
Depuis l’Antiquité en passant par le Moyen Âge et le siècle des Lumières, la question de l’origine du langage ne cesse de passionner philosophes, poètes et scientifiques. Quel est l’état de nos connaissances sur la question et quelles sont les plus récentes percées dans le domaine? Un ouvrage savant codirigé par les professeurs Henri Cohen, du Département de psychologie, et Claire Lefebvre, du Département de linguiste, ainsi que par leur collègue Bernard Comrie, du Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology, fait le point. Publié sous le titre New Perspectives of the Origins of Language (John Benjamins Publishing Company), ce livre résulte des communications présentées lors de l’Institut d’été sur les origines du langage. Organisé à l’été 2010 par l’Institut des sciences cognitives de l’UQAM, l’événement avait réuni plus de 150 experts et étudiants venus de partout dans le monde.
Les questions qui se posent à propos de l’origine du langage sont multiples. À quel moment dans l’histoire humaine est-il apparu? Cela s’est-il fait soudainement ou progressivement? Quelles étaient les conditions de base requises pour l’apparition du langage sur les plans anatomique, cognitif ou de l’organisation sociale? Est-ce que la capacité de produire des symboles est une condition préalable au langage ou est-ce le langage qui est préalable? Est-ce qu’un protolangage, par exemple un langage des signes, a précédé le langage moderne? Le langage est-il apparu à un endroit unique pour se répandre par la suite, ce qui expliquerait la convergence à travers la plupart des langues du monde de mots comme «papa» et «maman»? Ou est-il apparu simultanément dans plusieurs groupes humains?
«L’idée de l’ouvrage était de faire le point sur ces questions en allant au-delà de la revue de littérature classique, expliquent Henri Cohen et Claire Lefebvre. En effet, plusieurs des contributions que l’on retrouve dans le livre font état de résultats de recherches qui sont encore inédits.»
L’ouvrage ne prétend pas apporter des réponses définitives aux vastes questions qu’il soulève. Au contraire, il met plutôt en lumière les différents points de vue débattus sur ces questions, à partir des nombreuses disciplines qui sont représentées dans l’ouvrage, que ce soit la psychologie, la linguistique, la biologie, l’anthropologie, la philosophie, la paléontologie ou l’informatique.
L’ouvrage est divisé en cinq parties. La première donne un aperçu du contexte historique, social et cognitif des études sur les origines du langage. La deuxième s’attarde aux conditions préalables à l’apparition du langage, du point de vue biologique, paléontologique, archéologique et culturel. Les chapitres de la troisième section explorent la relation entre les systèmes de communication et les origines du langage, en s’intéressant, par exemple, à la communication chez les primates non humains ou aux aspects génétiques de l’apprentissage du chant chez les oiseaux. La quatrième section se penche sur certains apports de la linguistique à l’étude de l’émergence du langage, par exemple en ce qui concerne certaines propriétés fondamentales de la parole. Finalement, la cinquième partie de l’ouvrage est consacrée aux modèles informatiques, qui se sont révélés un outil précieux pour tester les hypothèses concernant l’apparition du langage. En effet, alors que certains jugeaient futile de tenter d’expliquer un phénomène qui, à défaut d’une machine à remonter le temps, ne pourrait jamais être observé, les modèles informatiques ont donné lieu à des avancées notables, au cours des dernières décennies, de la même manière qu’ils ont permis de réaliser des bonds de géant dans la compréhension de l’origine de l’univers, un phénomène tout aussi inobservable.
En plus de Claire Lefebvre et de Henri Cohen, trois autres professeurs de l’UQAM signent (ou cosignent) un chapitre de cet ouvrage. Henri Cohen a rédigé un chapitre qui brosse un portrait des théories sur l’origine du langage dans une perspective historique, de Platon à Darwin, en passant par Dante et la Société de Linguistique de Paris. Lucie Ménard, professeure au Département de linguistique, s’intéresse à la façon dont les différentes langues du monde combinent les sons en fonction de contraintes qui sont étroitement liées aux propriétés physiques du conduit vocal et des mécanismes de perception de l’auditeur. Stevan Harnad, professeur au Département de psychologie et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en sciences cognitives, a collaboré à un chapitre de la troisième section qui fait de la catégorisation un mécanisme central à l’origine du langage. Denis Bouchard, professeur au Département de linguistique, propose une réflexion sur l’origine de deux propriétés structurelles du langage, les signes arbitraires et la récursivité, dérivées d’une évolution du cerveau humain et de ses circuits neuronaux unique à notre espèce. Sa collègue Claire Lefebvre critique quant à elle la théorie selon laquelle les pidgins et les langues créoles peuvent nous éclairer sur la nature du protolangage, montrant que même les pidgins les plus limités sont trop élaborés pour cela.
Le livre s’accompagne de graphiques, de photos et de quelques illustrations en couleurs.