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Parler et écrire comme les pharaons

Dès l’automne prochain, l’UQAM offrira aux passionnés de l’Égypte un cours sur les hiéroglyphes.

Par Valérie Martin

19 mars 2012 à 0 h 03

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

Dans son petit bureau du Département d’histoire, le professeur Jean Revez, spécialiste en égyptologie, ouvre un des volumes qui trônent dans sa bibliothèque. On peut y voir des dizaines de hiéroglyphes formant un ensemble complexe de mots impossibles à déchiffrer pour le néophyte. «Voici le signe qui signifie le mot homme, dit-il en désignant un pictogramme.» Utilisé dans un contexte différent, ce même signe peut représenter un son ou encore donner un sens au mot qu’il détermine. «Si on veut écrire un mot comme cordonnier, qui renvoie à une catégorie de métiers d’homme, on va écrire le signe de l’homme à la fin du mot», explique le professeur.

Cela donne une idée de ce que pourront apprendre les étudiants qui s’inscriront aux deux cours d’initiation à l’égyptien hiéroglyphique, qui seront offerts pour la première fois à l’UQAM dès septembre prochain. «Il s’agira de cours de langue au même titre qu’un cours d’allemand. Si on veut comprendre le monde de l’Égypte pharaonique de l’intérieur et en saisir toutes les subtilités, il faut être capable de lire les textes dans la langue originale. C’est un excellent moyen de se mettre dans la peau d’un Égyptien de l’époque et de voir la réalité telle qu’ils l’écrivaient», dit le professeur.

Écriture et évolution humaine

L’Égypte pharaonique, tout comme la Mésopotamie (Irak actuel), a grandement contribué à l’évolution de l’humanité, notamment par l’invention de l’écriture, rappelle Jean Revez. «Grâce à l’écriture, les Égyptiens ont pu dresser des inventaires, mettre en mémoire la connaissance, développer les principaux genres littéraires que l’on connaît aujourd’hui, comme la poésie, les contes et les mythes et mettre en place une bureaucratie», explique-t-il. C’est à l’Égypte que l’on doit le premier modèle d’État centralisé. Les scribes, des fonctionnaires sous l’ordre des pharaons, avaient pour mandat d’écrire tous les documents pouvant servir à l’organisation de la société: décrets royaux, rapports, contrat, etc. «Ces documents sont un véritable témoignage sur le mode de vie et la culture de l’époque.»

Appartenant à la famille des langues afro-asiatiques, l’égyptien, une langue sémitique aujourd’hui morte, s’apparente à l’arabe et à l’hébreu. Les Égyptiens pouvaient l’écrire en hiéroglyphes ou en écriture hiératique. Les hiéroglyphes (du grec, écriture sacrée) ornaient les tombes et autres murs de temples. «La plus belle écriture, le hiéroglyphe, était réservée au sacré et aux textes officiels, explique le professeur. Le hiératique était, pour sa part, utilisé pour les textes administratifs et parfois littéraires, à caractère moins officiel. Il s’agit d’une version simplifiée des hiéroglyphes, d’une méthode d’écriture plus rapide.»

L’orthographe hiéroglyphique diffère aussi selon les époques et les dynasties. «Le pharaon Ramsès, qui signifie (le dieu) Râ l’a engendré, peut s’écrire d’une dizaine de façons différentes selon les années de règne où le texte a été rédigé», note Jean Revez.

Décrypter la civilisation égyptienne

La compréhension des textes hiéroglyphiques permet de saisir toute l’importance des dieux, humains ou hybrides, dans les croyances religieuses des Égyptiens. «Connaître l’étymologie des noms propres et des noms de pharaons, comme Toutankhamon, qui signifie image vivante du dieu Amon, peut nous donner une idée de la popularité des divinités selon les époques», poursuit le professeur. Cela permet aussi de comprendre l’étymologie des noms des villes d’Égypte actuelles. «La ville de Damanhour (ou Damanhur), un mot arabe qui nous vient de l’égyptien ancien, fait référence au dieu Horus. Damanhour, c’est la ville où Horus était adoré.»

Fait inusité dans l’histoire, chaque peuple qui a conquis l’Égypte ─ comme les Perses, les Grecs, et les Romains ─ a dû, pour se faire accepter de la population égyptienne, utiliser l’égyptien hiéroglyphique comme langue écrite. «C’est pour la richesse de sa culture, entre autres, que cette langue a été utilisée pendant plus de 3 000 ans : d’environ 3 000 ans avant Jésus-Christ jusqu’à la fin du IVe siècle après Jésus-Christ, qui sonne le glas de l’Égypte romaine», explique Jean Revez.

Ouvert à tous les étudiants, le cours s’adresse aux passionnés d’Égypte et d’histoire, aux curieux, et peut servir d’introduction à ceux qui aimeraient étudier les langues sémitiques modernes. «Le cours sera offert en petit groupe. Les étudiants auront accès à des dictionnaires, des encyclopédies et des logiciels de fonte hiéroglyphique. Un moniteur sera aussi sur place avant les cours pour répondre aux questions et préparer la matière.»

L’égyptologie est une science encore bien jeune, souligne le chercheur. «Du Ve siècle au XIXe siècle, la langue de l’Égypte des pharaons est tombée dans l’oubli. Ce n’est que depuis le XIXe siècle que nous avons pu renouer avec cette civilisation disparue grâce au déchiffrement des hiéroglyphes par Jean-François Champollion.»