
Professeur au Département de philosophie depuis 2000, Christian Saint-Germain a fait non pas un, mais deux doctorats ! Il a soutenu une première thèse, en 1988, sur le philosophe Emmanuel Lévinas et le poète Edmond Jabès, à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal, deux ans avant de commencer à enseigner à l’UQAM. Puis, en décembre dernier, le philosophe a soutenu une deuxième thèse, en droit cette fois, toujours à l’Université de Montréal. «C’est une folie… disons sérieuse. Il y a des hommes de 50 ans et plus qui courent le marathon, moi j’ai fait un deuxième doctorat», lance Christian Saint-Germain dans un grand éclat de rire, avant de confier qu’il est aussi titulaire de deux baccalauréats, dont un en sciences juridiques, et de deux maîtrises.
Sciences des religions, philosophie, droit criminel, littérature aussi, les champs d’intérêt de ce spécialiste des questions d’éthique sont diversifiés. «J’accorde beaucoup d’importance au rapprochement entre des disciplines qui, habituellement, communiquent peu entre elles, souligne le professeur. Les textes sacrés et juridiques, en particulier, m’ont toujours fasciné. Probablement parce qu’ils ont un impact direct sur les gens et le réel en général.»
Dans sa deuxième thèse intitulée «Le néo-sujet du droit criminel : effets secondaires des psychotropes sur l’anthropologie pénale», Christian Saint-Germain s’est intéressé à certains procès criminels au Québec qui mettaient en scène des accusés dépressifs ou atteints de troubles mentaux, agissant sous l’effet de médicaments désinhibiteurs, comme Francis Proulx, condamné à perpétuité pour le meurtre de l’attachée politique de l’ancien ministre libéral Claude Béchard, ou Guy Turcotte. «Les procès criminels sont fascinants pour un philosophe. Le droit criminel fait constamment référence à des concepts comme ceux de volonté, d’intention et de conscience. On peut se demander, par exemple, à quoi renvoient des expressions comme intention coupable ou état d’esprit blâmable.»
Questionner l’expertise psychiatrique
Christian Saint-Germain reconnaît que sa thèse a un côté provocateur. «Elle questionne l’autorité et la valeur scientifique de l’expertise psychiatrique dans les procès criminels, dit-il. Pourquoi les tribunaux canadiens prennent-ils au sérieux des gens qui prétendent fournir une preuve, alors qu’ils expriment le plus souvent une opinion ? Comment les psychiatres peuvent-ils prétendre être capables de reconstituer a posteriori l’état d’esprit de l’accusé au moment où il a commis son crime ?»
Le professeur s’interroge également sur la capacité du jury de faire preuve de discernement. «On demande à 12 personnes de juger la valeur des opinions contraires de deux psychiatres témoignant pour la couronne et pour la défense, alors qu’elles ne sont pas outillées pour le faire, et de déterminer sur la base du pouvoir de persuasion de ces experts si l’accusé peut être tenu responsable de son geste. C’est comme si on demandait à des gens qui assistent pour la première fois à un opéra de déceler des lacunes dans la prestation des interprètes.»
Les tribunaux, poursuit Christian Saint-Germain, ont fait appel à la psychiatrie au XIXe siècle parce qu’ils étaient confrontés à des actes criminels qu’ils n’arrivaient pas à s’expliquer. «La psychiatrie, en retour, a utilisé la vitrine judiciaire pour légitimer son importance au sein de la discipline médicale, qui la prenait peu au sérieux.»
Un fil conducteur
Au cours des dernières années, le philosophe a suivi un parcours qui, à première vue, peut sembler éclaté. Il a notamment publié un ouvrage dénonçant les abus des technologies médicales (2001), un essai sur l’émotion pornographique (2003), un pamphlet, Paxil Blues (2005), contre l’industrie pharmaceutique et la prolifération des antidépresseurs, un autre essai sur la paternité et la filiation (2005), une chronique sur la mélancolie (2007) et même un recueil de poésie, Tomahawk (2012).
«Les thèmes de l’anxiété et de la dépression sont très présents dans mes livres. Au fond, de l’éthique au droit criminel, en passant par la maladie mentale, mes travaux s’inscrivent dans un continuum. Le fil conducteur, c’est le questionnement sur le fonctionnement de l’esprit.»