Anne de Vernal, professeure au Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère et titulaire de la Chaire de recherche sur le climat et l’évolution de l’Arctique, a participé à une expédition dans l’Arctique à bord du navire de recherche allemand Polarstern, du 2 août au 6 octobre derniers.
Organisée par l’Institut allemand Alfred-Wegener en recherche polaire, cette mission a permis à une cinquantaine de scientifiques – majoritairement allemands – de recueillir des échantillons de sédiments dans la ride de Lomonossov. Cette dorsale océanique de 1800 km traverse l’océan Arctique entre les eaux canadiennes, à l’ouest, et russes, à l’est. «Ces sédiments vont nous aider à élucider l’histoire géologique, climatique et océanographique de cette région, qui s’étend sur des millions d’années», souligne Anne de Vernal.
La spécialiste en micropaléontologie au Centre de recherche en géochimie et géodynamique (Geotop) était invitée par ArcTrain, un programme financé par le Conseil de recherche en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) en partenariat avec la Fondation allemande pour la recherche. Une autre Canadienne, l’étudiante albertaine, Laura Castro de la Guardia, faisait également partie du groupe de chercheurs.
Baptême de l’Arctique
Même si elle travaille sur des échantillons de l’océan Arctique et de mers subpolaires depuis plusieurs années, Anne de Vernal visitait les eaux arctiques pour la première fois. «Le paysage de la région est fabuleux. On voit de la glace à perte de vue, mais ses nuances de couleurs et de reliefs sont d’une grande beauté.»
Les passagers du Polarstern ont souvent eu l’impression d’être seuls au monde durant ces 10 semaines. «Les seuls humains rencontrés étaient d’autres scientifiques dans un bateau suédois. Nous avons eu la chance de monter à bord grâce à un échange par hélicoptère», raconte la chercheuse.
La région de l’Arctique, qui renferme un grand potentiel de ressources naturelles, n’est pas la possession exclusive d’un seul pays. Cela fait surgir des conflits territoriaux entre les pays limitrophes, soit le Canada, les États-Unis, le Danemark, la Norvège et la Russie. «La Russie protège jalousement ses eaux territoriales, constate Anne de Vernal. Dès que nous sommes entrés en zone russe, nous avons été soumis à un blocus et nous ne pouvions plus prendre de mesures.»
L’accès à la région devrait être facilité au cours des prochaines années en raison de la fonte des glaciers causée par le réchauffement climatique. «Les recherches en Arctique sont donc appelées à se multiplier», prévoit la professeure.
Richesse étonnante
Les premières analyses des sédiments, faites à bord du bateau, indiquent que les fonds marins recèlent des fossiles diversifiés: faune, flore, mollusques, étoiles de mer et autres organismes vivants. «Je ne m’attendais pas à une telle richesse au centre de l’océan Arctique, dans un secteur occupé par de la glace de mer pérenne, observe Anne de Vernal. Maintenant, il reste à déterminer si cette diversité est liée aux changements actuels dans l’Arctique ou si elle est récurrente depuis des milliers d’années.»
D’autres analyses préliminaires tentent à démontrer que l’océanographie dans l’est et dans l’ouest de la ride de Lomonossov a évolué de façon très différente. «L’hypothèse pouvant expliquer ce phénomène est que la pénétration des eaux atlantiques et pacifiques provoque des changements majeurs dans la circulation océanique», note la chercheuse.
L’analyse prendra des mois, voire des années. Les échantillons prélevés dans l’Arctique seront d’abord envoyés au Geotop, puis soumis à des études micropaléontologiques. «Il y aura certainement matière à faire une ou deux belles thèses de doctorat avec ces échantillons», se réjouit Anne de Vernal.