Série Cinquante ans d’histoire
L’UQAM, qui célèbre son 50e anniversaire en 2019-2020, a déjà beaucoup d’histoires à raconter. La plupart des textes de cette série ont été originalement publiés de 2006 à 2017 dans le magazine Inter. Des notes de mise à jour ont été ajoutées à l’occasion de leur rediffusion dans le cadre du cinquantième.
«L’instruction? Pas trop ! Nos ancêtres nous ont légué un héritage de pauvreté et d’ignorance et ce serait une trahison que d’instruire les nôtres», déclarait dans les années 1950 Antoine Rivard, député de l’Union nationale et solliciteur général du Québec. Son chef, le premier ministre Maurice Duplessis, n’affirmait-il pas que «l’instruction, c’est comme la boisson, il y en a qui ne la portent pas» ? À l’aube des années 1960, la population québécoise était l’une des moins scolarisées au Canada. Seulement 13 % des jeunes Québécois francophones terminaient leur 11e année et à peine 4 % fréquentaient l’université, contre 11 % des jeunes anglophones.
La croissance démographique de l’après-guerre, le développement économique et la demande pour une main-d’œuvre de plus en plus scolarisée mèneront toutefois à des changements en profondeur. En 1960, le Parti libéral de Jean Lesage prend le pouvoir et, dès l’année suivante, met sur pied la Commission royale d’enquête sur l’enseignement, la célèbre commission Parent. Les premiers volumes du rapport de la Commission sont dévoilés en 1963. Animées par une vision humaniste, ses quelque 500 recommandations conduisent à un arsenal de mesures visant à démocratiser l’éducation : école obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans, abolition des collèges classiques et création des polyvalentes, gratuité pour les études pré-universitaires, mise sur pied des cégeps et du réseau de l’Université du Québec dans l’ensemble des régions, établissement d’un régime de prêts et bourses pour les étudiants des ordres collégial et universitaire.
«Le rapport Parent marque un avant et un après dans l’histoire de l’éducation au Québec. Notre système actuel en est l’héritier sur le plan de la philosophie et des structures.»
louise bienvenue
Professeure d’histoire à l’Université de Sherbrooke
Claude Corbo, ancien recteur de l’UQAM, est l’auteur de L’éducation pour tous : une anthologie du rapport Parent. Selon lui, le rapport Parent constitue à la fois un point d’arrivée et un point de départ. «La commission Parent n’est pas un champignon qui surgit soudainement en 1961 sur l’inspiration du moment, dit-il. Sa création est le fruit de 15 ans de réflexions et de débats sur les carences du système d’éducation québécois. Elle est aussi un point de départ, car elle propose de réorganiser l’éducation de fond en comble.» L’historienne de l’éducation Louise Bienvenue (Ph. D. histoire, 00), professeure à l’Université de Sherbrooke, abonde dans ce sens. «Le rapport Parent marque un avant et un après dans l’histoire de l’éducation au Québec. Notre système actuel en est l’héritier sur le plan de la philosophie et des structures.»
Pour célébrer le 50e anniversaire de ce document fondateur [en 2013], l’UQAM et sa Faculté des sciences de l’éducation, en collaboration avec Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) et le Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTREQ), organisent depuis septembre dernier une série d’événements – conférences, journées d’étude, symposium – qui se dérouleront jusqu’en mai 2014 (voir le site rapport-parent.uqam.ca).
Sous la responsabilité de l’État
Le rapport de près de 1500 pages propose la mise en place d’un système d’éducation intégré, depuis la maternelle jusqu’à l’université, ainsi que la création d’un ministère de l’Éducation, qui voit le jour en 1964. Du coup, l’État prend l’éducation en charge et l’Église perd ses prérogatives. «Les comités catholique et protestant du Conseil de l’instruction publique détenaient jusque-là une autorité exclusive sur les programmes et le personnel enseignant des écoles primaires. Au secondaire, des écoles de métier et des instituts professionnels côtoyaient les collèges classiques. Ces derniers, des établissements privés réservés à l’élite et contrôlés par le clergé, constituaient alors la seule porte d’entrée à l’université», rappelle Louise Bienvenue.
