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La liberté d’association syndicale malmenée

La professeure Léa Fontaine commente l’adoption du projet de loi C-377 obligeant les syndicats à dévoiler publiquement l’utilisation de leurs fonds.

Par Claude Gauvreau

7 janvier 2013 à 0 h 01

Mis à jour le 4 septembre 2015 à 15 h 09

Le 12 décembre dernier, la Chambre des communes, à Ottawa, a adopté le projet de loi C-377 obligeant les syndicats à dévoiler publiquement l’utilisation de leurs fonds. La raison invoquée : les syndicats sont exemptés d’impôt. Les associations patronales, les ordres professionnels et les Chambres de commerce le sont aussi, mais ne sont pas soumises à la même obligation de divulgation. Au même moment, aux États-Unis, le gouverneur républicain du Michigan promulguait une loi, dénoncée par le président Obama lui-même, abolissant l’obligation pour les travailleurs de payer des  cotisations syndicales. Le Michigan était le 24e État américain à adopter un tel type de loi.

«Depuis quelques années, des employeurs, des politiciens et des commentateurs, ici comme aux États-Unis, prétendent que les syndicats bénéficient de pouvoirs et de privilèges – adhésion syndicale obligatoire, caractère non-imposable des prestations de grève, accréditation par signature de formulaires d’adhésion – qui nuisent à la productivité et à la compétitivité des entreprises», rappelle Léa Fontaine, professeure au Département des sciences juridiques. Le Fonds monétaire international, l’OCDE et le Bureau international du travail reconnaissent pour leur part que la présence syndicale aide à réduire les inégalités et a permis d’atténuer les pertes d’emploi lors de la dernière crise financière. «Un certain discours conservateur remet en cause la liberté d’association syndicale, dont les moyens d’exercice sont la négociation collective des conditions de travail et le droit de grève», observe cette jeune chercheuse.

Après des études supérieures en France, Léa Fontaine a été embauchée en 2006. «Mon objectif était de venir enseigner à l’UQAM, dit-elle, une université qui favorise l’établissement de liens avec des organisations de la société civile, dont les syndicats.» La professeure s’intéresse notamment au droit du travail, aux modèles juridiques des rapports collectifs du travail, au droit du travail comparé et à l’accès à la syndicalisation. Elle mène actuellement une recherche  sur les nouveaux modèles de représentation des travailleurs autonomes dans l’industrie du camionnage au Québec.

Droit de vivre, mais pas de respirer

Après son inclusion dans la Loi constitutionnelle de 1982, la liberté d’association des travailleurs au Canada a subi un premier choc en 1987. Dans un arrêt relatif au Public Service Employee Relations Act de l’Alberta, la Cour suprême du Canada, le plus haut tribunal au pays, avait conclu que le droit de négocier collectivement et de faire grève n’était pas protégé par la constitution. En 2007, elle renversait son jugement de 1987 en décidant que la liberté d’association comprenait la liberté de négociation collective.

«Nous sommes toutefois revenus à la case départ en 2011, à la suite d’un autre jugement de la Cour suprême, l’arrêt Fraser, concernant la nature et la portée de la liberté d’association», souligne Léa Fontaine. Dans un conflit impliquant des travailleurs agricoles en Ontario, la cour affirmait que la protection constitutionnelle de la liberté d’association s’étendait uniquement au droit des travailleurs agricoles de former une association, d’y adhérer, de participer à ses activités et de présenter à l’employeur des demandes relatives  aux conditions de travail, sans que ce dernier ne soit contraint de négocier de bonne foi. «Cela revient à nier dans les faits le droit à la négociation collective, soutient la chercheuse. C’est comme si on reconnaissait aux syndicats le droit de vivre, mais pas celui de respirer.»

Présence syndicale en baisse

Selon des données dévoilées en juin dernier par le ministère du Travail, le Québec est l’endroit en Amérique du Nord qui affiche le plus fort taux de présence syndicale –  pourcentage de personnes visées par une convention collective par rapport à l’ensemble des salariés. Celui-ci était de 39,5 % en 2011, contre 30 % ailleurs au Canada et 13 % aux États-Unis. Il s’agit cependant du plus faible taux observé au Québec au cours des dix dernières années, celui-ci ayant atteint 41,3 % en 2003.

«Même si beaucoup reste à faire, dit Léa Fontaine, les syndicats ont déployé des efforts pour se rapprocher de certains groupes sociaux, des jeunes et des femmes notamment, en abordant des enjeux qui suscitent leur intérêt: accès au travail, responsabilité sociale des entreprises, environnement.» D’ailleurs, la chercheuse suit de près les difficiles tentatives de syndicalisation des employés des dépanneurs de la chaîne Alimentation Couche-Tard, des jeunes pour la plupart. «Un véritable travail de fourmi a été effectué pour syndiquer huit de ces commerces, malgré les représailles de l’employeur qui, en septembre dernier, a dû justifier devant la Commission des relations du travail la fermeture de deux dépanneurs à Montréal.»