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Figures de l’intellectuel

Fabio Pereira s’intéresse au rôle de l’intellectuel et à ses rapports avec les médias.

Par Claude Gauvreau

4 avril 2014 à 17 h 04

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

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Jean-Paul Sartre, Bernard-Henri Lévy, Guy Rocher, Mathieu Bock-Côté.

Professeur à la Faculté de communication de l’Université de Brasilia, Fabio Pereira en est à son quatrième séjour au Québec. «Je suis venu au Québec pour la première fois en 2012, à l’invitation du Centre d’études et de recherches sur le Brésil (CERB), dans le cadre d’un accord conclu entre l’UQAM et l’Université de Brasilia afin de faciliter les échanges d’étudiants et de professeurs», explique-t-il. Invité cette fois-ci par la Faculté de science politique et de droit, Fabio Pereira donne un cours à des finissants du baccalauréat en science politique, ainsi qu’à des étudiants en histoire et en communication, qui porte sur les différentes figures de l’intellectuel, sur son rôle dans la société et sur ses rapports avec les médias.

Dans sa thèse de doctorat soumise en 2008, le chercheur a voulu comprendre comment les milieux journalistique et intellectuel au Brésil s’étaient progressivement éloignés l’un de l’autre dans un contexte de professionnalisation du travail des journalistes et des intellectuels. «Aujourd’hui, dit-il, mes travaux portent sur les changements concernant les modalités d’intervention des intellectuels dans l’espace public, en particulier dans les médias, en comparant la situation au Québec, au Brésil et en France, trois pays ayant des traditions intellectuelles différentes.»

Qu’est-ce qu’un intellectuel ?

Au début de la session, Fabio Pereira et ses étudiants se sont demandé comment définir l’intellectuel. «Selon la définition classique, un intellectuel, peu importe qu’il soit écrivain, journaliste ou universitaire, appartient à la sphère de la culture et du savoir. Il intervient dans l’espace public en se prononçant sur de grands enjeux sociaux et politiques, souligne le chercheur. En France, il est fréquent que les intellectuels interviennent sur des questions sociales, économiques et politiques liées à la situation nationale ou internationale. Les intellectuels brésiliens, pour leur part, se sont longtemps intéressés à la question de l’identité brésilienne, de la culture nationale et du métissage culturel. Au Québec, la question nationale, on le sait, occupe une place centrale dans le débat intellectuel depuis les années 1950.»

Celas dit, la figure de l’intellectuel s’est transformée au cours des 30 dernières années. «Un discours sur la crise des intellectuels est apparu en France, dans les années 1980, après la disparition de certains maîtres à penser, comme celle du philosophe Jean-Paul Sartre, symbole de l’intellectuel universel intervenant sur tous les fronts», rappelle le professeur. Il était fini le temps, disait-on alors, où les intellectuels se mêlaient de ce qui ne les regardait pas, prenaient position sur tout et s’érigeaient en conscience critique de la cité. «Ce discours, qui s’est manifesté au Québec au lendemain de la défaite référendaire de 1980, ainsi qu’au Brésil, reprochait en même temps aux intellectuels leur silence et leur absence sur la scène publique.»

Une autre figure est apparue par la suite, celle de l’intellectuel spécifique, soit l’intellectuel expert qui préfère parler à partir de l’espace qu’il occupe dans son champ de compétence. «Cette figure s’est renforcée avec la spécialisation des savoirs dans les universités, souligne Fabio Pereira. Les intellectuels experts, de même que certains journalistes, sont sollicités par les médias qui les invitent à analyser et à commenter l’actualité. Certains sont même devenus des vedettes médiatiques, en particulier en France, où leur réputation dans le milieu universitaire n’est pas toujours bonne.»

Une fonction critique

Selon le chercheur, les intellectuels, de gauche ou de droite, ont la capacité d’exercer une fonction critique et d’éclairer le débat public sur plusieurs enjeux de société. «Les intellectuels doivent assurer une présence dans les médias s’ils veulent établir un lien organique avec la société et avoir accès au grand public, dit-il. On constate d’ailleurs, notamment au Québec, une multiplication et une diversification des textes d’analyse et de réflexion, des commentaires, des essais et des débats par des canaux de diffusion toujours plus nombreux.»

L’arrivée des médias sociaux a par ailleurs mis au jour une sorte de coupure générationnelle au sein du monde intellectuel, affirme Fabio Pereira. «Les jeunes intellectuels, au Québec comme au Brésil, utilisent les médias numériques et possèdent leurs propres blogues, favorisant ainsi la création de nouveaux espaces interactifs de discussion hors des grands médias. Il faudra attendre encore quelques années pour mesurer l’ampleur et l’importance de ces changements.»

En collaboration avec Julian Durazo Herrmann, professeur au Département de science politique, le chercheur prépare un ouvrage collectif sur les nouveaux courants d’études sur les médias et la politique au Brésil. «Nous tenterons de cerner les contributions de la science politique et des sciences de la communication à la compréhension des rapports multiformes entre les médias et la politique.»