Un système public d’études préuniversitaires comportant un cours primaire de six ans et un cours secondaire de cinq ans, auxquels succède un collégial de deux ou trois ans, est mis sur pied progressivement. «Le rapport Parent, dit Claude Corbo, innove en proposant la création d’une école secondaire – la polyvalente – ouverte à tous, qui offre des cours généraux obligatoires et des cours techniques et professionnels à option, permettant ainsi aux élèves de suivre des cheminements diversifiés selon les talents et les centres d’intérêt de chacun.»
«Les collèges classiques négligeaient les sciences et les technologies, ainsi que de larges pans des sciences sociales et humaines, observe Georges Leroux (B.Sp. sciences religieuses, 72), professeur émérite au Département de philosophie. En recommandant leur abolition, le rapport sonne le glas de la hiérarchie des formations, dont les plus nobles étaient associées à la pratique du droit, du notariat et de la prêtrise.»
Un ordre d’enseignement unique
En 1967, dans la foulée des recommandations du rapport Parent, un nouvel ordre d’enseignement, unique en Amérique du Nord, apparaît entre le secondaire et l’université. Établis sur l’ensemble du territoire québécois, les cégeps offrent une formation générale préparatoire à l’université et une formation technique conduisant au marché du travail. Qu’ils soient en techniques dentaires, en techniques de protection de la faune, en sciences humaines ou en sciences pures, tous les étudiants doivent suivre des cours communs de français et de philosophie. «Par ces mesures, le Québec se distingue du Canada anglais et des États-Unis, où de grandes écoles techniques accueillent les étudiants qui ne se destinent pas à l’université, souligne Georges Leroux. En évitant le clivage entre les formations générale et technique, les cégeps assurent l’homogénéité des cohortes et garantissent à la jeunesse une formation citoyenne unifiée.»
«Pour les auteurs du rapport Parent, l’autonomie institutionnelle et la liberté académique sont des traits essentiels de l’activité universitaire.»
Pierre lucier
Professeur invité au Département de sciences des religions
Ces nouveaux établissements suscitent l’intérêt pour les études supérieures, y compris dans les filières non classiques, entraînant une hausse substantielle des inscriptions dans les universités.
«Les cégeps constituent également des pôles de développement incontournables pour les régions, notamment sur les plans économique, culturel et technologique», observe Pierre Lucier, professeur invité au Département de sciences des religions, qui a occupé les postes de sous-ministre au ministère de l’Éducation, de président du Conseil supérieur de l’éducation et de président du Conseil des universités.
De nouvelles universités
Dans les années 1960, plusieurs facteurs militent en faveur de la création de nouvelles universités. Les enfants du baby-boom arrivant à l’âge adulte, on prévoit une croissance importante des effectifs étudiants universitaires. Les besoins d’une société québécoise en pleine transformation exigent aussi d’accroître la scolarisation des Québécois francophones et de former des adultes qui n’ont pu fréquenter l’université à l’âge habituel.
