
Des riverains du lac Lovering, au sud de Magog, soupçonnent depuis quelques années que les wakeboats – ces bateaux à fort sillage utilisés pour le wakeboard et le wakesurf (voir encadré) – produisent des vagues causant l’érosion des berges et abîmant les quais. La Société de conservation du lac Lovering, en collaboration avec l’organisme Memphrémagog Conservation, a contacté le Service aux collectivités de l’UQAM afin d’en avoir le cœur net. C’est le professeur Yves Prairie, du Département des sciences biologiques, qui a pris le projet en mains. «Il n’y a pas beaucoup de recherches qui ont été effectuées sur les effets des wakeboats, alors nous avons dû faire preuve de débrouillardise», lance en riant Sara Mercier-Blais, diplômée de la maîtrise en biologie et coordonnatrice du projet de recherche.
Les expérimentations ont eu lieu en août 2013 sur les lacs Memphrémagog et Lovering. Pour ce faire, les chercheurs ont loué un wakeboat. Un plaisancier a aussi participé à l’étude avec son propre wakeboat.
Des vagues surdimensionnées
Le wakeboat, de plus en plus présent sur les lacs du Québec, est conçu spécifiquement pour créer des vagues surdimensionnées afin de surfer dessus. Cela est possible grâce à un système de ballasts, des compartiments remplis d’eau qui alourdissent le bateau. Lorsque ce dernier atteint une bonne vitesse, il laisse dans son sillage deux bonnes vagues.
Le wakeboard ressemble au ski nautique d’antan, sauf que les deux skis sont remplacés par une seule planche ressemblant à une planche de snowboard avec des chausses. Le planchiste est relié au bateau par un câble et il se déplace entre les deux vagues du sillage.
Il y aussi le wakesurf, où le surfeur, qui n’est pas relié au bateau, a les pieds libres de toute attache comme sur une planche de surf normale. Les adeptes de ce sport n’ont besoin que d’une grosse vague. On remplit les ballasts d’un seul côté du bateau, créant une vague surdimensionnée.
Les deux chercheurs ont choisi six sites d’échantillonnage, soit trois pour chaque lac. Ils ont utilisé un appareil sophistiqué, appelé micro-ADV pour Acoustic Doppler Velocimeter, qui permet de mesurer la vitesse de l’eau dans les trois dimensions à raison de 25 fois par seconde, explique Sara Mercier-Blais. «Nous le placions sur un trépied à environ 20 centimètres du fond, là où il y avait un mètre d’eau. La mesure était prise lorsque la vague arrivait sur la rive.»
Les chercheurs ont d’abord évalué les impacts naturels sur les rives en conditions normales, c’est-à-dire des vagues générées par le vent, sans passage de bateau. Ils ont ensuite procédé aux mesures de l’énergie engendrée par les vagues du wakeboat selon une combinaison de facteurs: le type de déplacement de l’embarcation (la vitesse et le type de vagues créées: wakeboard, wakesurf ou wakeboat en déplacement sur le lac avec ballasts vides); la distance de la rive à laquelle passe l’embarcation (100, 150 ou 200 mètres); et le type de rivage (pente douce ou abrupte).
Les deux biologistes ont également prélevé des échantillons d’eau avant et après le passage du wakeboat afin de calculer la remise en suspension des sédiments. «Nous avons filtré nos échantillons en laboratoire, puis nous avons asséché nos filtres et pesé la quantité de sédiments. La remise en suspension correspond à la différence entre les deux échantillons, avant et après le passage du wakeboat», précise la jeune Sara Mercier-Blais.
Des résultats sans équivoque
Les résultats donnent raison aux riverains qui s’inquiétaient. «Lorsque le wakeboat passait à la limite acceptée par Transport Québec pour la sécurité nautique, soit 10 km/h à moins de 100 mètres de la rive, je devais combattre la vague alors que j’étais sur la rive. Un enfant en bas âge jouant à cet endroit aurait eu du mal à conserver son équilibre», note la chercheuse.
L’étude révèle que les vagues de wakesurf sont les plus puissantes et les plus dommageables, mais tous les passages de wakeboats induisent une augmentation significative de l’énergie contenue dans les vagues qui atteignent le rivage, en moyenne par un facteur de 4. «L’impact des wakeboats est donc directement et inversement relié à la distance entre le passage et la rive, souligne Sara Mercier-Blais. Nous avons aussi noté que l’impact est plus grand sur les rivages ayant une pente accentuée que sur ceux ayant une pente douce, là où la vague touche graduellement le fond avant d’arriver à la rive.»
Les mesures de sédiments ont démontré que ceux-ci doublaient après le passage du wakeboat, entraînant probablement une érosion accélérée des berges. «Ces deux lacs n’ont pas beaucoup de sédiment à la base et nos résultats ne sont pas aussi précis que nous le souhaitions, précise toutefois la chercheuse. Nos chiffres sont statistiquement valables mais doivent être considérés comme très conservateurs.»
Yves Prairie et Sara Mercier-Blais suggèrent que la réglementation limite le passage de ce type de bateau sur les lacs à au moins 300 mètres des rives, distance à laquelle l’énergie produite par le wakeboat se dissipe complètement avant d’atteindre les berges. «Nous sommes conscients qu’il s’agit d’une recommandation sévère qui éliminerait les wakeboats des petits lacs, note toutefois Sara Mercier-Blais. Plusieurs associations de riverains militent pour que la distance minimale soit de 150 mètres.»
Une autre recherche ?
La jeune chercheuse, qui a réalisé son mémoire de maîtrise sous la direction d’Yves Prairie – celui-ci portait sur l’impact d’une augmentation de vent sur les mouvements d’eau des lacs en lien avec les changements climatiques et la déforestation – souhaiterait réaliser d’autres études sur le sujet si le financement était au rendez-vous. «Nous aimerions nous pencher sur l’incidence des wakeboats selon la profondeur du lac, précise-t-elle. Il faut documenter la question le plus possible afin que l’on trouve un juste milieu entre les plaisanciers qui veulent utiliser leur bateau et les riverains qui veulent profiter de la quiétude de leur lac.»