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Des signatures de valeur inégale

Yves Gingras cosigne un article dans Nature démontrant la sous-représentation des femmes dans la littérature scientifique.

Par Claude Gauvreau

12 décembre 2013 à 13 h 12

Mis à jour le 7 juin 2022 à 12 h 14

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 Photo : Nathalie St-Pierre.

Un article paru dans le dernier numéro de la prestigieuse revue Nature révèle que la proportion de femmes parmi les auteurs d’articles scientifiques publiés à travers le monde, entre 2008 et 2012, était légèrement inférieure à 30 %. En outre, parmi les premiers auteurs d’articles, les hommes sont presque deux fois plus nombreux que les femmes. Cet article, intitulé Global gender disparities in science, est cosigné par Yves Gingras, professeur au Département d’histoire et titulaire la Chaire de recherche du Canada en histoire et sociologie des sciences, et par Vincent Larivière (M.A. histoire, 2005), professeur à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal, tous deux membres du Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST) et de l’Observatoire des sciences et des technologies (OST). Trois chercheurs de l’Université de l’Indiana, à Bloomington, sont aussi cosignataires.

L’équipe de chercheurs a analysé plus de 5 millions d’articles scientifiques évalués par des pairs, signés par plus de 27 millions d’auteurs. Leur étude était fondée sur la base de données bibliométrique de l’Observatoire des sciences et des technologies, construite à partir du Web of Science de Science Reuters. En couplant plusieurs bases de données, les chercheurs ont mis au point une méthode pour identifier le genre et l’affiliation des auteurs et ainsi analyser la distribution mondiale de l’inégalité homme-femme en matière de production et d’impact scientifiques. On mesure l’impact d’un article en calculant le nombre moyen de citations qu’il obtient dans diverses publications scientifiques. Le nombre de citations reçues joue un rôle central dans le système d’évaluation des chercheurs.

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Le professeur Yves Gingras. Photo : Nathalie St-Pierre.

«Des recherches de ce type avaient déjà été réalisées par le passé, mais avec des échantillons beaucoup plus restreints et dans quelques disciplines, explique Yves Gingras. Notre étude présente, pour la première fois, un portrait macroscopique et quantifié des disparités hommes/femmes dans toutes les disciplines à travers le monde.»

Comme le souligne l’étude, la contribution au développement du savoir prend des formes diverses, autres que la production d’articles scientifiques : publication d’ouvrages et de rapports de recherche, organisation de colloques, cueillette de données, analyse en laboratoire et sur le terrain, etc. Néanmoins, la publication d’articles scientifiques représente l’un des indicateurs les plus importants de l’intégration des chercheurs dans le monde de la science.

Des régions plus égalitaires que d’autres

L’étude révèle que l’Amérique du Nord, les pays sud-américains et d’Europe de l’est, notamment les anciens États communistes, sont les régions dans le monde où la parité entre les genres est la plus grande. Sur le continent nord-américain, le Québec, la Nouvelle-Écosse,  le Manitoba, le Vermont et le Maine comptent parmi les provinces et États où les inégalités sont les moins prononcées. À l’autre extrémité du spectre, l’Arabie saoudite, l’Iran, le Japon, la Jordanie et les Émirats arabes unis constituent, sans surprise, les pays les plus inégalitaires.

Dans les pays les plus productifs en recherche, en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest notamment, les chercheurs ont découvert que les articles dont les femmes étaient les premiers auteurs étaient généralement moins cités que ceux signés par des hommes occupant une position équivalente dans la hiérarchie des auteurs.

Les femmes ont également moins d’activités de collaboration internationale que leurs collègues masculins. Or, les articles qui sont le fruit d’une telle collaboration sont davantage susceptibles d’êtres cités et d’obtenir ainsi un rayonnement plus large.

Disparités disciplinaires

L’étude corrobore par ailleurs les résultats de recherches antérieures selon lesquels les femmes sont concentrées dans certains secteurs disciplinaires. «Les femmes sont dominantes dans le domaine dit du care – santé, nursing, éducation, travail social – alors que les hommes sont largement majoritaires dans la science militaire, le génie, les mathématiques, l’informatique, la robotique, l’aéronautique, la physique des hautes énergies et l’économie», observe  Yves Gingras. Même certaines disciplines en sciences sociales et en humanités – pensons à la philosophie, où les femmes sont pourtant nombreuses – demeurent des chasses-gardées masculines.

«Selon des données de l’UNESCO datant de 2007, seulement 17 % des pays dans le monde comptaient autant de femmes scientifiques que d’hommes, rappelle l’historien et sociologue des sciences. Dans certaines disciplines, toutefois, comme en médecine, en chimie et en sciences biologiques, les étudiantes sont majoritaires ou en voie de l’être au baccalauréat et à la maîtrise. Cela aura un impact dans la production scientifique au cours des prochaines années.»

Pas de réponse simple

Comment expliquer les inégalités de genre en matière de production, de collaboration et d’impact scientifiques ? Il n’y a pas de réponse simple, dit Yves Gingras, car plusieurs facteurs, souvent  inter-reliés, interviennent. Pour les femmes qui aspirent à une carrière de chercheuse, la pression est forte. Leurs responsabilités familiales et leur plus faible intégration dans les réseaux informels de chercheurs jouent en leur défaveur ou limitent leurs chances d’établir des liens avec des chercheurs d’autres pays.  «Il faut développer l’expertise féminine en sciences en favorisant leur plus grande insertion dans les réseaux de collaboration internationale, souligne le chercheur. On doit également identifier dans les différents pays les micro-mécanismes sociaux, politiques, culturels, idéologiques ou religieux qui contribuent au maintien et à la reproduction des inégalités entre les sexes.»