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L’art de la conversation… à 4 ans!

Une étude démontre que les fonctions exécutives, comme l’inhibition et la mémoire de travail, aident les enfants à mieux communiquer.

Par Pierre-Etienne Caza

12 mai 2014 à 13 h 05

Mis à jour le 8 octobre 2014 à 13 h 10

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Qu’est-ce qui fait qu’un enfant communique bien, répond adéquatement aux questions et parle de façon fluide, sans s’empêtrer dans trois phrases en même temps? Existe-t-il un lien entre ces habiletés communicationnelles et  les fonctions cognitives comme l’inhibition, la mémoire de travail, la flexibilité ou la planification? C’est ce que la doctorante en psychologie Bénédicte Blain-Brière, qui mène ses recherches sous la direction des professeures Nathalie Bigras, du Département de didactique, et Caroline Bouchard, de l’Université Laval, démontre dans un des articles qui constitueront sa thèse et qui vient de paraître dans la revue Frontiers in Psychology.

Des études ont montré par le passé qu’après un traumatisme crânien dans la zone frontale, les adultes ont des problèmes avec leurs habiletés communicationnelles. «Cette zone est le siège des fonctions exécutives, comme l’inhibition, la mémoire de travail, la flexibilité ou la planification, sollicitées pour réaliser des activités complexes et nouvelles, explique l’étudiante. Les chercheurs ont donc pu établir un lien entre ces fonctions exécutives et les habiletés communicationnelles, dites pragmatiques. Mais cela a rarement été démontré chez d’autres populations et je voulais le vérifier chez les enfants.»

Les fonctions exécutives

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Bénédicte Blain-Brière

La jeune chercheuse a effectué son étude auprès d’un échantillon de 70 enfants âgés en  moyenne de 4 ans et demi. Elle a mesuré la capacité d’inhibition de deux façons. L’inhibition «chaude», ou autocontrôle, a été mesurée en cachant un jouet derrière l’enfant. Il devait deviner ce que c’était mais avant de pouvoir se retourner, l’assistant de recherche interrompait le processus et prétextait devoir quitter le local, en demandant à l’enfant de ne pas se retourner pour regarder le jouet derrière lui. «Bien sûr, l’enfant était filmé et nous notions s’il respectait la consigne, précise la chercheuse. Du lot, 61 % des enfants se retournent – 73 % des garçons et 47 % des filles.»

La doctorante a également mesuré l’inhibition «froide» à l’aide d’un jeu d’anneaux durant lequel l’enfant devait respecter des règles. Sa capacité à ne pas les enfreindre permettait de mesurer son degré d’inhibition.

La mémoire de travail des enfants a été mesurée en leur demandant de répéter une séquence de chiffres à l’envers. «Pour cela, il faut se rappeler la séquence à l’endroit et la reconstruire», explique la chercheuse.

La flexibilité, ou la capacité de s’adapter à un changement, a été évaluée en demandant aux enfants de classer des cartes selon différentes méthodes: formes, couleurs, etc. «Ensuite, on modifiait la règle à chaque carte. C’était donc de plus en plus demandant en matière de flexibilité», explique-t-elle.

Enfin, la capacité de planification était mesurée avec le jeu d’anneaux, au cours duquel l’enfant devait planifier ses actions pour reproduire le modèle qu’on lui présentait.

Les habiletés pragmatiques

La doctorante a ensuite évalué 14 habiletés pragmatiques regroupées en 5 catégories: la complexité conversationnelle (la capacité de répondre et de relancer la conversation dans un même énoncé, par exemple), la volubilité, l’initiative conversationnelle (la capacité d’initier la conversation et de faire des demandes, par exemple), le contrôle de l’activité communicative (telle que la fluidité) et la sensibilité à l’interlocuteur (comme la capacité de répondre en lien avec la question posée ou le sujet abordé, ce que l’on nomme aussi «contingence»). «À l’aide d’un jeu, nous avons pu simuler une conversation normale entre un adulte et un enfant et recueillir ainsi les énoncés à analyser», note la chercheuse, qui a mené toutes ces expériences dans les services de garde.

Principaux résultats

La corrélation la plus significative a été observée entre le contrôle de l’activité communicative (fluidité) et toutes les fonctions exécutives. «Le lien entre inhibition et fluidité avait déjà été démontré par des études antérieures et nous l’avons corroboré, note Bénédicte Blain-Brière. Mais notre étude montre qu’en plus de l’inhibition, la mémoire de travail et la planification contribuent significativement à la fluidité des énoncés. Nos données nous amènent à penser que l’ensemble des fonctions exécutives soutient l’organisation et l’assemblage des mots dans la phrase en aidant à réduire l’interférence et participent donc à la formulations d’énoncés fluides.»

D’autres corrélations, de moindre importance sur le plan statistique, ont été relevées par la doctorante. «Les études démontrent que les enfants deviennent plus volubiles avec l’âge. Or, nos résultats montrent que, vers 4-5 ans, l’inhibition pourrait avoir pour effet de diminuer la volubilité et l’initiative des enfants durant la conversation. Les enfants qui manquent d’inhibition vont avoir plus souvent tendance à dire plus d’un énoncé durant leur tour de parole. L’inhibition pourrait ainsi leur permettre d’agir avec plus de retenue lorsqu’ils communiquent, notamment lorsqu’ils le font avec un adulte qui ne leur est pas familier.»

Un lien a aussi été observé entre la mémoire de travail et la sensibilité conversationnelle. «Plus l’enfant a une bonne mémoire de travail, plus il répond de manière contingente aux demandes. Il comprend mieux le propos de son interlocuteur et y réagit de la bonne manière, souligne la chercheuse. Ce résultat est compatible avec les études montrant un lien entre la mémoire de travail et la capacité à comprendre les aspects sociaux du langage, comme l’ironie, par exemple.»

Retombées

Dans l’ensemble, ces résultats suggèrent que les fonctions exécutives peuvent jouer un rôle dans les habiletés pragmatiques manifestées par les enfants lors d’une situation conversationnelle semi-structurée, résume Bénédicte Blain-Brière, qui rédige sa thèse tout en travaillant à la Clinique d’apprentissage spécialisé de Gatineau à titre de doctorante en neuropsychologie. «Les fonctions exécutives semblent aider les enfants d’âge préscolaire à mieux contrôler la quantité d’information qu’ils expriment, à gérer leur niveau d’initiative, à formuler des énoncés fluides et à répondre de manière socialement acceptable», souligne-t-elle.

Ces résultats pourraient éventuellement guider les interventions réalisées auprès des enfants en service de garde. «Les habiletés pragmatiques sont au cœur du développement social de l’enfant et elles ont un impact direct sur l’acceptation au sein de groupes d’amis et, ultimement, sur la réussite sociale et scolaire. C’est donc à ce moment, dans la petite enfance, qu’il faut agir, afin d’éviter dans la mesure du possible les expériences de rejet social et les impacts négatifs que cela entraîne.»