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Des jeux vidéo intelligents

Éric Beaudry, professeur au Département d’informatique, travaille à l’élaboration d’algorithmes capables d’enseigner par le jeu, en s’adaptant automatiquement aux forces et aux faiblesses du joueur.

Par Benjamin Tanguay

29 avril 2013 à 0 h 04

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

Le pilote est fin prêt et sa stratégie, presque parfaite. Nerveusement, il balaie une dernière fois l’écran des yeux. «Allons, marmonne-t-il à mi-voix, ma couverture radar est presque parfaite. Je bombarde tranquillement ma cible et tant qu’il n’y a pas de chasseurs dans mon angle mort, je rentre à la maison sans problème.» Il amorce sa manœuvre, enclenche les missiles, vise… puis l’improbable s’abat sur lui. La zone non couverte par son radar crache les chasseurs ennemis. «Merde.» Le cockpit s’illumine un instant d’une foule de voyants rouges, puis plus rien. Game Over. Dans son simulateur, le soldat peste contre l’intelligence machiavélique de ce jeu d’entraînement qui semble méthodiquement punir chacune de ses mauvaises habitudes.


Science-fiction? C’est le genre de logiciels qu’Éric Beaudry cherche à concevoir. Ce professeur au Département d’informatique développe des algorithmes permettant à une machine de prendre des décisions, une capacité fondamentale de l’intelligence artificielle. «Pour avoir un programme intelligent, il faut qu’il puisse prendre ses décisions par lui-même», martèle le professeur. Robotique, défense ou exploration spatiale, ces programmes autonomes ont une grande variété d’applications. Mais les visées d’Éric Beaudry sont plus terre-à-terre : il cherche à créer des jeux vidéo intelligents.


Le professeur est particulièrement intéressé par les jeux sérieux. Dans ce type de jeux, le divertissement est secondaire par rapport à des objectifs pédagogiques, idéologiques ou de marketing. On pense à des programmes comme Mécanika, créé pour que des étudiants du secondaire acquièrent un sens intuitif de la mécanique, ou America’s army, un titre développé à grands frais pour promouvoir l’enrôlement dans l’armée américaine.


Un ennemi qui vous veut du bien


 «Notre but est de développer des algorithmes de planification capables de générer automatiquement des scénarios pour qu’un joueur puisse apprendre des concepts importants tout en conservant sa motivation», explique Éric Beaudry. Contrairement à un jeu ou à un tutoriel classique où l’ensemble du parcours est écrit à l’avance, le jeu intelligent détermine à quel moment enseigner quoi à ses utilisateurs.


Un peu comme un tuteur s’attelant à corriger les lacunes d’un étudiant, les jeux sérieux aux visées pédagogiques seraient plus efficaces quand ils ciblent les faiblesses des joueurs, croit Éric Beaudry. «Le logiciel doit estimer ce que le joueur a appris et son niveau de motivation, décrit le professeur. Une fois que c’est fait, l’intelligence artificielle oriente le jeu de façon à amener le joueur vers certaines situations.» Bien que le concept semble relativement simple, son exécution place le logiciel sur la corde raide : le scénario généré doit comporter suffisamment d’épreuves difficiles pour que le joueur assimile les éléments à maîtriser sans toutefois être impitoyable au point de le décourager. Pour créer un modèle permettant d’estimer motivation et apprentissages, Éric Beaudry codirige une étudiante au doctorat en informatique cognitive.


Un moyen, pas une fin


Déjà, le professeur a commencé l’élaboration d’une intelligence artificielle capable d’assumer le rôle de «meilleur ennemi». «Mais, évidemment, il faut un jeu sérieux comme banc d’essai», lance-t-il. Avec une équipe de quatre étudiants, Éric Beaudry a pour projet de créer un jeu simulant le travail de courtier immobilier. «Le joueur devra apprendre à négocier pour obtenir le contrat de vente de maisons, à bien estimer leur prix, à distinguer les acheteurs sérieux des autres. Le but est de pouvoir apprendre grâce au jeu les étapes requises pour vendre ou acheter une maison.» Le joueur sera en compétition avec plusieurs autres agents, tous contrôlés par une intelligence artificielle en mesure d’orienter le scénario.


«Nous voulons savoir si notre approche simplifie la conception des jeux tout en favorisant les apprentissages du joueur, affirme Éric Beaudry. Pour valider nos algorithmes, nous avons besoin non seulement d’un jeu, mais aussi de joueurs.» Le professeur compte recruter plusieurs sujets et tester son jeu avec et sans intelligence artificielle. «Notre but, rappelle-t-il, n’est pas de concevoir un jeu, mais plutôt des algorithmes et des approches. Notre finalité, dans tout ça, c’est la science.»