Dans une salle de classe, des femmes sont couchées au sol, les yeux fermés. À l’invitation des monitrices, elles se mettent à bouger, doucement, lentement. Une épaule, un orteil, un bras… Ces femmes participent à des ateliers d’éducation somatique offerts par la professeure Sylvie Fortin, du Département de danse, et ses étudiantes. «Ces femmes souffrent de dépression, de troubles alimentaires ou de fibromyalgie. Ce sont des femmes fragilisées qui ont parfois un rapport complexe avec leur corps, une difficulté à l’habiter», dit Sylvie Fortin.
La professeure a mené récemment trois projets de recherche-action, en collaboration avec le Service aux collectivités, ayant pour objectifs de mieux comprendre le rapport au corps de femmes aux prises avec de telles problématiques et de cerner l’impact possible de l’éducation somatique sur la santé mentale. Cette technique du mouvement, qui regroupe plusieurs approches corporelles comme la méthode Feldenkrais et la gymnastique holistique, permet notamment d’augmenter l’aisance, la précision et l’efficacité du mouvement par le développement de la conscience corporelle. «Ce n’est pas une thérapie et nous ne posons pas de diagnostic, dit la spécialiste. L’approche est un moyen d’entrer en relation avec soi-même, de prendre conscience de son corps et de développer un autre rapport avec lui.»
Au terme de 15 séances, les femmes qui ont participé aux ateliers ressentent un apaisement mental et ont une meilleure estime d’elle-même. «La méthode, que nous adaptons en fonction des personnes et des problématiques, permet de plus d’améliorer le sommeil, de réduire le stress et les ruminations négatives, avance Sylvie Fortin. Les pensées affectent le corps et le corps affecte les pensées. En travaillant avec les mouvements, on peut faire cesser les ruminations négatives.» L’approche se veut également un outil de transformation personnelle et de prise de pouvoir sur soi-même. «Les participantes peuvent appliquer dans leur vie au quotidien les notions apprises durant les ateliers et développer ainsi des outils et des stratégies pour être plus autonomes et améliorer leur bien-être.»
Les ateliers en petits groupes se donnent à l’UQAM, dans des organismes communautaires ou dans des centres d’hébergement. Durant les séances, les femmes font des mouvements à leur rythme, sans pression. «Les femmes puisent beaucoup d’énergie dans le fait de se trouver en groupe», remarque Sylvie Fortin. Certaines participantes ont eu un journal de bord à tenir, pour documenter leur processus, y noter les changements ou simplement pour explorer leur créativité et d’autres ont eu accès à une plateforme Moodle, sur laquelle elles pouvaient livrer leurs témoignages, leurs impressions ou interagir avec la professeure et les étudiantes.
Professeure au Département de danse depuis 1986, Sylvie Fortin a d’abord enseigné l’éducation somatique aux danseurs dans le but d’améliorer et de raffiner leurs capacités expressives et techniques, avant de se pencher sur la santé des danseurs et la prévention des blessures en utilisant la même approche. «Je me suis alors intéressée au mieux-être par le mouvement en général. C’est une étudiante qui avait souffert de troubles alimentaires dans son adolescence qui m’a proposé de travailler avec l’éducation somatique en lien avec une telle problématique. Après son mémoire de maîtrise, nous avons recruté des candidates intéressées par un projet similaire et avons développé et adapté l’approche à différents types de clientèles féminines et de problématiques.»
Sylvie Fortin a beaucoup d’admiration pour les participantes du programme. «Souffrir de dépression ou d’un trouble alimentaire est associé à des sensations corporelles qui peuvent être une source terrible d’angoisse. Cela prend donc beaucoup de courage pour les affronter. Mais les femmes savent qu’au bout d’un moment, elles doivent passer par là pour aller de l’avant, pour se sentir mieux.»
La professeure se réjouit de voir que davantage d’étudiants se tournent vers cette spécialisation dans le cadre du D.E.S.S. en éducation somatique ou de la maîtrise en danse et manifestent un réel engouement pour l’engagement citoyen. «Les danseurs sont des travailleurs autonomes. Cette formation spécialisée, de plus en plus en demande dans les organismes communautaires, leur permet d’ajouter une corde à leur arc». Plusieurs étudiants des cohortes précédentes sont devenus aujourd’hui des enseignants de l’éducation somatique et mettent sur pied, organisent ou dirigent des ateliers pour les femmes.