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Une énigme scientifique fascinante

Le philosophe des sciences Christophe Malaterre s’intéresse au passage de l’inerte au vivant.

Par Claude Gauvreau

1 novembre 2013 à 13 h 11

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

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En 2009, un article dans la revue Nature Reviews Microbiology questionnait le caractère vivant des virus, amenant à revoir notre définition de la vie.

Quels sont les processus de l’évolution chimique ? Y a-t-il continuité ou discontinuité entre la matière non-vivante et la matière vivante ? Ces questions sont au centre du projet de recherche PrinCE – The Principles of Chemical Evolution, dirigé par le philosophe des sciences Christophe Malaterre. Ce chercheur a obtenu, pour les cinq prochaines années, une subvention d’un million et demi d’euros du Conseil européen de la recherche qui, chaque année, soutient des projets novateurs en recherche fondamentale. Christophe Malaterre s’intéresse au thème des origines de la vie, à la diversité des premiers processus évolutifs chimiques et à leur articulation avec la théorie darwinienne de l’évolution biologique.

«Nous sommes passés de théories spéculatives au début du XXe siècle à des recherches empiriques en chimie des systèmes, en biochimie et en biologie synthétique, rappelle le professeur. Les travaux sur les origines de la vie se sont particulièrement développés depuis la découverte de la structure de l’ADN et la première expérience de chimie prébiotique (ensemble de réactions en chaîne ayant produit les premières molécules – sucre, acide aminé, bases azotées – essentielles à la matière vivante) au début des années 1950.»

Selon lui, la notion d’«évolution chimique» pourrait rendre compte du passage de l’inerte au vivant sur la Terre, l’une des énigmes scientifiques les plus fascinantes. «Contrairement à la notion d’évolution biologique, celle d’évolution chimique a été très peu explorée par l’histoire et par la philosophie des sciences», note Christophe Malaterre.

Professeur au Département de philosophie depuis août 2012, ce dernier a soutenu sa thèse de doctorat en philosophie des sciences à l’Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne en 2008, puis a fait un stage postdoctoral à l’Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques de Paris et a assumé diverses charges d’enseignement en France et au Massachussetts Institute of Technology (MIT). Il est notamment l’auteur d’un ouvrage intitulé Les origines de la vie : émergence ou explication réductive (2010) et a collaboré à l’ouvrage collectif De l’inerte au vivant. Une enquête scientifique et philosophique (2013). Ses travaux ont été récompensés par le prix Louis Forest de la Chancellerie des universités de Paris, en 2009, et par le prix Jeune chercheur de la Société française de philosophie des sciences, en 2010.

Trois volets d’analyse

Le projet PrinCE se développera en étroite interaction avec le milieu scientifique, dans le cadre du programme interdisciplinaire «Origines des planètes et de la vie» du Conseil national de la recherche scientifique (CNRS), à Paris. PrinCE comporte trois volets complémentaires : une analyse historique de la notion d’évolution chimique, depuis la théorie de Darwin au milieu du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui, puis une analyse conceptuelle de cette notion – que recouvre-t-elle, à quoi sert-elle ? –  et, enfin, une analyse critique visant à évaluer son pouvoir explicatif concernant les origines de la vie.

Un consensus existe au sein de la communauté scientifique sur l’âge de la Terre, qui serait d’environ 4,5 milliards d’années. Par contre, différentes hypothèses circulent sur le moment où apparaissent les premières formes de vie. «Une majorité de scientifiques semblent s’entendre sur l’apparition de formes vivantes il y a quelque 3,8 milliards d’années, note le philosophe. Ils cherchent à établir le pont entre la période au cours de laquelle il n’y avait sur Terre que des composés chimiques relativement simples et celle où apparaissent des systèmes vivants comportant des molécules complexes : acides nucléiques (ADN, ARN), protéines et lipides servant à fabriquer des membranes protectrices.»

Comme le souligne Christophe Malaterre, l’évolution biologique permet de rendre compte de la diversité des organismes vivants et de leur adaptation à l’environnement, mais demeure muette sur leur origine. «Cela soulève la question de l’existence d’une évolution bien plus ancienne, susceptible d’expliquer la transition de l’inerte au vivant. C’est précisément ce que cherche à décrire la notion d’évolution chimique.»

Du chimique au biologique

Cette notion occupe actuellement une place centrale dans le débat scientifique sur les origines de la vie. «La vie n’est pas un miracle spontané, à partir duquel il y aurait eu évolution biologique, observe le professeur. Les travaux les plus récents montrent plutôt une diversification et une complexification graduelles de systèmes chimiques inertes qui, petit à petit, se sont transformés en systèmes vivants.» Si certains chercheurs transposent dans le monde chimique le concept darwinien de sélection naturelle, d’autres considèrent que l’évolution chimique renvoie à des processus évolutifs différents et antérieurs, la sélection naturelle ne commençant qu’avec la présence de matière vivante.

Christophe Malaterre entend exposer de façon systématique les avancées scientifiques les plus récentes dans le domaine de l’évolution chimique. «J’aimerais dresser une cartographie conceptuelle des éléments composant cette évolution, de manière à rendre compte de la diversité des approches et fournir ainsi une vue d’ensemble des réponses possibles à la question de l’apparition de la vie.»   

Son projet pourrait avoir un impact encore plus large dans la mesure où il permettra de nouveaux débats sur la nature même de la vie. «Les travaux actuels en biologie montrent que la frontière entre le vivant et le non-vivant est difficile à tracer», souligne le chercheur. Ces débats sont aussi nourris par d’autres avancées scientifiques étonnantes, celles en astrobiologie, notamment. «Les découvertes récentes de centaines de planètes situées à l’extérieur de notre système solaire, dont certaines pourraient bien abriter du vivant, contribuent à renouveler l’intérêt  pour le grand récit de la vie», conclut Christophe Malaterre.