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États généraux de la philo

Les philosophes se réunissent pour dresser l’état des lieux de la philosophie au Québec.

Par Claude Gauvreau

25 novembre 2013 à 14 h 11

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

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La philosophie se situe sur le terrain de l’argument, du sens et des valeurs. Photo: Nathalie St-Pierre.

Du 22 au 24 novembre derniers, la communauté philosophique québécoise a tenu à l’UQAM ses premiers États généraux depuis 2005, pour faire le point sur l’enseignement et la recherche en philosophie ainsi que sur ses lieux de diffusion. L’Université et la Chaire UNESCO d’étude des fondements philosophiques de la justice et de la société démocratique étaient associées à l’organisation de cet événement, de même que l’Université de Montréal, la Société de philosophie du Québec (SPQ) et d’autres institutions.

La communauté philosophique au Québec compte un peu plus d’un millier de professeurs à l’intérieur des murs des cégeps et des universités. Ils sont peut-être peu nombreux, mais leur présence est bien réelle, tant dans la formation générale des étudiants que dans le débat public.

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La professeure Dominique Leydet. Photo: Nathalie St-Pierre.

Depuis la création des cégeps à la fin des années 60, le caractère obligatoire de l’enseignement de la philosophie au collégial, voire son existence même, a été périodiquement remis en question. Chaque fois, les professeurs de philosophie et d’autres acteurs de la société civile sont montés aux barricades pour défendre la discipline. «Aujourd’hui, il n’y a pas de menace précise à l’horizon, mais les humanités sont toujours un peu suspectes dans notre société», note Dominique Leydet, professeure au Département de philosophie. Elle cite en exemple la tentative récente du gouvernement de changer le nom du programme «arts et lettres» au cégep, un nom qui fait référence à la longue tradition des humanités, pour le rebaptiser «culture et communication.»

Comment convaincre les jeunes de la pertinence de la philosophie, eux qui ont parfois le sentiment que celle-ci s’intéresse à des questions déconnectées de la réalité. «Comme toute discipline, la philosophie suppose un travail d’apprentissage, note la professeure. Ce n’est pas facile d’apprendre à réfléchir de manière rigoureuse. La lecture même des textes philosophiques est souvent aride. Cela dit, la philosophie est sollicitée par tout ce qui se passe dans la vie courante. Le rôle de l’enseignant est de faire comprendre à ses étudiants comment, dans leur vécu quotidien, ils sont confrontés à des réalités et à des questions qui soulèvent des interrogations de nature philosophique.»

Éclairer le débat public

Parce qu’elle se situe sur le terrain de l’argument, du sens et des valeurs, la philosophie occupe une place particulière dans l’ensemble des savoirs et aussi dans les débats de société. Le débat actuel sur la laïcité met justement en jeu des questions de sens et de valeurs, tout comme ceux menés l’an dernier sur le droit à l’éducation, la justice sociale, la violence et la désobéissance civile.

«La réflexion philosophique, rappelons-le, a d’abord un rôle critique, dit Dominique Leydet. Elle permet de remettre en cause les poncifs et aide à atteindre un niveau de clarté et de finesse dans l’analyse. Dans le débat sur la charte de la laïcité, il faut se demander quelles sont les valeurs qui doivent faire consensus. Pour comprendre la signification d’un concept comme celui de liberté de conscience, un ouvrage comme La lettre sur la tolérance du philosophe anglais John Locke, publiée pour la première fois en 1689, peut être encore très utile.»

Un patrimoine méconnu

Les États généraux ont permis de faire le point sur la préservation du patrimoine philosophique québécois et sur la diffusion de la philosophie. «Le Québec possède un patrimoine philosophique malheureusement méconnu, observe Dominique Leydet. Le philosophe Jean-Claude Simard participe actuellement à un projet de numérisation des archives de la philosophie québécoise – documents, traités –, en collaboration avec Bibliothèque et Archives nationales du Québec. La SPQ a aussi pour projet de numériser son bulletin afin de préserver la mémoire de la philosophie au Québec depuis la Révolution tranquille.» Par ailleurs, un ouvrage consacré à l’histoire de l’enseignement de la philosophie au collégial devrait paraître en 2014.

La vie philosophique au Québec est dynamique et se manifeste notamment à travers les activités de la SPQ et toute une série de lieux de diffusion : maisons d’édition, revues savantes et autres qui, comme Spirale et Philo & Cie, atteignent un public plus large en traitant de sujets philosophiques et aussi littéraires.

Un sujet douloureux    

Une table ronde a été consacrée à la place des femmes en philosophie. «C’est un sujet douloureux, reconnaît la professeure. Les femmes ont une place encore trop limitée dans le monde philosophique, non seulement au Québec mais dans l’ensemble du monde occidental. Elles représentent environ 20 % des professeurs de philosophie dans les universités québécoises et 30 % des enseignants dans les cégeps. Leur présence est beaucoup plus élevée dans les disciplines des sciences humaines et en sciences. En outre, plus on progresse dans les cycles d’études, moins on trouve de jeunes femmes dans les classes de philosophie.»

Les États généraux se sont conclus sur les rapports que la philosophie entretient avec les autres domaines du savoir. «La philosophie n’échappe pas à l’interdisciplinarité, souligne Dominique Leydet. Moi-même qui enseigne la philosophie politique, je travaille autant avec des juristes et des politologues qu’avec des philosophes. Mon collègue Pierre Poirier, qui s’intéresse à la philosophie de l’esprit, est le directeur de l’Institut des sciences cognitives à l’UQAM, tandis que Christophe Malaterre, philosophe des sciences, est associé à l’Institut des sciences de l’environnement.»

La philosophie est une discipline qui se spécialise et se diversifie. «Les départements de philosophie sont des lieux où règne désormais un fort pluralisme sur le plan  des objets d’étude et des approches. Le défi est de conserver l’unité dans la diversité.»