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L’empire du crime?

Un colloque propose un regard critique sur la justice pénale internationale.

Par Claude Gauvreau

26 mai 2014 à 11 h 05

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

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Des réfugiés rwandais fuient vers la Tanzanie à l’époque du génocide. Photo: Getty/Scott Peterson.

Le droit pénal international est souvent présenté comme un garde-fou contre les atrocités collectives et les crimes de guerre, tels ceux qui se sont produits dans les années 1990 en ex-Yougoslavie et au Rwanda. Comment ce droit est-il apparu? Quelles sont ses fonctions? Quelle est son efficacité? Une vingtaine de chercheurs du Québec et d’Europe examineront ces questions lors du colloque L’empire du crime? Vers une analyse critique des processus internationaux de criminalisation. Organisé par le Centre d’études sur le droit international et la mondialisation (CÉDIM), cet événement se tiendra à l’UQAM les 5 et 6 juin prochains.

«Parler de processus internationaux de criminalisation implique de comprendre ce qui se passe en amont et en aval chaque fois que s’applique la justice pénale internationale, note Julien Pieret, professeur au Département des sciences juridiques et coresponsable du colloque. Il n’y a pas seulement une volonté de punir derrière le choix d’incriminer et de sanctionner tel comportement sur la scène internationale. On parle aussi d’enjeux politiques, économiques et symboliques.»

Selon Julien Pieret, le colloque sera l’occasion pour les chercheurs en droit et en études internationales ainsi qu’en criminologie de croiser leurs regards. «Ils discuteront, entre autres, des dimensions géopolitiques et psychologiques des crimes commis dans le cadre de conflits internationaux et de l’utilisation que l’on peut faire des concepts traditionnels en criminalité pour les aborder», dit-il.

La figure du pirate

Le colloque vise notamment à situer historiquement, géographiquement et socialement la notion de crime international en revenant aux racines du droit pénal international. On dit que la piraterie maritime est l’un des premiers crimes internationaux apparus dans l’histoire et l’une des sources du droit pénal international. «Dès les XIVe et XVe siècles, des pays ont conclu des accords pour lutter contre la piraterie maritime, rappelle le professeur. Figure ambiguë et romantique, le pirate était perçu dans l’imaginaire collectif comme l’emblème de la résistance à l’autorité étatique, voire comme le double négatif de la souveraineté des États.»

Le droit pénal international s’est déployé avec le développement des États-nations et a connu une impulsion au XXe siècle, à la suite des deux grands conflits mondiaux. «À la fin du XIXe siècle et après la Première Guerre mondiale, des conventions internationales ont été établies pour encadrer les conflits et des mécanismes de réparation ont été imposés aux vaincus, note Julien Pieret. Mais il faudra attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour voir apparaître des tribunaux internationaux visant à juger des individus. Ce fut le cas avec le procès de Nuremberg en 1946, intenté à des responsables du régime nazi, dont les verdicts ont permis à l’ONU de définir le crime de génocide.»

Une fonction expressive

En plus de sanctionner et de dissuader, le droit pénal international possède une fonction expressive. «Au-delà de la condamnation, le procès en justice pénale internationale est un lieu de prise de parole où des mots sont mis sur des actes commis durant un conflit, où des victimes peuvent s’exprimer. On ne cherche pas seulement à punir. On souhaite aussi conserver les traces des crimes pour constituer une mémoire et une vérité historiques», souligne le chercheur.

Il est toujours périlleux de critiquer le droit pénal international, poursuit Julien Pieret. «Comment peut-on s’opposer à des sanctions contre des gens soupçonnés d’être responsables de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité? La littérature dans ce domaine est parsemée d’appels à lutter contre l’impunité, d’appels à plus de répression et à plus d’efficacité. Cela dit, l’horreur des actes ne doit pas empêcher d’interroger la façon dont on punit leurs présumés auteurs. Certains perçoivent le droit pénal international comme une forme de domination politique et idéologique de l’Ouest sur l’Est ou du Nord sur le Sud.»

Des mécanismes extrajudiciaires

Les modalités d’application de la justice pénale internationale se sont diversifiées au cours des dernières années. Les commissions vérité et réconciliation font partie des mécanismes extrajudiciaires associés à une nouvelle forme de justice dite transitionnelle. La première commission vérité et réconciliation a été créée en Afrique du Sud, au lendemain de la chute du régime d’apartheid, puis d’autres ont été mises sur pied dans les années 1990. «Leur rôle ne consiste pas à prononcer une condamnation et à imposer des peines, mais à apaiser des tensions, à reconstruire le tissu social dans des pays en période de transition démocratique», explique le professeur.

D’autres mécanismes ont été mis sur pied pour pallier les lacunes du droit pénal international. Après la Seconde Guerre mondiale, des femmes ont créé des tribunaux afin de juger des actes criminels commis à leur égard par des militaires de différents pays. Maintenant, elles sont protégées par le droit pénal international. «Il existe aussi un tribunal permanent des peuples, qui possède un poids politique et médiatique, et des tribunaux populaires qui se réunissent pour juger des responsables politiques et même des entreprises, souligne Julien Pieret. Évidemment, c’est une chose de blâmer un dirigeant africain et c’en est une autre de faire condamner le conseil d’administration d’une société minière multinationale.» 

Le colloque se penchera par ailleurs sur l’émergence de nouveaux acteurs sur la scène juridique internationale, tels que les organisations de la société civile et les sociétés multinationales. Ces dernières disposent de leviers économiques importants pour influencer l’environnement juridique dans lequel elles mènent leurs activités, notamment en ce qui concerne les suites judiciaires à donner quand elles sont accusées de violer des droits humains ou de causer des dommages environnementaux. «Il n’existe pas actuellement de normes pénales internationales permettant de sanctionner ces entreprises, observe Julien Pieret. Toutefois, il est possible d’envisager la création de nouveaux types d’incrimination en lien avec des actes criminels en matière d’environnement.»