«Les cancers du sein sont plus nombreux chez les femmes qui ont avorté… Des laboratoires utilisent des fœtus avortés au lieu des rats afin de fabriquer (sic) des produits de beauté… Tu pourrais avoir des flashbacksaprès avoir avorté et chaque fois que tu entendras un aspirateur, ça te fera penser à l’avortement.»
Ces propos alarmants de conseillères du Centre Option Grossesse de Trois-Rivières et du Centre Conseils Grossesse de Montréal, enregistrés à leur insu par une journaliste qui, se prétendant enceinte, était allée les consulter, ont été publiés dans l’ancien quotidien Rue Frontenac, en octobre 2010, sous le titre «Avortement, la grande manipulation». Quelques mois plus tôt, un autre centre du même type, Option Grossesse Québec, avait fait lui aussi l’objet d’un reportage, paru cette fois dans le journal Le Soleil. Ces trois organismes existent toujours et deux d’entre eux sont identifiés sous la rubrique «Nos centres» par Alliance Ressources Grossesse, qui regroupe et appuie 22 centres dans différentes régions du Québec.
Selon l’Association canadienne pour la liberté de choix (ACLC), le Canada compterait aujourd’hui 170 centres d’aide à la grossesse opposés à l’avortement, dont 27 au Québec. «Sur leurs sites Internet, ces centres prétendent conseiller les femmes enceintes qui s’interrogent sur la poursuite de leur grossesse, sans porter de jugement. Mais ils ne disent pas qu’ils tiennent des propos dissuasifs au sujet de l’avortement, une fois que le rendez-vous ou le contact téléphonique a eu lieu», souligne la professeure Audrey Gonin, de l’École de travail social, responsable d’un projet de recherche sur ces organismes.
Menée en collaboration avec la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN) et appuyée par le Service aux collectivités, cette recherche vise à documenter le développement de ces centres au Québec, depuis les années 90. «Il s’agit d’analyser leurs stratégies d’intervention, de démontrer l’écart entre leur discours public et leur pratique, de recueillir des témoignages de femmes et, enfin, de sensibiliser les acteurs des milieux de la santé et des services sociaux, précise la chercheuse. Nous faisons l’hypothèse que certains de ces organismes s’inspirent de centres similaires aux États-Unis et entretiennent des liens avec le mouvement pro-vie et des groupes religieux. Selon les lettres patentes du Centre La Roselière à Québec, sa présidente était, au moment de la fondation de l’organisme, une agente de pastorale au Diocèse de Québec. Elle anime actuellement un groupe Fraternités, foi et vie.»
Un agenda caché
La plupart de ces centres ont pour but d’accompagner les femmes vivant une grossesse non planifiée ou difficile. «Il semble toutefois y avoir un décalage important entre la neutralité affichée sur leurs sites Internet et dans leurs dépliants promotionnels et ce qui se passe réellement entre leurs murs, note Audrey Gonin. On ne peut pas prétendre offrir des conseils sur toutes les options possibles, sans porter de jugement ni exercer de pression, et affirmer en même temps qu’avorter, c’est tuer l’enfant que l’on porte dans son ventre. Les personnes opposées à l’avortement ont certes le droit de défendre leur point de vue, mais sans agenda caché. Il n’est pas approprié de le faire dans le cadre d’une relation d’aide avec une personne vulnérable.»
L’autre problème éthique consiste à transmettre des informations erronées ou tendancieuses sur la nature et les conséquences d’un avortement, tout en culpabilisant les femmes qui seraient tentées de se faire avorter, poursuit la professeure. «En 2010, l’ACLC et la FQPN ont réalisé une enquête sur neuf centres d’aide à la grossesse. Intitulée Le point sur les services d’avortement au Québec, celle-ci révélait que cinq d’entre eux avaient diffusé des informations selon lesquelles la plupart des femmes ayant subi un avortement le regrettaient par la suite et risquaient de devenir stériles ou d’avoir des problèmes d’ordre sexuel. Le Centre Options Grossesse de Québec, comme l’a rapporté le journal Le Soleil, a soutenu que les femmes ayant avorté étaient susceptibles d’être dépressives et même violentes avec leurs autres enfants.»
Créer un mécanisme de certification
Audrey Gonin et ses partenaires proposent la mise en place d’un mécanisme de certification à l’instar du Programme Roses d’or du Regroupement des aînés du Québec (FADOQ), lequel a donné naissance à un répertoire de résidences privées reconnues pour les personnes âgées. Une politique de certification pour les centres d’aide à la grossesse permettrait de garantir des informations rigoureuses, d’évaluer si les services offerts sont de qualité et d’aider les intervenants du réseau de la santé et des services sociaux à identifier les organismes respectueux du libre choix des femmes, que celles-ci décident ou non d’interrompre leur grossesse