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Un outil pour freiner l’étalement urbain?

Par Pierre-Etienne Caza

26 novembre 2012 à 0 h 11

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

Il fut une époque où l’étalement urbain de Montréal ne dépassait guère Mascouche et Blainville sur la Rive-Nord, Saint-Hubert et Boucherville sur la Rive-Sud. «Aujourd’hui, Statistique Canada considère Saint-Jérôme dans la même région métropolitaine de recensement que Montréal», fait remarquer Georges A. Tanguay. En compagnie du candidat à la maîtrise en études urbaines Ian Gingras, le professeur du Département d’études urbaines et touristiques s’est penché sur le phénomène de l’étalement urbain en lien avec le prix de l’essence. Les résultats de leur étude, «Gas price variations and urban sprawl : an empirical analysis of the twelve largest Canadian metropolitan areas», ont été publiés dans la revue Environment and Planning A.


«L’étalement urbain est un phénomène qui s’observe sur une longue période», souligne Georges A. Tanguay. L’étude des deux chercheurs porte sur une période de 20 ans, de 1986 à 2006, et sur les 12 plus grandes villes canadiennes – St-John’s, Halifax, Saint-Jean, Québec, Montréal, Ottawa-Hull, Toronto, Winnipeg, Régina, Calgary, Edmonton et Vancouver.


Localisation des ménages


Puisque l’on retrouve la majorité des employeurs dans les grandes villes, et que l’on observe un mouvement pendulaire qui voit les travailleurs entrer en ville le matin et en sortir le soir, il était logique, selon les chercheurs, de s’attendre à ce qu’une hausse du prix de l’essence incite les familles à se rapprocher du centre-ville. «C’est ce que nous avons constaté. En moyenne, une hausse de 1 % du prix de l’essence a entraîné une augmentation de 0,32 % de la population qui vit dans le centre des villes.»


Comment se fait-il que la population de Montréal  décline sans cesse au profit des banlieues alors que le prix de l’essence augmente sans cesse? «Notre étude établit une moyenne pour l’ensemble des villes canadiennes pour la période étudiée, précise le chercheur. Il faut plutôt voir les choses ainsi : la hausse du prix de l’essence freine l’exode des gens vers les banlieues. Si le prix de l’essence n’avait pas augmenté, la population du centre-ville de Montréal aurait connu un déclin encore plus rapide.»


Une hausse de 1 % du prix de l’essence est également associée à une baisse de 0,6 % dans la construction des logements à faible densité (maisons unifamiliales, cottages, maisons mobiles), typiques des banlieues et  emblématiques de l’étalement urbain, ont constaté les chercheurs.


Le revenu des ménages est aussi en cause dans le phénomène. Par exemple, 1 % d’augmentation du revenu médian est associé à une diminution de  0,23 % de la population vivant dans le centre des villes. «Mis à part quelques exceptions, les gens qui ont de meilleurs revenus ont tendance à s’établir loin du centre-ville, même s’ils y travaillent», note Georges A. Tanguay.


Enfin, leur étude révèle que lorsque les prix des transports en commun sont plus bas, la population du centre des villes tend à augmenter.


Un outil pour freiner l’exode?


Ces résultats ouvrent la porte à une avenue peu évoquée : est-ce que la hausse du prix de l’essence pourrait jouer un rôle dans un plan de développement qui viserait à freiner l’étalement urbain? «Je pense que oui, répond Georges A. Tanguay, surtout si c’est associé à d’autres mesures comme des péages et une hausse des tarifs de stationnement. Cela permettrait d’éliminer des comportements associés à la pollution et à la congestion routière en influençant le nombre de voitures et le type de véhicules que les gens possèdent. Et plus de gens reviendraient habiter dans le centre des villes. Avez-vous remarqué à quel point certains quartiers de Montréal, littéralement collés sur le centre-ville, sont sous-développés? Si le prix de l’essence continue de grimper, je crois que le paysage urbain va se modifier.»


Certains prétendent que la hausse du prix de l’essence aura à long terme des effets contraires, poussant employés et employeurs à sortir de la ville. «Je ne crois pas à cet effet-là, répond le chercheur. Il y a trop de gains pour les entreprises à être dans le centre des villes, même avec des systèmes de péage, qui ont été instaurés avec succès à Londres (2003), Stockholm (2007), Milan (2007) et Dublin (2008).»


Évidemment, une telle stratégie serait difficile, voire impossible à vendre aux électeurs des banlieues. «Je ne crois pas qu’on l’annoncerait franchement, mais cela pourrait faire partie d’une stratégie globale, conclut Georges A. Tanguay. Et puis, c’est une mesure facile à appliquer, car le système de taxes sur l’essence est déjà en place.»