes victimes de violence basée sur l’honneur, le Royaume-Uni a mis en place en 2005 une unité policière spéciale, la Forced Mariage Unit. L’objectif est de soutenir les femmes mariées contre leur gré qui se sentent menacées par leur famille. Une ligne téléphonique est en service 24 heures par jour, 7 jours sur 7. Les ambassades à l’étranger peuvent également rapatrier les victimes au pays. Le Royaume-Uni s’est également doté en 2010 d’un Plan d’action national pour les femmes victimes de violence. Le document comporte un volet sur les femmes victimes de crimes ou de violences basés sur l’honneur.
Le Conseil du statut de la femme a émis plusieurs recommandations dans son avis, dont l’élaboration d’une politique nationale de lutte contre les violences basées sur l’honneur et d’un plan d’action visant à outiller adéquatement les personnes qui interviennent auprès des victimes, et la mise en place de mécanismes visant à protéger les femmes immigrantes en situation de parrainage entre conjoints. Des formations visant à faire la promotion de l’égalité entre les sexes et à informer les femmes immigrantes sur leurs droits et les recours possibles en cas de violence ainsi qu’un programme de sensibilisation afin de remettre en question le concept patriarcal de l’honneur au sein des communautés concernées sont également proposés.