Diplômé des programmes de baccalauréat, de maîtrise et de doctorat en études littéraires, Michel Nareau vient de remporter le Prix du Canada en sciences humaines pour son essai Double jeu: Baseball et littératures américaines. Chaque année, la Fédération des sciences humaines du Canada récompense les meilleurs livres savants dans toutes les disciplines des sciences sociales, des sciences humaines et des humanités. «Dire qu’il y a 10 ans, lors d’un colloque, des gens avaient éclaté de rire quand j’avais présenté mon projet de thèse sur les rapports entre le baseball et la littérature», raconte le jeune chercheur avec un sourire.
Pour comprendre de quelle manière le baseball a marqué les cultures des pays où il s’est implanté, Michel Nareau a étudié la mise en scène de sa dimension sociale dans des romans tels que The Great American Novel, de Philip Roth, Underworld, de Don DeLillo, Rat Palms, de David Homel, Bidou Jean, bidouilleur, d’Alain Denis, et Mascaras, de Leonardo Padura Fuentes. «Je m’intéresse à la représentation du sport dans la littérature, à la question de l’américanité et aux échanges culturels entre les différents pays des Amériques», dit-il. Selon les membres du jury, son essai «se démarque par l’originalité du sujet, son traitement multidisciplinaire, ses analyses fouillées et imaginatives qui proposent de nouvelles pistes de réflexion sur la signification culturelle du sport.»
Professeur adjoint en littérature québécoise au Collège militaire royal du Canada, à Kingston, cet ancien chargé de cours de l’UQAM est également critique littéraire pour le magazine Nuit blanche et directeur des Cahiers Victor-Lévy Beaulieu.
Contribuer à l’histoire des Amériques
Dans son étude publiée aux éditions Le Quartanier, Michel Nareau montre comment les romanciers, lorsqu’ils recyclent les expressions, les formes et les anecdotes du baseball, élaborent un corpus commun qui, en puisant dans la mémoire de ce jeu, de ses objets et de ses ligues, contribue à l’histoire continentale des Amériques. «Le baseball met en jeu des interactions sociales, note le chercheur. Dans le roman de Philip Roth, un personnage décide de réhabiliter une ligue de baseball dont l’existence a été effacée de la mémoire collective parce que des communistes l’ont infiltrée. Dans un autre, hispanophone cette fois, un chercheur universitaire, à travers ses discussions avec des spectateurs durant des matchs, établit des liens entre les histoires individuelles de certains joueurs et la vie sociale dans leur pays.»
Des enjeux identitaires
Depuis 150 ans, le baseball est constamment associé à des enjeux culturels et identitaires, non seulement aux États-Unis où il est né, mais aussi à Cuba, à Porto Rico, en République dominicaine et au Québec, observe Michel Nareau. «Ce sont de jeunes Cubains partis étudier aux États-Unis qui, à leur retour, importent le baseball dans leur pays, à la fin du XIXe siècle. Les militants en faveur de l’indépendance de Cuba à l’égard de l’Espagne utilisent ce sport pour stimuler le sentiment nationaliste et pour financer leur combat. Certains, forcés de s’exiler par le régime colonial, contribueront à implanter le baseball dans d’autres pays des Amériques, comme le Mexique, la République dominicaine et le Venezuela.»
Au Québec, jusqu’à l’arrivée de Maurice Richard, le baseball était aussi populaire que le hockey. En 1946, le public montréalais adopte Jackie Robinson, joueur étoile des Royaux de Montréal. L’année suivante, il devient le premier joueur afro-américain à évoluer dans les ligues majeures, brisant les barrières raciales. Selon Michel Nareau, «la popularité de Robinson au Québec a servi à construire un récit qui s’opposait au discours soulignant le repli sur soi et la fermeture à l’autre des Canadiens français de cette époque.»