On n’arrête pas le progrès : une compagnie japonaise annonçait début novembre qu’elle a réussi à produire un slip sans odeur. Il y a fort à parier que ce slip «révolutionnaire» contient des nanoparticules, comme une multitude de produits sur le marché dans divers domaines : entretien ménager, sport, informatique, jouets, meubles et cosmétiques, entre autres. Certains observateurs estiment que d’ici 2014, 15 % de tous les produits de consommation utiliseront des nanotechnologies.
Qui dit nanotechnologies dit nanoparticules. Celles-ci sont créées à partir de substances chimiques, comme l’argent, le carbone ou le zinc, que l’on divise en infimes particules. Ces nanoparticules ont des caractéristiques distinctes et on peut les intégrer à des matériaux ou des composés qui acquièrent alors de nouvelles propriétés. Par exemple, une crème hydratante avec nanoparticules pénétrera mieux la peau, un médicament atteindra plus facilement sa cible ou un plastique sera plus résistant. «Tous ces progrès masquent cependant une autre réalité : nous ne savons pas du tout quelles sont les incidences des nanotechnologies sur la santé humaine et sur l’environnement», souligne Françoise Maniet. Chargée de cours au Département des sciences juridiques, elle vient de publier un ouvrage intitulé Nanotechnologies et produits de consommation. Quels risques? Quels encadrements? (Éditions Yvon Blais), une adaptation de son mémoire de maîtrise en sciences de l’environnement.
Très peu de recherches sont consacrées aux effets des nanoparticules sur la santé humaine, et encore moins sur l’environnement. «Les produits qui suscitent les plus grandes inquiétudes sont les cosmétiques et les produits d’hygiène personnelle à cause des risques d’inhalation et de transmission par voie cutanée, note l’auteure. Les nanoparticules sont peu utilisées dans le domaine alimentaire jusqu’à maintenant, mais cela viendra. Nous ingérerons alors directement des nanoparticules sans en connaître les risques.»
Les législations en vigueur
À l’heure actuelle, les consommateurs canadiens qui voudraient éviter d’utiliser des lotions ou des matériaux comportant des nanoparticules ne le peuvent pas car les entreprises ne sont pas tenues de dévoiler les contenus nanotechnologiques de leurs produits. Dans son ouvrage, Françoise Maniet s’est penchée sur les actions gouvernementales en la matière. «Les pouvoirs publics jugent que les lois existantes sont suffisantes, notamment les lois sur les substances chimiques, explique-t-elle. Or, ces lois considèrent les nanoparticules comme ayant les mêmes caractéristiques que les substances dont elles sont issues. Le carbone, par exemple, n’est pas nocif pour la santé, mais la nanoparticule de carbone a des propriétés différentes dont on ne sait rien.»
Le problème, poursuit-elle, c’est que ces lois imposent un contrôle de la toxicité au-delà d’un certain seuil de production annuel. Or, les nanoparticules sont produites en petites quantités et passent sous le radar. «Il ne faudrait pas nécessairement changer les législations, mais au moins modifier les seuils au-delà desquels des données écotoxicologiques doivent être fournies.»
Actuellement, ce sont les pouvoirs publics qui doivent faire la démonstration de la toxicité des nouvelles substances. «Ce devrait être à l’entreprise de démontrer l’innocuité de ses produits, souligne l’auteure. Mais, pour cela, il faudrait adapter les législations en vigueur.»
Les Européens ont une longueur d’avance sur le Canada du point de vue législatif, souligne-t-elle. «De plus en plus de pays reconnaissent que les législations existantes ne suffisent plus. En novembre 2009, un règlement européen a été adopté afin d’obliger dès juillet 2013 les fabricants de cosmétiques à indiquer sur les étiquettes toutes les nanoparticules contenues dans leurs produits.» En France, un décret déjà en vigueur stipule que toute entreprise qui met sur le marché un produit à base de nanoparticules doit obligatoirement le déclarer.
Un moratoire?
À la fin de son ouvrage, l’auteure émet quelques recommandations, parmi lesquelles un moratoire sur les nanoparticules, afin d’effectuer les recherches nécessaires sur les risques pour la santé et l’environnement. «Les consommateurs ont le droit d’être mieux informés à propos des nanoparticules et de leurs effets», juge-t-elle.
«Je ne veux pas être taxée d’obscurantisme, je suis pour la recherche et le progrès, conclut Françoise Maniet. Je souhaite évidemment que les nanoparticules aident à soigner des maladies graves ou à faire face aux grands défis environnementaux. Mais est-ce nécessaire de courir des risques pour avoir des slips sans odeur ou des bouteilles de ketchup qui ne coulent pas?»