Le rapport Parent défend par ailleurs l’autonomie des universités, lesquelles sont définies comme des institutions de service public. Ouvrant la voie à la collégialité, il propose que leurs conseils d’administration soient composés de représentants de la communauté universitaire et de la société civile. «Pour ses auteurs, l’autonomie institutionnelle et la liberté académique sont des traits essentiels de l’activité universitaire», souligne Pierre Lucier.«Les membres de la commission Parent refusent toutefois d’envisager la naissance d’une autre université à vocation complète à Montréal et proposent de créer en région des centres universitaires de premier cycle essentiellement voués à la formation. Selon les commissaires, les études supérieures et la recherche doivent demeurer la chasse gardée des trois grandes universités déjà établies – McGill, Montréal et Laval», note Pierre Lucier, qui a aussi été président de l’Université du Québec de 1996 à 2003. «Heureusement, dit-il, ces recommandations n’ont pas eu de suite. À la fin des années 1960, le réseau de l’Université du Québec émerge, offrant un éventail de programmes de premier cycle et favorisant le développement de la recherche et de programmes de cycles supérieurs dans des créneaux correspondant aux atouts des régions : océanographie à Rimouski, aluminium à Chicoutimi, foresterie à Trois-Rivières, mines en Abitibi…» À Montréal, l’UQAM inscrit sa mission d’enseignement dans une perspective d’accessibilité – se distinguant ainsi des universités existantes – tout en développant des domaines de recherche originaux et des programmes d’étude aux trois cycles.
Une source d’inspiration
Selon Claude Corbo, les valeurs portées par le rapport Parent sont fondatrices et demeurent, 50 ans plus tard, une source d’inspiration. «L’éducation est un enjeu d’intérêt public, affirment les commissaires. Ceux-ci ne la conçoivent pas dans une perspective consumériste, mais comme un processus par lequel la société forme sa relève.» Pierre Lucier est d’accord. «Aux yeux des commissaires, l’éducation est un bien commun essentiel à l’épanouissement personnel et à l’enrichissement collectif, non seulement sur le plan économique, mais aussi sur le plan social, culturel et humain.»
«Nous devons poursuivre nos efforts en faveur de l’accessibilité et de la réussite scolaire, en particulier auprès des jeunes venant de milieux moins bien nantis et de ceux qui ont des difficultés d’adaptation, d’apprentissage ou d’autres handicaps.»
monique brodeur
Doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation
Monique Brodeur, doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation [jusqu’au printemps 2019], croit que le Québec peut être fier des progrès accomplis en matière d’accessibilité depuis les années 1960. «Le nombre de personnes ayant complété des études secondaires et postsecondaires, les femmes en particulier, s’est accru de manière considérable au cours des dernières décennies, rappelle-t-elle. Nous devons poursuivre nos efforts en faveur de l’accessibilité et de la réussite scolaire, en particulier auprès des jeunes venant de milieux moins bien nantis et de ceux qui ont des difficultés d’adaptation, d’apprentissage ou d’autres handicaps.»
Le monde de l’éducation est aujourd’hui confronté à de nouveaux défis, dont celui d’assurer la réussite du plus grand nombre, poursuit Monique Brodeur. «Au Québec, le pourcentage de jeunes qui abandonnent l’école avant l’obtention de leur diplôme d’études secondaires est de 26 %. Ce pourcentage peut s’élever à 52 %, voire à 59 % dans certains quartiers défavorisés de Montréal et à plus de 70 % en milieu autochtone.» Selon la doyenne, offrir à chaque personne la meilleure éducation possible implique notamment de recourir aux connaissances issues de la recherche. C’est pourquoi elle insiste sur l’importance de réaliser des études longitudinales afin de suivre les progrès des élèves durant tout leur parcours scolaire et de développer des approches pédagogiques mieux adaptées à ceux qui ont des besoins particuliers.
«Le problème majeur aujourd’hui ne consiste pas à inciter les jeunes à poursuivre des études, mais à leur donner le soutien nécessaire pour le faire, tout en nourrissant leur motivation», souligne Georges Leroux. Conscient lui aussi de l’ampleur des défis, le philosophe envisage l’avenir avec optimisme. «Les valeurs d’accessibilité et d’égalité prônées par le rapport Parent ont été réaffirmées avec force par des milliers d’étudiants et de professeurs pendant le Printemps érable de 2012, dit-il. Leur mouvement a permis notamment de susciter la réflexion sur les finalités de l’éducation, en particulier de l’éducation supérieure.»
Source :
INTER, magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 11, no 2, automne 2013