Dans son parcours, la théorie et la pratique ont toujours été indissociables. Durant les années 80, parallèlement à son travail à La Traversée, un centre d’aide aux femmes et enfants victimes d’agressions sexuelles, Catherine Audrain (M.A. sociologie, 2006) suit des cours de premier et de deuxième cycle en philosophie et en études interdisciplinaires sur la mort à l’UQAM, avant d’obtenir une maîtrise en sociologie. «La philosophie, la psychanalyse et la sociologie m’ont aidée à mieux comprendre les ressorts de la violence et ses conditions de production», soutient la fondatrice et directrice générale de La Traversée.
Catherine Audrain est à l’origine du programme éducatif Prévention de la violence et philosophie pour enfants, implanté aujourd’hui dans 20 écoles de la Commission scolaire Marie-Victorin, sur la Rive-Sud de Montréal, de la maternelle à la sixième année. L’idée de créer ce programme est née de la pratique clinique à La Traversée. «Fondé en 1984, le centre a toujours eu une double mission d’aide et de prévention, rappelle sa directrice. Au fil des ans, nous avons constaté que la plupart des femmes qui venaient consulter avaient subi un inceste très tôt dans leur enfance. Nous tenions également des séances de prévention de la violence auprès des jeunes dans les écoles. Devant l’impuissance que nous éprouvions parfois à l’égard de la détresse observée en clinique et nos interrogations sur les façons d’aborder la question de la violence sans susciter la peur, la philosophie pour enfants nous est apparue un outil formidable.»
Lancé en 2005, le programme Prévention de la violence et philosophie pour enfants s’inspire des travaux du philosophe américain Matthew Lippman, effectués il y a 40 ans. Il consiste à animer des discussions avec les enfants à partir de courts romans abordant les thèmes de la violence, du conflit et de la justice. «En amenant l’enfant à porter un jugement moral et critique sur le monde qui l’entoure, le programme participe à la construction de son identité, en tant que sujet de droit et pensant. C’est ce qui fait sa beauté», souligne Catherine Audrain
Selon une étude réalisée en 2009 auprès d’enfants de sixième année du primaire, le programme aurait permis de renforcer l’aptitude des enfants à reconnaître les manifestations de violence – harcèlement, intimidation, insultes –, tout en facilitant l’acquisition de compétences logiques et cognitives. L’étude a été menée sous la direction de Serge Robert, professeur au Département de philosophie de l’UQAM.
La Traversée et sa directrice ont remporté différents prix et distinctions pour ce programme, dont le Prix Égalité 2011 dans la catégorie Prévention de la violence, décerné par le Secrétariat à la condition féminine du ministère québécois de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, et le prix de la Fondation Marie-Vincent, en 2006.
«La philosophie pour enfants m’a permis de me projeter dans l’avenir, de ne pas être uniquement dans la souffrance, mais aussi dans l’espoir, dit Catherine Audrain. Souhaitons que cette approche, présente dans une cinquantaine de pays, soit implantée dans d’autres écoles primaires et, pourquoi pas, au secondaire.»