Le 17 avril prochain marquera le 30e anniversaire du rapatriement de la Constitution canadienne, un événement qui a profondément transformé les relations entre le Québec et le Canada. Promulguée le 17 avril 1982, la nouvelle Loi constitutionnelle permettait au Canada de se doter d’une formule d’amendement de la Constitution et d’une Charte des droits et libertés, sans l’accord du Québec. En refusant de signer cette Constitution qui ne reconnaît pas son caractère distinct et qui ne lui accorde aucun statut particulier, le Québec perdait son droit de veto en matière de modification constitutionnelle et se voyait imposer une charte des droits et libertés, une situation qu’une majorité de Québécois continuent de juger inacceptable.
Pour souligner cet anniversaire, l’UQAM accueillera, du 12 au 14 avril prochains, le colloque 30 ans après le rapatriement : l’état des lieux. Quel bilan? Quelles perspectives? Organisé par l’Association internationale des études québécoises, le colloque réunira des chercheurs universitaires et des observateurs canadiens, québécois et étrangers qui débattront des conséquences politiques du rapatriement, de la place actuelle du Québec au sein du Canada et des perspectives d’avenir du fédéralisme canadien.
«Le rapatriement unilatéral de la Constitution constitue une erreur historique, soutient le professeur Alain-G. Gagnon, du Département de science politique, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études québécoises et canadiennes et l’un des principaux organisateurs du colloque. Il met fin à un ordre constitutionnel qui a duré de 1867 à 1982, à un pacte qui reposait sur la notion des deux peuples fondateurs, mais qui ignorait les Premières Nations. En adoptant le concept Un État, une nation, le nouvel ordre constitutionnel commet une injustice majeure à l’égard du Québec et ne corrige pas l’injustice historique à l’endroit des Première nations.»
Des échecs répétés
Le refus de l’Assemblée nationale de ratifier la nouvelle constitution a entraîné deux rondes de négociations constitutionnelles – Meech en 1990 et Charlottetown en 1992 – qui se sont soldées par des échecs, ainsi qu’un deuxième référendum sur la souveraineté. «Après le choc référendaire de 1995, où 52 000 voix ont départagé les gagnants et les perdants, on aurait pu s’attendre à ce que le Canada anglais comprenne enfin le message que lui lançait le Québec. Au contraire, il a durci ses positions», observe le politologue.
L’année 1998 est le théâtre d’une nouvelle tentative de redresser la barre. Dans un avis, la Cour suprême du Canada déclare que le Québec aurait le droit de faire sécession s’il s’engageait à respecter les droits des minorités sur son territoire et si une réponse claire était apportée à une question claire lors d’un référendum. «La Cour insiste sur les droits historiques du Québec et ajoute qu’advenant une décision favorable à la souveraineté, le gouvernement canadien aurait l’obligation de négocier les termes d’un nouvel arrangement», souligne Alain-G. Gagnon. Le gouvernement fédéral réagira toutefois à cet avis en faisant adopter, en 1999, la Loi sur la clarté référendaire qui vise à encadrer un éventuel référendum québécois.
Le Québec se décanadianise
Le colloque se penchera sur les expériences d’autres nations minoritaires comme l’Écosse et la Catalogne, qui cherchent à modifier les paramètres institutionnels au sein de leur propre régime politique. «Les Écossais tiendront, au printemps 2014, un référendum sur la souveraineté de l’Écosse, note le professeur. Les Catalans, qui, de leur côté, souhaitent établir un nouveau pacte avec le gouvernement espagnol, ont adopté des mesures inspirées de la Loi 101 au Québec. L’une des solutions d’avenir réside peut-être dans l’entraide entre ces communautés politiques nationales que sont le Québec, l’Écosse et la Catalogne.»
Auteur d’un ouvrage intitulé L’âge des incertitudes. Essais sur le fédéralisme et la diversité nationale (Presses de l’Université Laval), Alain-G. Gagnon constate la cassure politique entre le Québec et le Canada actuels. En février dernier, il a d’ailleurs contribué à organiser une conférence d’envergure sur ce sujet à l’Université de Toronto, à laquelle ont participé plusieurs personnalités politiques reconnues du Québec et du Canada, dont d’anciens premiers ministres provinciaux.
«Nous assistons à une déquébécisation du Canada et à une décanadianisation du Québec, dit-il. Les Québécois, en particulier les jeunes, se définissent de moins en moins par rapport au Canada. Les étudiants qui descendent aujourd’hui dans les rues disent, par exemple, qu’ils veulent une société où l’éducation sera plus accessible que dans le reste du Canada.»
Selon le chercheur, la reconnaissance de la nation québécoise ne peut être envisagée que dans la mesure où la vision d’un Canada unitaire est abandonnée au profit d’une conception réellement multinationale de la fédération. «Les élites politiques canadiennes ont la responsabilité de réparer l’erreur historique de 1982. Il y aura bientôt 30 ans que les Québécois sont orphelins d’un pays. Un pays qu’ils ont pourtant contribué à façonner.»